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Allemagne

Dresde, la belle et l’Elbe

Ville détruite et traumatisée en 1945, elle capitalise sur ses musées et abrite, depuis sa reconstruction, une mosaïque de quartiers historiques ou alternatifs.
Vue de la Brühlsche Terrasse, sur l'Elbe, à Dresde, en mars. (Photo Arno Burgi. AFP)
publié le 10 avril 2015 à 17h46

Il y a un mois, Dresde commémorait les 70 ans du bombardement qui a rayé la ville de la carte. Pendant deux jours, les 13 et 14 février 1945, des centaines d'avions de la Royal Air Force et de l'US Air Force ont pilonné la «Florence de l'Elbe», larguant quelque 750 000 bombes. Au petit matin du 15 février, les survivants comptent 25 000 morts et découvrent 15 km2 de ruines fumantes. Plus de la moitié des habitations ont été rasées. La Frauenkirche, l'église qui domine la ville, vacille et s'écroule deux jours plus tard. Le raid, dont la nécessité stratégique reste sujet à polémiques (il fallait surtout saper le moral des Allemands et impressionner les Soviétiques), fut un traumatisme national dont la cité mit des décennies à se remettre.

Deux millions de touristes visitent chaque année une Dresde rebâtie et restaurée, attirés par la richesse de ses musées et la beauté de la cité baroque nichée dans les courbes de l’Elbe. Le centre historique, immortalisé par le peintre italien Canaletto en 1748 (1), n’a pratiquement pas changé depuis l’époque des trois Auguste, ces rois qui ont marqué le développement de la cité entre 1694 et 1763.

«Voûte verte». C'est justement depuis le panorama de Canaletto, sur la rive droite du fleuve près du pont Augustus, qu'on a le plus beau point de vue. La perspective est à couper le souffle, mélancolique en ce matin de printemps froid et gris. «Dresde a pour particularité de ne pas avoir canalisé son fleuve comme l'ont fait les autres villes d'Europe», explique l'historien Hans-Peter Lühr. Comme autrefois, pour lutter contre les crues, l'Elbe est bordée de vastes prairies, y compris en son centre. Sur les tableaux de Caspar David Friedrich ou de Canaletto, les moutons y paissaient tranquillement. Quelques siècles plus tard, les prairies ont été désertées par les ovins mais donnent toujours à la ville cet aspect de cité plantée en pleine nature : les bâtiments en pierre calcaire, couleur sable ou noircis par les ans, se reflètent dans les eaux. Les touristes sont rares et le calme total, dans cette zone piétonne contournée par le trafic automobile.

Après s’être perdu dans la contemplation de la partie historique de la ville, on franchit le pont de pierre qui mène à la partie «musées» - la cité historique d’Auguste II, dit «le Fort» (roi de Saxe, passionné d’architecture et collectionneur frénétique de peintures, bibelots et autres porcelaines). La Saxe - riche de considérables gisements d’argent et de cobalt - est alors une province prospère et Auguste, au narcissisme affirmé, aime impressionner ses collègues européens.

La plupart de ses collections sont aujourd’hui regroupées dans le Palais du Zwinger et dans la «Voûte verte» qui abrite les plus belles pièces d’orfèvrerie d’Allemagne. Il faudrait des jours pour voir tous les musées du vieux Dresde et donc mieux vaut sélectionner avec soin les salles à visiter en fonction de ses centres d’intérêts… En cas de fringale, éviter, en revanche, les cafés de cette partie de la ville : leurs propriétaires, épris de romantisme, accueillent, à grand renfort de musique sirupeuse, de napperons brodés et de gâteaux crémeux façon autrichienne, le touriste amateur de tours en calèche. Kitsch et indigestion assurés.

Si la Dresde historique rassasie l’esprit, pour les nourritures terrestres, on se rendra plutôt dans la partie nouvelle de la ville, la «Neustadt», qui s’est développée sur la rive droite, au creux de la boucle de l’Elbe. C’est la partie la plus vivante : les galeries de peintures y côtoient les ateliers de créateurs locaux et de nombreux cafés. On retraverse donc le pont Augustus, puis la zone piétonne d’inspiration soviétique - Dresde faisait partie de la défunte RDA - pour découvrir l’ancien quartier du peuple, celui des habitations populaires.

Pour la pause déjeuner, les amateurs de cuisine exotique feront un arrêt chez Mama Africa, un restaurant sud-africain situé au numéro 2 de la Wallgässchen. L’endroit est insolite. Le personnel sympathique y reçoit dans un décor surprenant, à base de bambous et d’imprimés sauvages, style safari. Le buste d’une gazelle empaillée semble sortir du mur. Au menu : steak de zèbre, autruche ou crocodile… Les prix sont légèrement supérieurs à la moyenne des restaurants de Dresde et la réservation s’impose.

Confort moderne. Dans cette partie de la ville, les immeubles sont construits sur deux ou trois étages, les rues, sinueuses et pavées, entrecoupées de passages dans lesquels se cachaient autrefois les ateliers des ouvriers. Les toits sont très pentus et comptent, en général, deux niveaux de greniers. En été, les roses trémières poussent le long des murs. Plus à l'est, sur la Bautzner Strasse, la crémerie Molkerei Pfund vaut le détour : ce petit établissement offre de délicieux fromages, dans un local aux murs entièrement couverts de faïence, comme lors de son ouverture en 1880.

On poursuit vers le nord cette fois et le passage de la rue Allaun. C’est le Dresde alternatif, qui promet de belles photos des immeubles colorés et décorés de matériaux de récupération. Neustadt est désormais la partie bobo de la ville. Celle aussi où vivent les étudiants de la très grosse université locale.

Les familles plus modestes, les retraités ou les anciens cadres du régime communiste habitent - comme dans tout le bloc de l’Est - dans les quartiers dits «modernes», édifiés du temps du régime communiste où les loyers sont restés plus abordables et qu’on trouve autour de la gare centrale. Lorsqu’ils étaient au pouvoir, les communistes ont profité de la table rase laissée par les bombardements alliés pour transformer cette partie de l’ex-ville royale en cité du prolétariat. Partout où il le pouvait, le régime édifiait les barres de béton sans âme. Ces immeubles inesthétiques, mais synonymes de progrès, offraient alors le confort moderne - eau chaude, salles de bains et chauffage central - que Neustadt n’a connu qu’après la chute du Mur. Les larges avenues y sont aujourd’hui sillonnées de tramways couverts d’affiches publicitaires promettant le septième ciel dans quelque triste Eros Center.

(1) Bernardo Bellotto ou encore Bellotti (1722-1780) Canaletto, neveu de Giovanni Antonio Canaletto, le peintre de Venise.