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Libération
En selle

Bordeaux, entre puces et Garonne

Courts séjours en Francedossier
J’espère que tu as prévu d’arriver tôt. A la sortie du train ou de l'avion, n’hésite pas, enfourche une bicyclette et offre-toi une balade matinale dans les rues fraîches...
L'Opéra national de Bordeaux (Alexandre Duret-Lutz / Flickr)
publié le 25 mai 2015 à 17h26

J’espère que tu as prévu d’arriver tôt. A la sortie du train (à moins que tu n’aies préféré l’avion), n’hésite pas, enfourche une bicyclette et offre-toi une balade matinale dans les rues fraîches où les pavés sont encore imprégnés de l’odeur des mégots de la veille. On file à travers les ruelles tranquilles, le nez au vent, la pédale souple et c’est le meilleur moment de la journée, celui où l’on se mêle aux 15% d’habitants (pas tout à fait en vrai, mais c’est l’objectif pour 2020) qui ont eux aussi choisi ce moyen de transport pour aller au bureau. Avec 200 km de pistes cyclables intra-muros, Bordeaux se place dans le peloton de tête des villes vertes de France. Etrange, n’est-ce pas, pour une cité qu’on t’avait décrite si minérale…

Tu n’avais cependant pas tout à fait tort : de la pierre tu vas en trouver, pas de doute. Blonde, lumineuse, taillée, sculptée en mascarons, dont les visages fantaisistes ornent les façades et t’observent de leur œil torve. Pour te mettre tout de suite dans l’ambiance, on commencera par la place Sainte-Croix, écrin de l’ancienne abbatiale bénédictine dont la façade déploie à elle seule un magnifique programme de statues et d’ornements.

Quelques terrasses te font déjà de l’œil, installées sous les grands platanes, mais ne cédons pas tout de suite à la tentation, engageons-nous plutôt dans la rue Camille-Sauvageau, aux faux airs de village médiéval. Au bout, on aperçoit la pointe de la flèche Saint-Michel, deuxième plus haute de France. Et en débouchant sur la place, c’est la basilique dans son ensemble qui s’offre au regard, grandiose, avec son architecture chargée de gargouilles, de dentelles, de dais, caractéristique du gothique flamboyant. C’est ici que tu t’accorderas ta première pose.

Enclave. Dans ce quartier, tu devras oublier tout ce qu'on t'avait dit de Bordeaux. Attable-toi au Café de la Fraternité, commande un thé à la menthe, et laisse l'ambiance infuser. Comme tu as pris la peine d'être matinal, tu observes le marché aux puces installé tous les jours sous l'imposant clocher jusqu'à midi. Les jeunes bobos y croisent les récents immigrés bulgares, qui étalent sur quelques couvertures tout ce que la récup peut fournir de vendable. C'est bruyant, c'est désordonné, c'est populaire.

Sorte d’enclave dans la ville bourgeoise, ce petit bout de cité est longtemps resté à l’écart. Véritable camaïeu social, boudé par les Bordelais, il est avant tout le domaine des antiquaires et des étrangers. Toutes les vagues d’immigration ont laissé ici leur empreinte : les restaurateurs servent du couscous, de la morue à la portugaise et des pizzas turques. Pas de grandes enseignes, juste des bistrots, des bazars, et le plaisir de chiner sur les trois étages du passage Saint-Michel, cette ancienne mûrisserie de bananes qui héberge plusieurs dizaines de brocanteurs professionnels. Autour de toi, les conversations porteront certainement sur la rénovation du quartier, laissant en suspens la question de la flambée des prix qui aura peut-être raison de l’âme cosmopolite de lieu…

Venelles. Pour te faire une opinion, il va falloir remonter en selle et traverser le cours Victor-Hugo, frontière symbolique qui marque l'entrée dans la ville altière et touristique. La rue de la Rousselle, avec ses immenses portes cochères ouvrant autrefois sur de vastes entrepôts, transformés aujourd'hui en ateliers d'artistes, te conduira à travers une multitude de petites venelles étroites, souvent très sombres, mais d'où se dégage une douceur de vivre unique. Tu bifurqueras ensuite vers trois des plus jolies places de la ville : la place du Palais, la place Saint-Pierre et la place du Parlement. C'est le moment de se dénicher une table et de déjeuner dans l'une des brasseries alentours.

En quelques coups de pédale à peine, tu rejoindras ensuite la petite rue Fernand-Philippart. Peut-être devras-tu descendre de vélo, car on y croise régulièrement de grands flots de vacanciers tout juste débarqués des énormes bateaux de croisière amarrés dans le port de la Lune. Et pour cause, te voilà place de la Bourse, au cœur de ce chef-d'œuvre néoclassique ouvert sur le fleuve. D'ici se dévoile le long ruban des façades XVIIIe, reflétées par le miroir d'eau. La perspective est saisissante et mérite de s'en délecter. Et puisque la vision de ces quais t'a donné l'âme voyageuse, il faudra te rapprocher de la Grosse Cloche pour finir la journée dans une bonne rhumerie. Au Vintage bar, la caipirinha est savoureuse et réputée : on la déguste donc sur le trottoir, en admirant l'ancien beffroi médiéval, sur lequel trône une horloge lunaire. Elle donnera le cap aux noctambules.