Il faudra songer à oublier très vite la voiture. Strasbourg - comme Bordeaux ? - est la capitale du vélo (et des piétons, et du tram aussi, attention où l’on met les pieds, le partage de l’espace n’est pas facile tous les jours). Dans la «ville des routes», celles-ci sont volontiers courbes et tortueuses, rappelant l’Ill qui serpente à travers la cité. Et leurs noms, tantôt triviaux, tantôt poétiques : rue des Vaux, du Savon, des Tripiers, des Pucelles ou de la Nuée bleue.
Bretzel et diablerie. Commencer par se perdre dans le quartier médiéval de la Krutenau. Oui, la rue des Couples mène bien à la place des Orphelins. Traverser la place d'Austerlitz, qui sent les vacances toute l'année, et gagner celle du Corbeau. Faire une halte, même s'il est un peu tôt, pour un picon-mousse (ou un gewurztraminer) et une flammekueche à la brasserie du Canon : c'est là que, le 9 juin 1664, Jérôme Hatt, maître brasseur, frappe de son sceau son premier tonneau de bière, de la Kronenbourg. Se faufiler par le discret porche tout à côté, et pénétrer dans la cour du Corbeau. Festival du colombage, avec balcons en bois et passerelle.
S’offrir ensuite un bretzel frais avant d’attaquer le gros morceau : la cathédrale, gratte-ciel du Moyen-Age, dont la flèche culmine à 144 mètres. Toute l’évolution stylistique, de l’art roman au gothique flamboyant, s’exprime sur l’édifice, dont les fondations fêtent leur millénaire cette année. Admirer le raffinement et l’élégance de sa façade, de la dentelle de pierre. Et au milieu de ce catéchisme illustré, repérer dans le grand tympan ce que les Alsaciens appellent le «blossarch» (cul nul). Les esprits mal tournés y verront une diabolique exhibition, il n’en est rien, ce sont les saintes fesses de la vierge en train d’accoucher ; d’ailleurs à bien y regarder on voit la tête chevelue de Jésus qui pointe. Ceci dit, le diable n’est pas loin, enfermé depuis belle lurette dans un des piliers, dit-on. C’est à l’occasion d’une visite impromptue de chantier, en pleine nuit, qu’il s’est fait piéger par la messe au petit matin. S’il est resté coincé, son cheval, lui, continue de tourner, à l’attendre. Preuve en est ce courant d’air permanent qui enlace la cathédrale…
Fiché dans une façade en face de la nef, un obus intact rappelle le passé tourmenté de Strasbourg. 200 000 projectiles comme celui-ci furent tirés à l’été 1870.
Tablée. A quelques mètres de là, le büchmesser (mesure de bedaine) devant l'ancienne pharmacie du Cerf. Et puisqu'on a réussi à passer de profil entre le pilier qui soutient l'encorbellement et le mur, direction la très richement décorée maison Kammerzell. Elle donne l'impression de pencher sans que l'on puisse déterminer de quel côté. L'intérieur vaut le détour avec ses fresques, son escalier en colimaçon, ses corridors exigus, ses nappes blanches et sa choucroute aux trois poissons (une achetée, une offerte).
On ne repart pas de Strasbourg sans avoir écumé les winstubs, et on opte en priorité pour les plats aux consonances aussi exotiques que les noms des villages alentour : waedele braisé au pinot noir, cordon bleu (variante possible au munster) et ses spaetzle, fleischnecke, baeckeoffe, le tout arrosé de riesling et de pinot. Ne cherchez pas de verdure dans la salade alsacienne : c’est du cervelas, de l’emmental, de l’œuf et de la vinaigrette. Et, surtout, ne demandez JAMAIS une «saucisse de Strasbourg», c’en est presque vexant. Ici, on ne connaît que la «knack», qui bénéficie désormais d’une AOC (dont le cahier des charges décrit avec précision le craquant et la courbure).
Pour digérer, flâner à la Petite France, passer rue des Dentelles, arpenter les écluses, les ponts couverts, le pont tournant, découvrir l’ENA nichée dans une ancienne prison. Faire le plein de pittoresque, de géraniums, de bonnets cigognes en peluche.
Patrimoine. Enfin, s'il ne fallait faire qu'un musée, choisissez celui du dessinateur de génie Tomi Ungerer. La villa est implantée à l'entrée de la Neustadt (nouvelle ville en allemand). Là, les rues sont larges, parallèles, se coupent à angle droit. Les bâtiments administratifs et officiels pullulent, en pierre de taille, dans un style art nouveau, haussmannien. Un patrimoine d'autant plus exceptionnel que les témoignages de l'architecture impériale germanique n'ont pas été épargnés par les bombardements outre-Rhin. Suivre ensuite les berges de l'Ill jusqu'au bâtiment d'Arte, et déboucher enfin sur les institutions européennes. Il est possible de visiter le Parlement et son hémicycle, en réservant à l'avance.