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Libération
Découverte

Guerlédan, lunaire et éphémère

Courts séjours en Francedossier
Sol craquelé, blocs rocheux éparpillés à la volée, falaises abruptes trouées de crevasses : on se croirait sur la Lune...
(Pierre Guezingar / Flickr)
publié le 18 juin 2015 à 17h26

... Ou dans le roman post-apocalyptique de Cormac McCarthy, la Route, où tout n'est que cendres et ruines calcinées.

Le spectacle du lac de Guerlédan, vidé depuis avril et jusqu’en octobre de toute son eau, à l’exception du Blavet qui poursuit son cours imperturbable au fond de la vallée, est saisissant. Avec cette sensation de pénétrer dans un autre monde. Un monde sans vie où se dressent, çà et là, les murs nus de maisons de pierres luisant au soleil ou les branches noires d’arbres que des décennies de vie subaquatique n’ont pas abattus. Un monde où l’on devine des chemins empruntés autrefois par des charrettes lourdement chargées et des parcelles où fleurissaient au printemps les arbres fruitiers. Toute une histoire engloutie qui se décline aujourd’hui en mille nuances d’ocre et de gris.

Ruines. «La vallée du lac de Guerlédan est un site naturel où l'homme a partout laissé sa trace», commente Marion Brasset, guide à l'office du tourisme du Kreiz Breizh, qui a le joli mot de «paysage culturel» pour caractériser cette vallée, louvoyant sur douze kilomètres en plein cœur du Centre-Bretagne, entre Morbihan et Côtes-d'Armor, ensevelie le plus clair de son temps par des millions de mètres cubes d'eau.

Autant le préciser tout de suite, il faut se presser : ce paysage lunaire, dont la durée de vie ne dépassera pas octobre (quand seront finis les travaux d’entretien sur le barrage) sera de nouveau noyé pour des décennies. En attendant, les visiteurs sont nombreux et mieux vaut éviter les fins de semaine pour s’y aventurer. Les plus courageux et les bons marcheurs choisiront le sentier qui épouse sur 35 kilomètres les contours du lac. Les autres se transporteront à l’une ou l’autre des six «portes» d’entrée qui offrent chacune un point de vue différent sur la vallée desséchée.

Celle de Tregnanton, sur la commune de Saint-Gelven, ouvre sur un vaste domaine de limon et de roches où se concentrent les plus nombreux vestiges d’une époque révolue. D’anciennes écluses, flanquées de ruines - les anciennes maisons d’éclusiers - y sont demeurées intactes. Et l’on devine le tracé du canal reliant Nantes à Brest qui fut parcouru de péniches jusqu’à la construction à la fin des années 1920 du barrage de Guerlédan. Cet énorme ouvrage de béton érigé sur 45 mètres de haut et 206 mètres de long, destiné à produire de l’électricité, sert surtout aujourd’hui à retenir une gigantesque réserve d’eau potable, transformée en terrain de jeux aquatique pour les amateurs de pédalo ou de ski nautique.

Vedettes échouées. «A partir de la seconde moitié du XIXesiècle, le canal a permis de désenclaver le centre Bretagne et de favoriser l'essor de la région et de ses industries ardoisières, rappelle Marion Brasset. Mais la guerre 14-18, qui a mobilisé les mariniers, a mis un premier coup d'arrêt à la navigation fluviale». Quant aux ardoisières, les filons se sont taris au début du XXe. A Trégnanton, la vidange du lac a remis à jour les anciens puits et les crevasses d'où l'on extrayait «l'or bleu». Un peu plus loin, le site de Beau Rivage réserve un spectacle insolite avec ses passerelles pendant dans le vide et les deux vedettes blanches réservées aux touristes, aujourd'hui échouées au sommet d'une colline pelée.

En poursuivant son chemin, cernée de bois touffus, l'anse de Landroanec propose une balade plus sauvage au détour de laquelle le rempart monumental du barrage se dresse au loin. «Comme les portes de l'enfer», lâche Hervé Le Lu, maire de Mûr-de-Bretagne, principale bourgade de la région. De l'autre côté, rive sud, la pointe de Castel Finans, en surplomb du barrage, domine elle aussi la vallée minérale dans un décor arboré où un tas de pierres recouvert de lichen est censé figurer l'ancienne forteresse de Conomor, seigneur du cru sanguinaire qui aurait inspiré Barbe-Bleue.

De quoi se mettre en appétit et rejoindre l’Auberge Grand Maison, à Mûr-de-Bretagne, où officie le chef étoilé Christophe Le Fur. A moins de jeter son dévolu à l’autre extrémité de la vallée, sur le site plus bucolique de Bon Repos. Là, au bord du canal reliant Nantes à Brest, entre les ruines d’une ancienne abbaye et des conifères géants, l’ambiance est plutôt au déjeuner sur l’herbe. Mais l’on peut aussi s’asseoir à la table des Jardins de l’Abbaye, à l’abri des vieilles pierres, pour profiter de la terrasse et savourer des plats aussi simples que roboratifs en rêvant au temps jadis.