Menu
Libération
De Saumur à Turquant

Loire, un petit tour à vau-l’eau

Courts séjours en Francedossier
Virée cycliste le long du fleuve, où la petite reine bénéficie de parcours au fil de l’eau ou à travers les vignes, avec étapes culturelles et dégustations entre deux coups de pédale.
(Luiyo / FLickr)
publié le 7 août 2015 à 17h56

Sur la Loire, la marine marchande, autrefois florissante, a totalement disparu. Les barriques de jeunes vins, tournant vinaigre aux abords d’Orléans, empruntent désormais des chemins goudronnés. Quelques centrales nucléaires, bâties à l’époque du gaullisme irradiant, émaillent toujours le paysage comme des cicatrices obligées. Dans ce cadre tranquille, deux régions ligériennes - le Centre-Val de Loire et les Pays-de-la-Loire - ont fait le pari de l’écologie et du tourisme. Un choix qui passe par la réhabilitation de la petite reine aux abords du fleuve royal et voit désormais se croiser, à la belle saison, touristes en bandes, couples de quinquagénaires aguerris et Parisiens lunaires en short Decathlon et chaussures de ville, pédalant sous le cagnard. En ce milieu d’été, on s’est mêlé à eux pour un tour de Loire à vélo. Compte rendu d’étapes.

Histoire d’eau et de vins à Saumur

Que d’eau charriée par la Loire dans l’attente de la fameuse crue centennale annoncée avec anxiété depuis plusieurs décennies. Aux abords des levées, comme pour conjurer cette mauvaise fortune, les Ligériens honorent leurs vins, ces élixirs fruités et légers qui souffraient, jusqu’à peu, d’une réputation livide. D’un côté, les bordeaux et bourgognes majestueux ; de l’autre, les vins de soif du Saumurois.

En descendant de l'Interloire (le train menant d'Orléans à Saumur, équipé pour recevoir cyclistes et vélos), la vérité est tout autre. Les couloirs de bus conduisent aisément en centre-ville et aux premiers lieux de partage, comme Aux saveurs de la tonnelle, cave adossée au bar à vins éponyme. «Ces dernières années, on croise de jeunes vignerons qui sont là par passion, plus seulement pour reprendre l'exploitation des parents», explique Julien Pougnant, le gérant de la cave.

Cette révolution se retrouve, tel un marqueur et un fil conducteur, tout au long d’un périple qui peut, comme ici, se focaliser sur un segment reliant Saumur à Montsoreau. En remontant le fleuve vers l’est, direction Turquant, une longue route, en site propre ou partagé, s’offre aux cyclistes. Les plus courageux prennent la route des coteaux pour surplomber le fleuve à travers vignes, un cadre unique. D’autres descendent vers les chemins de terre, en bord de Loire, et goûtent au bonheur d’une cohabitation intime avec les innombrables nuées de moucherons. Heureusement, la pause dans la proche cave Bobinet autour d’un verre d’Hanami, saumur-champigny d’une fraîcheur et d’une profondeur incroyables, récompense les méritants pédaleurs. Mais gare aux excès. Après, il faut reprendre la route.

L’île de Souzay, paradis perdu

Rapidement, l’œil du chaland est attiré par un morceau de terre décrochée. Il s’agit de l’île de Souzay, face à la commune de Souzay-Champigny qui a offert une partie de son identité à l’appellation saumur-champigny. Cette excroissance terrestre est habitée par une dizaine de tribus. Coupée du monde, le plus clair du temps, par des niveaux d’eau protecteurs, elle devient atteignable par la terre ferme à l’arrivée des beaux jours. En franchissant le pas, le visiteur y découvre la ferme d’André Petit, un lieu d’hébergement et de vie prodigieux. La nature, parfois malmenée en bord de Loire, y retrouve ses droits. Les animaux règnent en compagnons utiles. Un certain désordre naturel ramène à l’essentiel : prendre le temps pour mieux le laisser fuiter.

Sur l'île, les véhicules sont à l'arrêt. L'épreuve ne reprendra que le lendemain matin, après une nuit passée dans le gîte ou une des chambres d'hôtes du XVIIe siècle restaurées. L'heure est aux discussions du soir, accrochées aux tables dressées sur le sable de Loire. Elles s'agrémentent, cette nuit, des chansons de Gaïawana, un quintette féminin amateur qui accommode avec douceur rythme et romance. Le coucher de soleil y est sublime. André Petit se pose aux abords d'une yourte, un verre à la main. Heureux d'avoir donné vie à ce petit laboratoire du savoir-vivre ensemble.

Le château de Montsoreau

La Loire, qui pilote l'atmosphère de ces territoires avec la galerne - vent cyclique de nord-ouest -, trouve son temps calme dans un château du XVe siècle à Montsoreau, popularisé par Alexandre Dumas. Les pistards du dimanche y poussent leur vélo à la main, tandis que les plus sportifs prennent plaisir à remonter ses ruelles abruptes à petites foulées. Tous se retrouvent dans la cour de cette bâtisse charmante. Aline, fine connaisseuse des lieux, y partage son attachement. Elle raconte la présence des moulins (jusqu'à 25 par village au Moyen Age), la facture des girouettes, l'ardoise grise, ainsi que les mésaventures des propriétaires passés qui ont conduit le château au déclin (il a été depuis racheté par le conseil général). Une scénographie discrète exprime la vie aux abords de la confluence Vienne-Loire, rappelant au visiteur que la Loire ne s'est pas embellie autour des seuls châteaux monumentaux, tels qu'Azay-le-Rideau, Chenonceau ou Amboise.

Turquant, village troglo

Après une petite heure de pédalage sur des chemins plus ou moins aménagés qui, à hauteur de Turquant, demandent quelques efforts soutenus, l'homo cyclus croise les feux d'un village troglodytique grandeur nature, abritant de nombreux artisans d'art. Village au milieu duquel rayonnent le Bistroglo et sa terrasse sculptée à la manière d'un jardin ouvrier. Angèle, Ghislaine, Michou et Jean y concoctent un cocktail culinaire et hospitalier d'un niveau précieux. Dans l'assiette ? On croise un duo de galipettes farcies aux foies de volailles et une cuisse de canard rosée accompagnée d'un flan de champignons fondant qui invitent, ici aussi, à prendre son temps. «On est très heureux loin des flashs», confirme Edouard Pisani-Ferry, châtelain et producteur d'un rosé pétillant dans la proche demeure de Targé. «Nous misons sur la qualité d'accueil, rebondit l'équipe du Bistroglo. S'il y a peu de gens, ça nous permet de prendre le temps de la rencontre.»

A quelques encablures de là, sur la route de Candes-Saint-Martin, l’un des innombrables «plus beaux villages de France», la Belle Adèle attend à quai. Le marinier y accueille les groupes pour une escapade au cœur de la confluence. Après la balade au fil d’une eau parfois bercée de forts courants, l’embarcation se pose sur un banc de sable pour une autre parenthèse gustative. Les amoureux peuvent même y reposer, face au fleuve paresseux, et laisser couler le temps.