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Dans l’obscurité de la Ville Lumière

Descendre de vingt mètres pour remonter deux cents ans en arrière. Voici l’aventure que propose Gilles Thomas dans "Les Catacombes – Histoire du Paris souterrain".
(Shadowgate / Flickr)
par Maxime Beaufils
publié le 30 septembre 2015 à 12h36
(mis à jour le 30 septembre 2015 à 12h42)

Le noir absolu, celui dans lequel n'y voient même pas les chats. Des cavités exiguës, pensées pour recevoir «un homme debout et sa brouette»… Un cadre labyrinthique dont le Minotaure ne s'échapperait pas… Les catacombes, source d'inspiration des cinéastes, écrivains et journalistes qui, souvent, débordent d'imagination. Un lieu anxiogène, vraiment ? Dans son dernier ouvrage, Gilles Thomas, fonctionnaire à la marie de Paris et passionné de ses sous-sols, retrace leur histoire à travers la littérature. Un subtil mélange entre le réel et la fiction pour rétablir la vérité.

Le prisme de la littérature. La méthode employée par le cataphile est inédite. En parcourant plus de 250 romans depuis le début du XIXe siècle, Gilles Thomas démontre que certaines histoires permettent de saisir l'Histoire. De Balzac aux auteurs de Fantômas, en passant par Victor Hugo, rien n'est laissé au hasard. Les récits viennent ainsi corroborer les archives, préciser leurs zones d'ombre. «J'ai pris l'alibi de la littérature car le milieu souterrain a toujours fasciné, dès qu'on veut mettre un peu de mystère, il va y avoir les sous-sols», nous explique ce passionné rencontré près de Denfert-Rochereau (Paris). A deux pas du musée des Catacombes…

Le résultat est une belle surprise: au vocabulaire technique, précis de Gilles Thomas, viennent s'ajouter quelques citations romanesques: «Suivez-moi, mon cher ami, je possède le peloton de fil d'Ariane, et ma main ne cessera de presser la vôtre», écrivait Pierre-Léonce Imbert dans Les Catacombes de Paris, en 1867. Par abus de langage, l'ensemble des sous-sols parisiens est appelé «Catacombes». Or, s'il était utilisé à bon escient, le terme ne désignerait que l'ossuaire de la Ville de Paris, ouvert au public. Évoqué, ce dernier n'est qu'une partie de l'étude, qui aborde surtout les anciennes carrières d'exploitation de calcaire et de gypse. Des galeries interdites d'accès.

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Figures emblématiques. Philibert Aspairt, Charles-Axel Guillaumot, Jean-Claude Saratte… Ces noms ne vous disent rien? Pourtant, ce sont de véritables mythes «underground» auxquels le livre rend hommage. Une intrigue d'abord, avec la mystérieuse disparition de cet homme en 1793: Philibert Aspairt. Son squelette sera finalement retrouvé dix années plus tard et il sera inhumé sous terre, comme il se doit. Une aventure ensuite, celle cet architecte du roi, Charles-Axel Guillaumot, «l'homme qui sauva Paris». En 1777, il est nommé à la tête du service d'inspection des carrières fraîchement créé pour cartographier et consolider les sous-sols parisiens. «Charles-Axel Guillaumot était un génie, explique Gilles Thomas avec verve, il a dû faire face à l'urgence, une ville complète construite sur du vide». C'est ainsi que le premier inspecteur des carrières parisiennes édifiera des piliers à l'aplomb des façades des maisons pour leur servir de fondations «après-coup» et éviter ainsi des centaines d'éboulements fatals.

Crédit: DR /  Edition Le Passage

Capsule temporelle. Parmi les passages à retenir, figure celui sur les noms de rue, véritables voyages dans le temps. Développées à la fin du XVIIIe siècle, les adresses sont alors reportées sur les parois pour faciliter la navigation des ouvriers dans les galeries construites sous la chaussée. «C'est intéressant car on retrouve les noms de rue vieux de deux cents ans. On a la doublure toponymique du Paris de l'Ancien régime. Certains noms indiquent des rues qui ont pu changer plusieurs fois de patronyme».

Un saut en arrière, pas toujours très clair. Car ne vous imaginez pas des aménagements pareils à l'Ossuaire, devenu site touristique populaire. Ici, pas de lumière. Aucun horizon, ni à gauche, ni à droite. «On se déplace avec sa seule torche, à tel point qu'on ne peut pas anticiper la distance», précise le spécialiste. Outre l'obscurité, les lieux frappent par leur silence: «On entend une goutte d'eau tomber à 50 mètres», ajoute-t-il. Et cette odeur, unique, mélange de calcaire et d'humidité.

Un lieu de mystères qui mérite qu’on s’y égare.

Les Catacombes - Histoire du Paris souterrain. De 
Gilles Thomas. 
Edition Le Passage. 
288 pages. 
19 euros.