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Brive rencontres

Courts séjours en Francedossier
Certains y vont pour la Foire du livre qui se tient ce week-end, d’autres juste pour y passer le week-end au gré des lieux et  des personnages forts en couleur qui font la chaleur de la ville.
Au marché de Brive, Thierry vend des volailles. Il est formel, «le plus long, c’est la cuisson.»
par Michel Fonovich, Envoyé spécial à Brive-la-Gaillarde
publié le 6 novembre 2015 à 18h06
(mis à jour le 6 novembre 2015 à 18h56)

Chaque premier week-end de novembre, des éditeurs et des écrivains entreprennent de migrer jusqu’à Brive-la-Gaillarde où se tient la Foire du livre. Beaucoup descendent de la capitale à bord d’un train spécial surnommé le «train du cholestérol», car on y sert quelques plantureux repas assortis de bonnes bouteilles. Il ne s’agit là, cependant, que de modestes préliminaires. Ces agapes et réjouissances en appelleront d’autres dans la vieille cité dont les habitants ont été élevés au magret de canard et au foie gras. La vérité, c’est que tout le monde veut participer à l’événement et pas seulement par amour de la littérature. Ainsi, Foire du livre ou pas, il y a toujours de bonnes raisons de se frotter à cette gaillarde de Brive.

1 - Courses au marché

Il a suffi d'une chanson à Georges pour assurer une renommée éternelle au marché de Brive-la-Gaillarde. Sur place, malheureusement, il faut déchanter. Peu de chance en effet de voir au petit matin quelques douzaines de gaillardes se crêper le chignon à propos de bottes d'oignons. Non, pas d'échauffourée sous la grande halle mais, à la place, des rangées d'étals ployant sous les produits de la campagne corrézienne. Quinze ans que Léon fait le marché, quinze ans qu'il lance à la cantonade un vibrant : «Tout est bon chez Léon !» Sous la visière de la casquette, l'œil est malicieux. «Je viens de Tulle, le pays de François. De retour à Paris, vous lui direz qu'il nous donne quelques sous. Avec 700 € de retraite, j'ai juste le droit de mourir.» Derrière lui, Thierry vend des volailles. Si on veut en manger, il faut d'abord les occire puis les plumer et les vider. Thierry est formel : «Le plus long, c'est la cuisson.» Ou acheter chez Paul une figue fourrée au foie gras : on peut la déguster sur le champ sans même devoir lui couper le cou.

2 - Promenade au village de Turenne

Auprès de sa butte surmontée d'un château, le village de Turenne vit heureux à seulement une quinzaine de kilomètres de Brive. Classé, à juste titre, parmi les plus beaux villages de France, il offre au promeneur qui déambule dans ses ruelles un voyage entre XVe et XVIIIe siècles, entre tours et échauguettes. Depuis longtemps déjà, sa splendeur n'est plus un secret partagé entre seuls Limousins. Quelques vénérables demeures ont trouvé acheteurs du côté de la Hollande, du Luxembourg, de l'Angleterre, des Etats-Unis et même du Venezuela. Dans ce pays de Cocagne, tous ont trouvé à Turenne le village idéal.

3 - Repas chez Francis

Francis est en cuisine qui surveille avec gravité ses casseroles, il y a aussi Franck, le fiston. Dominique est en salle qui trottine d’une table à l’autre, le sourire aux lèvres et les bras chargés d’assiettes. On en redemande.

Et les éditeurs les premiers qui réservent leurs tables d'une Foire à l'autre. Des convives célèbres pour témoigner de leur satisfaction ont pris l'habitude d'écrire ou de dessiner sur les murs. Certes, ils félicitent le chef pour ses talents, mais ils ont toujours un mot pour évoquer la chaleur du lieu, son ambiance «les copains d'abord». Certains sont morts et on ne s'y habitue pas : Charb, Tignous, Wolinski…

4 - Digestif chez Denoix

Ils auraient pu s'appeler Pommier et faire du calvados ; ils s'appellent Denoix et fabriquent la même liqueur de noix depuis la fin du XIXe siècle. La recette a été mise au point par Louis, l'arrière-grand-père. Aujourd'hui, c'est Sylvie qui a pris la relève après avoir renoncé à sa profession d'infirmière. Outre la noix, la coriandre, le fenouil, la menthe, le chocolat ont inspiré la création d'autres alcools. L'établissement est resté dans son jus. Les mêmes foudres de chêne, le même alambic de cuivre impeccablement astiqué. «La liqueur est bonne si on oublie qu'il y a du sucre, souligne la patronne. Boire une Denoix, c'est aussi boire un morceau d'histoire, celle d'une même famille dans le même lieu depuis cent cinquante ans.» Attirés par le savoir-faire unique de la maison, des Chinois ont envisagé l'acquérir. Peine perdue. Ils sont repartis penauds avec sur les bras leur proposition.

5 - Exercices aux CAB

Qui dit Brive, dit rugby. Depuis 1912, la ville tout entière pousse derrière son équipe. Ayant connu des hauts et des bas, le Club athlétique de Brive (CAB) gardera toujours dans son cœur Amédée Domenech, un fameux pilier ayant sévi dans les années 50 et 60. Le stade porte son nom, c'est dire l'aura de celui que l'on surnommait «le Duc». Un sacré personnage qui ne manquait ni de force ni d'esprit. A un adversaire borgne qui lui faisait des misères, il ficha un coup-de-poing dans son œil valide en lui souhaitant haut et fort : «Bonne nuit, monsieur !» C'est dans la tribune sud que l'on peut voir, les soirs de match, une étrange silhouette. Une cape noire, des collants noirs avec, par dessus, un slip léopard maintenant, tant bien que mal, des génitoires excessivement trapues : il s'agit de Gaillard Man, le superhéros qui veille sur le destin des joueurs du CAB. Venu de la planète Pro D2, il n'a pas l'intention de quitter la constellation Top 14.

6 - Clubbing au Cardinal

Isolé sur les quais de la Corrèze, un bâtiment falot affiche en lettres capitales sur sa façade cette inscription : Le Cardinal club de nuit. Ne pas se fier à sa mine car, dans ses entrailles, ça balance pas mal. Certains week-ends, les joueurs du CAB viennent y célébrer une troisième mi-temps épique provoquant un grand branle-bas chez les poulettes qui rêvent de se blottir contre un torse puissant le temps d'une chanson tendre d'Eros Ramazzotti. Durant la Foire du livre, éditeurs et écrivains oublient le protocole. On a vu Jean Teulé, assisté de Bernard Pivot, lancer de frénétiques «à la queue leu leu », Christine Angot galocher pour la première fois Doc Gynéco en pensant que ça pourrait faire un livre, Amélie Nothomb s'employer à… mais jetons un voile pudique sur ces folles soirées qui, au matin, vous laissent parfois, comme on dit à Brive, «aussi frais qu'un bol de pisse».