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Libération
Reportage

Lyon sur les lieux des crimes

Courts séjours en Francedossier
Bandits, régicides, ripoux, proxénètes… les traboules regorgent de coupe-gorge où se sont déroulés crimes et arrestations depuis le Moyen Age. Balade en flag.
Rue de la République, une plaque rappelle que le soir du 24 juin 1894, l’anarchiste Caserio poignarda à mort Sadi Carnot. (Photo Félix Ledru)
par Maïté Darnault, Correspondante à Lyon
publié le 15 janvier 2016 à 17h31

Certains attribuent à Lyon le titre de «capitale du crime» : la ville s'étant notamment distinguée dans les années 70-80 par nombre d'affaires qui virent rivaliser truands et flics pas toujours blanc-bleu. Ce n'était pas une nouveauté. Les plus anciennes histoires remontent à l'Antiquité, d'autres sont toutes récentes. «Ce sont souvent les affaires non résolues qui marquent les mémoires, car il y a des épisodes, des retournements de situation», explique Nicolas Le Breton. Guide et écrivain, cet admirateur de Truman Capote propose, depuis 2010, un parcours «Crimes et faits divers» sur la presqu'île. Par une triste journée où le ciel bas et lourd plombait l'horizon, on a décidé de le suivre.

Place Bellecour

Au départ de la place Bellecour, la boucle commence au 85 rue de la République, où subsiste la façade du théâtre Bellecour. Dans les années 1880, l'endroit est surnommé «l'Assommoir». Au sous-sol, se trouve une taverne où viennent s'encanailler les bourgeois. Le 22 octobre 1882, l'assistance se paie une grosse frayeur : une bombe explose, seuls des blessés sont à déplorer. La police attribue le coup aux anarchistes, nombreux à Lyon, dans la lignée des révoltes des canuts qui ont agité le siècle. Le coupable est tout désigné : Antoine Cyvoct, auteur du Droit social, une feuille de chou révolutionnaire. Bien qu'il clame son innocence, il est envoyé au bagne en Nouvelle-Calédonie. Le forçat finit par être gracié. A son retour, pour défendre la cause des bagnards, il décide de se présenter - sans succès - aux élections. Une honte pour un anarchiste, selon le verdict sans appel de ses camarades.

Rue Jacques Stella

Au 4, rue Jacques Stella, un night-club a remplacé le John’s. Dans les années 60, ce bar à hôtesses est bien connu des clients qui aiment prendre le large discrètement. Car l’arrière donne sur une traboule, ces passages reliant toutes les cours intérieures des vieux quartiers lyonnais. En juin 1973, rien ne va plus entre le gang des Lyonnais et Jean Augé, alias P’tit Jeannot, le parrain du milieu. Bandit manchot, tripots clandestins, gagneuses, braquos : tout est sous sa coupe. Sauf que ces temps-ci, les jeunes en charge des hold-up, parmi lesquels Edmond Vidal, dit Momon, ont des velléités d’indépendance que goûte peu Augé. Prétextant un business à monter, le boss exige une grosse somme. Puis il finit par annoncer à Momon qu’il ne rendra pas l’argent. La même semaine, le bruit court dans les arrière-salles enfumées que Jean Augé vient de s’acheter, cash, un bar rue Stella, le John’s. L’ancien barbouze en Algérie nargue ouvertement la jeunesse. Quelques jours plus tard, il se fait descendre de plusieurs balles à Caluire-et-Cuire, en banlieue de Lyon.

Rue de la République

Retour rue de la République, où une plaque rappelle que le soir du 24 juin 1894, l'anarchiste Caserio poignarda à mort Sadi Carnot. Au sol, une brique rouge indique l'endroit où fut porté le coup. Le président de la République, élu en décembre 1887, s'était rendu à Lyon pour l'exposition universelle. Ce jour-là, après un banquet au palais de la Bourse, il doit se rendre au théâtre. Pour éviter que les Lyonnais le voient «entre sabres et baïonnettes», les gardes se placent devant et derrière la voiture à cheval, et non sur ses côtés. Une brèche suffisante pour Sante Geronimo Caserio, garçon boulanger, qui frappe avec un couteau au manche noir et rouge, s'écriant : «Vive la révolution, vive l'anarchie !» Sadi Carnot, touché à l'aorte, décède d'une hémorragie dans la nuit. Devant les assises, Caserio ne renie rien. Et avant d'être guillotiné, il chasse le curé venu le confesser.

De Bellecour aux Célestins, un fait divers semble se cacher dans chaque rue de la presqu’île lyonnaise. Photo Félix Ledru

Rues de Brest, Dubois, Mercière et Grenette

Au Moyen Age, le pâté de maisons formé par les rues de Brest, Dubois, Mercière et Grenette était, à deux pas du quai Saint-Antoine, une place commerçante. C'est aussi là qu'avaient lieu les exécutions. En 1536, Sebastiano de Montecuculli y est écartelé : la sentence réservée aux régicides. Quelques mois plus tôt, en plein été, le comte assiste, sur le terrain de jeu de paume qui borde la Saône, à une partie débridée entre les deux fils de François Ier : François et Henri. A la pause, Sebastiano de Montecuculli, écuyer du premier, lui apporte une cruche d'eau glacée. Le prince fait un malaise, crache du sang. Il meurt la semaine d'après. Montecuculli est accusé d'empoisonnement. Passé à la question, il avoue. Plus tard, médecins et historiens se pencheront sur les raisons de ce décès. Leur diagnostic, loin de toute conspiration : un épanchement pleural fatal.

Rue des Archers

Dans les années 60-70, bouges et hôtels de passe pullulent autour de la place des Célestins. Beaucoup d’affaires ont démarré dans ce mouchoir de poche. En juillet 1969, au Grillon, rue des Archers, la bande de Guy Renaud fête un gros coup. Une rixe avec un autre client éclate, Guy Renaud tire et tue. Début de la cavale. Il y gagne ses surnoms : «le dingue de la gâchette», «l’ennemi public numéro 1». Il est rattrapé et passera dix-sept ans à l’ombre. En 1976, c’est là encore qu’est arrêté Michel Lamouret, l’un des tueurs présumés du juge Renaud. C’est ici aussi que tombe, en 1972, le commissaire Javilliey, mouillé dans une histoire de proxénétisme. Le supposé ripou est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis, avant d’être relaxé en appel en 1974. Mais l’Etat en a profité pour se livrer à une vaste épuration de la brigade des mœurs lyonnaise. Drôle de bégaiement de l’histoire, en 2011, est arrêté le commissaire Neyret, numéro 2 de la PJ de Lyon… accusé d’accointances avec la pègre locale.

Nicolas Le Breton a eu parmi ses visiteurs un vieux monsieur qui semblait en savoir long sur certaines étapes. A la fin du tour, il s’est présenté : Charles Javilliey. Le guide se serait bien livré à un interrogatoire en règle du commissaire déchu. Mais le temps de répondre à la question d’un client, l’homme lui avait filé entre les doigts.