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Rencontre

«Rio Nosso» remporte le Grand prix de la fondation d'entreprise Michelin

Carnets de voyagedossier
Retour sur le livre et le travail des deux auteures à l'occasion d'un entretien réalisé au moment de la sortie du livre. Une rencontre illustrée par la suite par Johanna.
publié le 21 avril 2016 à 9h59
(mis à jour le 18 novembre 2016 à 23h02)

On doit l'avouer, au début de la rencontre, on n'était pas totalement sur la même longueur d'onde… Pour nous, Rio Nosso , le carnet de voyage de Johanna Thomé de Souza (l'illustratrice) et Camille Lebon (l'auteure des textes) qui a remporté vendredi 18 novembre le Grand Prix de la Fondation d'Entreprise Michelin (1), était l'aboutissement réussi d'un travail découvert il y a quelques années à l'occasion du concours Libération-Apaj. Des planches superbes, colorées, poétiques… Grouillantes de vie et d'énergie. Légères et drôles, avec leurs scènes de rues remplies de petits personnages rigolards et bordéliques.

Un Rio tel qu'on l'imagine avec sa farandole de clichés mêlant danse et alcool, favelas et fesses rebondies, fruits sucrés et policiers casqués… Le tout, raconté par deux petites Françaises un peu paumées. Bref, comme l'écrivait Camille, dessinée tongs aux pieds, affalée sur une chaise en plastique dans une des pages d'introduction: «10000 nouvelles personnes dans ma vie, des chats, un moço (un homme), une agression au parapluie, des inondations, trop de bière… Ça fait beaucoup.»

On pensait donc surfer sur cet air de samba… Mais il a fallu recadrer la rencontre quand les deux auteures, remontées comme des lapins Duracell, ont commencé à parler de la destitution en cours de Dilma Rousseff, crier au coup d’Etat et revendiquer la dimension politique de leur ouvrage… Diantre, on avait peut-être raté quelques épisodes! Alors, on les a écoutées raconter leur histoire.

Le livre

Johanna: «70 % des grands dessins ont été faits quand j’étais au Brésil (entre 2010 et 2013; même si, depuis, je n’ai cessé de faire des allers-retours) et j’ai exposé assez rapidement. Mais je trouvais intéressant de contextualiser ces dessins parce qu’ils racontent l’histoire d’une ville et d’un pays. J’ai donc demandé à Camille d’écrire les textes. On s’est alors retrouvé avec une jolie matière et on s’est dit que cela valait le coup d’en faire quelque chose: une série d’articles ou un livre… Du coup, on a monté plusieurs formats. Et on a été contacté par une éditrice de La Martinière.»

Le travail en commun

Camille: «Cela s’est fait assez rapidement. On avait au départ beaucoup de dessins. On a fait des listes de ce que l’on voulait dire, de tous les thèmes que l’on voulait aborder, et, assez rapidement s’est dégagé l’axe du livre: commencer par les clichés, rentrer dans la routine de la vie quotidienne, puis aborder des problématiques plus complexes sur la société, la politique… En fait, dès l’expo, il y avait ces trois thématiques. Ce qu’on aimait, c’était aussi l’idée de pouvoir passer de l’un à l’autre. Comme dans la vie. Raconter le prix des aliments au supermarché dans un dessin puis, en croisant un SDF dans la rue, poursuivre avec une réflexion sur la pauvreté. Le défi, pour moi était d’adapter les idées à l’existant. Pour arriver à un dialogue. On a ensuite multiplié les petits textes et les nouveaux dessins, pour que l’ensemble soit plus vivant.»

Johanna: «D’autant que nous avons vécu deux Rio très différents avec des expériences qui n’avaient rien à voir l’une avec l’autre. Au début, on était toutes les deux assez désespérées de nos vies. Pour plein de raisons… Puis, petit à petit, je me suis senti extrêmement bien avec plein de sorties, d’effervescence, d’énergie… Camille, elle, n’arrivait pas a s’adapter, avec une vie plus casanière et un mari sobre (rires), pas de télé - ce qui est comble là-bas… On a joué sur cette dualité.»

Le Brésil

Johanna: «Le Brésil? C’est peut-être profiter de tout ce qu’il y a de meilleur dans la vie. L’optimisme, en dépit de tout… Il y a trois Rio. Celui de la zone Nord, des favelas très populaires; le Rio du centre, la ville qu’on voit partout; et la zone sud, celles des très riches. Et il n’y a pas d’interpénétration. Ils ne se mélangent jamais.

En tant qu’étrangère - et curieuse et… un peu téméraire (sourire)- je suis allée partout. Mais c’est rare. Les pauvres ne sont pas acceptés dans les endroits des riches mais l’inverse est également vrai. Tout est vraiment casté, divisé, en fonction de la couleur de la peau et de la réussite sociale… Un exemple, il y a des portiers dans tous les immeubles. Le nombre de fois où mes amis métis sont restés dehors. Il fallait que je descende les chercher. Et ensuite, ils devaient prendre l’ascenseur de service à cause de leur couleur de peau. Ça, c’est le quotidien de Rio. Alors quand j’entends parler de mixité, cela me rend malade. Et maintenant, on voit la remise en cause du système démocratique… C’est vraiment effrayant.»

En conclusion

Camille: «On a essayé de transmettre trois idées et demi. Au final, on a fait sourire les gens, on les a fait marrer, on les a peut-être éloignés des clichés habituels… Et de notre côté, à travers tous ces moments de vie, on a grandi, mûri, on assume mieux nos contradictions.»

Et demain?

Johanna: «Je dessine parce que c’est ma manière d’appréhender le monde. Et la seule chose qui m’intéresse finalement. Vivre et raconter. Je l’ai toujours fait et j’imagine que je le ferai toujours parce que je ne sais pas faire autrement. Donc pour l’instant, j’attends juste avec impatience que tout ce tohu-bohu se calme et que je puisse retourner à ma plume et mes crayons. Et au Brésil.»

(1) Etaient égalemement sélectionnés Nicolas Barberon pour «De lignes en ligne, l'art discret du croquis de métro» (éditions Eyrolles), Florent Chavouet pour «L'île Louvre», (Futuropolis), Jeremy Collins pour «Dessins à la verticale, Carnets de Voyages en Paroi» (Glénat), Nicolas Jolivot pour «Shanghai, promenades» (Hongfei Cultures), Stéphanie Ledoux pour «Rencontres autour du monde» (Elytis), Vivi Navarro pour «Kruzenshtern, à bord du dernier cap-hornier russe» (Magellan & Cie).

Rio Nosso

, de Camille Lebon et Johanna Thomé de Souza. Editions de la Martinière. 240 x 310. 192 Pages. 30 euros.