Alors qu'elle n'était, il y a encore quelques années, qu'un passage obligé sur la route des plages ou des vins, Bordeaux est devenue un lieu de séjour à part entière. On vient y admirer son patrimoine hérité du XVIIIe siècle et son unité architecturale classée à l'Unesco. Mais au-delà des belles façades classiques, la ville réserve quelques surprises à l'amateur de bâtiments contemporains. Christophe Gautié, architecte bordelais, fondateur de l'agence Flint, nous emmène à la découverte de cette autre cité négligée des dépliants touristiques.
La Cité des civilisations du vin, par Anouk Legendre et Nicolas Desmazières. Photo Constant Formébècherat. Hans Lucas
Les quais de la Garonne
La promenade des quais qui longe la Garonne sur 4 kilomètres en centre-ville est devenue le point de rassemblement de toute l'agglomération. Chacun s'est approprié une partie de l'œuvre de l'urbaniste Michel Corajoud. On vient y faire du vélo, s'entraîner à slalomer à rollers, paresser sur un banc, pique-niquer, faire du shopping et même s'y tremper les pieds. «Avant le réaménagement des quais, nous avons remporté le concours pour la rénovation du Hangar 14 [situé sur ces quais, ndlr], se souvient Christophe Gautié. A l'époque, on était dans une période de transition entre l'activité portuaire et un autre usage qui n'était pas encore déterminé. Mais on se disait que cela finirait en promenade. Et c'est une vraie réussite. Le mélange des populations s'est fait spontanément. Le miroir d'eau n'était pas destiné à devenir une piscine, mais c'est formidable. Ce qui manquait à Bordeaux, c'était ce brassage des genres. La mue d'une ville bourgeoise vers une ville plus cosmopolite.»
Le quartier Mériadeck
Les visiteurs le délaissent généralement. Pourtant le quartier Mériadeck fait partie du périmètre de la ville classé sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Cet ensemble architectural typique des années 60 avec ses immeubles en croix et ses deux niveaux de circulation, un pour les voitures, l'autre pour les piétons, a été reconnu comme présentant un intérêt manifeste par les experts de la sauvegarde du patrimoine. Christophe Gautié le confirme. Il a choisi d'y vivre. «C'est un quartier en hauteur avec une faible densité, de grands espaces dans les appartements, des balcons, du soleil… Voilà pour le point de vue du propriétaire. Du point de vue de l'architecte ou du visiteur, Mériadeck est un vestige dans son jus d'une certaine idée urbaine des années 60. C'est un témoignage du passé de ce qu'on a cru être la ville de demain. A une époque où la voiture faisait la loi, on pensait que le bonheur consistait à séparer le piéton de l'automobiliste. C'était une idée utopique de séparation des flux.» Aujourd'hui, Mériadeck reste difficilement décryptable pour le non-initié. Les escaliers qui mènent aux passerelles en hauteur ne sont pas toujours bien identifiés. Mais c'est peut-être ce côté secret qui fait son charme. «Les gens se perdent ici. Ils ne comprennent pas comment ça marche, alors qu'il y a trois rues !» s'exclame l'architecte.
La Bourse du travail
Imaginée par Jacques D'Welles, l'architecte en chef de la ville de Bordeaux, à l'initiative du maire socialiste Adrien Marquet, la Bourse du travail est une remarquable illustration de l'architecture Arts-Déco. Il s'agissait à l'époque (1938) de créer un bâtiment plus grand pour accueillir les syndicats, mais aussi d'offrir «un palais pour le peuple… qui a bien le droit de profiter de l'art et des richesses qu'il contribue à édifier», selon les mots du maire. Et quel palais ! 6 % du budget de la construction a été alloué à la décoration. La façade s'orne notamment d'un superbe bas-relief d'Alfred Janniot qui avait déjà réalisé les décorations du Palais de la porte Dorée, à Paris. Pour Christophe Gautié, amoureux de ce monument, c'est le vestige d'une architecture qui n'est plus possible aujourd'hui. «C'est un bâtiment d'avant-garde, soigné, généreux, avec de beaux volumes et de belles lumières, des mosaïques… et qui est destiné à ceux qui ne sont pas les plus nantis.»
La caserne des pompiers de la Benauge
La caserne des pompiers de la Benauge par Claude Ferret, Yves Salier et Adrien Courtois. Photo Constant Formébècherat. Hans Lucas
Un temps menacée de démolition par des esprits chagrins qui n’y voyaient qu’une verrue en contradiction avec les façades en pierre de la rive opposée, la caserne des pompiers de la Benauge a finalement été inscrite à l’inventaire des monuments historiques en 2014. Un sauvetage qui rend hommage au travail des architectes Claude Ferret, Yves Salier et Adrien Courtois qui l’ont construite en référence au fonctionnalisme théorisé par Le Corbusier.
Si le bâtiment a perdu de son lustre, et notamment sa façade en aluminium réalisée par Jean Prouvé, la caserne reste remarquablement bien conçu pour son usage. Les logements des pompiers situés dans les étages permettent de descendre directement dans le hangar à camions. La tour située dans la cour sert aux entraînements et à faire sécher les tuyaux. Tous ces équipements, conçus en 1950, sont encore d'actualité aujourd'hui. Et pourtant, comme le souligne notre architecte-guide, c'est un lieu qui se «prête facilement à une réutilisation. On peut imaginer y créer un hôtel ou des logements. Le garage à camions pourrait devenir un marché. Et puis, ce bâtiment offre la plus belle vue sur Bordeaux». En attendant, les pompiers sont encore là jusqu'en 2020, le temps de leur construire une nouvelle caserne.
Le pont d’Aquitaine
Le pont d’Aquitaine, construit en 1967. Photo Constant Formébècherat. Hans Lucas
Pour quitter Bordeaux en beauté, il faut emprunter le pont d'Aquitaine. Majestueux ouvrage suspendu à la sortie de la ville, l'édifice, construit en 1967, a permis de désengorger le pont de Pierre qui, depuis 1822, était l'unique moyen de franchir la Garonne. «Pour ma part, je le trouve d'une brutalité déconcertante, expose Christophe Gautié. Quand on arrive de la rive droite vers la rive gauche, il y a 50 mètres de dénivelé. C'est une longue descente pour arriver à Bordeaux. C'est comme les marches de Cannes, la ville se mérite. Mais cela reste un très bel objet dans le paysage, toujours impressionnant.» Summum de la technologie de son époque en raison des nombreuses contraintes cumulées, le pont d'Aquitaine reste une référence pour les jeunes architectes, qui le choisissent souvent comme sujet d'étude pour leur diplôme.