A Hongkong, on monte et on descend. Sans cesse. Et à chaque fois, un nouveau monde s’ouvre. La montagne, couverte de forêt subtropicale, domine la forêt de gratte-ciel. La plage s’offre à quelques encablures. C’est peut-être la seule ville où l’on marche pieds nus, en chaussures de randonnée et en talons aiguilles dans la même journée. L’ancienne colonie britannique, à cheval sur l’histoire comme sur la géographie, est à la fois une île, un archipel et une péninsule, le tout posé à l’extrême sud de la Chine. Visite express d’un territoire redevenu chinois en 1997, qui a conservé son autonomie et sa monnaie.
1 En suspension
«Une forêt de ciment» : voilà comment une Chinoise résume sa ville d'adoption. Et comme les singes dans la canopée, on peut ne pas mettre le pied sur terre durant toute une journée, se propulsant d'un quartier à l'autre par un entrelacs de passerelles, parfois embarqué malgré soi dans un looping à l'horizontale au-dessus d'un carrefour. D'un escalator à un tapis roulant, étourdi par les prix stratosphériques affichés dans les boutiques de luxe du centre-ville, on a vite fait de franchir deux ou trois rues sans s'en apercevoir. Une petite laine sur les épaules, la climatisation étant réglée sur des températures dignes du Touquet en mars, on perd le sens de l'orientation, on oublie qu'il fait 35°C dehors et que la pluie menace.
2 En haut
Hongkong est une ville verticale. Toute adresse qui se respecte se décline avec un «F» comme floor (étage). Les tours résidentielles de standing ont tout du village : les habitants s'y croisent à la crèche ou à la salle de sport, et le trajet en ascenseur tient de l'omnibus. Les hôtels bon marché comme les restaurants sont au sous-sol, au 14e, au 39e étage, parfois à tous les étages… En l'absence de vitrines sur la rue, le must est de connaître les bonnes adresses. Comme le Geronimo où, en fin de semaine, une foule d'expatriés éméchés s'enfile des shots wasabi-tequila-jus de tomate, avant de tanguer dans le dédale d'escaliers et de ruelles du quartier de Lan Kwai Fong, rue de la Soif locale. Les rooftops sont aussi une denrée très recherchée. Au 118e étage de l'International Commerce Centre, à l'extrémité de la péninsule de Kowloon, l'Ozone se targue d'être le bar le plus haut du monde. Mais à 484 mètres, tenue correcte exigée, on n'y admire souvent que les nuages à travers la baie vitrée… De l'autre côté du port Victoria, l'immense belvédère de l'International Finance Centre qui lui fait face est moins vertigineux mais plus sympa, avec son enfilade de terrasses à lampions, ses arbres aux troncs aussi larges que des compagnons de boisson et ses bancs publics. Dans la brise marine, on domine le détroit et sa myriade de bateaux, ferries des années 50, porte-conteneurs, bateaux de pêche, et l'on se prend à craindre que les deux rives ne finissent par se rejoindre, vu les travaux de titan en cours des deux côtés pour grignoter sur la mer.
3 Au ciel
Depuis le pic Victoria, la bataille des géants de béton et de verre semble modeste. Au centre de l’île de Hongkong se dresse une montagne. Un charmant téléphérique y mène, si l’on affronte la queue interminable. Avec quelques heures devant soi, le mieux est de faire confiance à ses mollets. Pour commencer, emprunter le plus long escalator du monde, qui s’étire sur 800 mètres à travers le quartier de Soho et ses faux airs de San Francisco. On est tenté de prendre la tangente à tous les étages. De tous côtés, ruelles, terrasses, restaurants, mais aussi mosquées centenaires ou cathédrales. La religion et la superstition sont partout, reflet du multiculturalisme de l’ancienne colonie britannique. Dans chaque encoignure de rocher, chaque mètre abandonné, la végétation subtropicale prend ses aises, les racines volant à la verticale le long des murs. Dans le jardin zoologique, accroché à la falaise, singes et lémuriens dansent de branche en branche. La côte est raide, la nuit tombe tôt sous ces latitudes : un bus vous mène en haut du pic. La vue y est spectaculaire : la ville n’est plus qu’un jeu de construction, les hydroglisseurs filent vers Macao, les montagnes s’alignent à l’horizon. Dans les Nouveaux Territoires, la partie de Hongkong qui se trouve sur le continent chinois, comme dans les 200 îles de l’archipel, la nature domine, les sentiers de randonnée sont légion. On redescend du pic Victoria par des chemins aménagés dans la touffeur et le fouillis de la jungle, débarquant un peu fourbu en pleine ville. Au pied d’une tour, une domestique philippine ramasse les crottes de deux chiens aux pattes chaussées de chics chaussons Adidas : à Hongkong, le contraste se situe aussi entre la pauvreté et l’extrême richesse.
4 Au niveau de la mer
Lamma est la troisième plus grande île de Hongkong. On débarque dans le petit port de Yung Shue Wan en une demi-heure par un ferryvenu deCentral, le quartier d’affaires. De vieux hippies semblent installés là depuis toujours. Il faut dire que la vie s’y écoule d’autant plus tranquillement que les voitures sont interdites. A vingt minutes de l’embarcadère, on nage dans l’eau claire et entre les rochers sur une plage surveillée. Côté jardin, des collines sauvages recouvertes de fleurs. Côté cour, une centrale électrique. Si les randonneurs choisissent les sentiers sportifs et les criques isolées, Lamma offre aux promeneurs un long chemin jalonné d’arbres étrangleurs et de petits temples, de villages à demi abandonnés et de crapauds bruyants. En une heure de marche, on peut boire une bière fraîche dans l’un des restaurants sur pilotis du port de Sok Kwu Won, où les poissons sont présentés vivants dans des aquariums. Qu’importe si des caisses estampillées Cathay Pacific trahissent l’importation : le coucher de soleil sur la baie à marée basse, les drapeaux des pêcheurs claquant dans le vent, le ballet tranquille de petits ferries sont un délice avant de retrouver la frénésie de Central.
5 Six pieds sous terre
Les «ding ding» demeurent l’un des charmes de l’île de Hongkong depuis plus d’un siècle. Des tramways hauts sur roues, aussi lents que bon marché. Du haut du premier étage, le coude dehors, on se laisse brinquebaler sans s’en faire - le trajet coûtera dans tous les cas 2,30 dollars de Hongkong (environ 25 centimes d’euros). Au terminus Happy Valley, près de l’hippodrome, se trouvent les plus vieux cimetières (juif, hindou, musulman, chrétien, zoroastrien…) de la ville. Sur les pierres tombales du cimetière colonial, rangées en terrasses dans le silence et la végétation, se lisent les drames intimes de l’occupation britannique. Quand femmes, enfants, soldats, commerçants, aventuriers étaient emportés par les épidémies ou les typhons et mouraient à 20 ans dans les bagarres des bas-fonds ou sur des champs de bataille oubliés, loin de leur petit village écossais ou gallois. A quelques kilomètres, dans le cimetière chinois de Pok Fu Lam, les tombes sont désormais empilées, faute de place. A Hongkong, même la mort se décline à la verticale.