«Je me souviens de mon arrivée en bateau sur l’île de Taquile (au milieu du lac Titicaca, au Pérou) et de l’accueil au port des autorités qui vous assignent une maison ; ce sont elles qui décident où vous allez séjourner. C’est une organisation sociale et politique très particulière que celle des Quechuas, héritée du collectivisme des Incas. […] C’est une démocratie très ancienne, locale et participative, dans laquelle prévaut le consensus, avec des règles d’élection particulières. Vous ne pouvez pas vous présenter, vous êtes désigné, et non pas vous seul, mais en couple, au nom de la dualité andine : principe féminin - principe masculin, car tant que les deux principes ne sont pas réunis, le monde n’est pas complet. Donc on élit toujours un homme et une femme ensemble.
«Cette élection est une charge pour les familles qui ressortiront de ce mandat souvent plus pauvres qu’en y entrant. C’est finalement une manière de remettre les pendules à l’heure en termes d’égalitarisme. Si vous avez donné satisfaction, alors dans un, deux ou trois ans, vous serez à nouveau désigné et élu à une fonction supérieure… Ainsi vous pourrez gravir tous les échelons de la politique. Cette méfiance instinctive du pouvoir ira même jusqu’à ne jamais confier le poste le plus important à la personne qui a le plus grand charisme.
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«C'est une sacrée leçon de démocratie dans ses règles et dans sa pratique, car une fois élu, le conseil va convoquer le peuple le dimanche sur la place de village - c'est l'agora - et là, les autorités vont discuter avec les habitants des décisions qu'il faudrait prendre. S'ensuit une discussion qui peut durer toute la journée car il faut l'assentiment du peuple réuni, et il est hors de question pour les élus de déroger à la règle : ils seraient révoqués immédiatement.On est très loin de ce qui se passe quand on fait un 49.3 en France.
«On dit toujours que cette démocratie ne peut fonctionner que dans des cercles où il n’y a pas beaucoup d’habitants comme à Taquile, sauf que j’ai vu ce fonctionnement démocratique dans beaucoup de communautés autochtones d’Amérique latine et, si on fait le total, on arrive à 50 millions de personnes.»