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Australie

Lueurs sur l’Ayers

Voyage en terres d'ethnologie avec le Quai Branlydossier
Avec ses 50 000 tiges lumineuses installées autour du célèbre «Rock», l’artiste Bruce Munro nous invite à une balade dans les Territoires du Nord, au cœur du pays sacré des Aborigènes.
L’installation du Britannique Bruce Munro près de l’Ayers Rock (Uluru). (Photo Jeremy Suyker)
par Michel Fonovich
publié le 29 juillet 2016 à 17h51
(mis à jour le 3 janvier 2018 à 11h48)

Là-haut, c'est l'outback, littéralement le «dehors et derrière», c'est loin et sauvage. Là-haut, c'est le Nord, le Territoire du Nord où la grande majorité des Australiens résidant dans les grandes villes du Sud et de l'Est n'ont jamais mis les pieds. Le tropique du Capricorne ? Ils en ont entendu parler. Alice Springs ? Quel drôle de nom pour une ville ! Uluru, ce colossal monolithe pointant au-dessus d'un désert rouge et autrefois nommé Ayers Rock ? Ils l'ont vu en photo comme tout le monde, et ça leur suffit. Mais il ne faut pas désespérer, un artiste britannique pourrait bien les décider à faire le voyage. Promenade dans les jardins de pierre d'Australie

1- Champ de lumières à Uluru

C’était il y a vingt-quatre ans. Après huit années passées en Australie à faire mille petits boulots, Bruce Munro envisageait de rentrer chez lui, en Angleterre. Mais impossible de quitter les antipodes sans être allé au préalable à Uluru. Sa Toyota, oubliant ses rhumatismes et autres infirmités liées au grand âge, l’avait traîné à travers les déserts jusqu’au lieu mythique. Et là, quel choc ! Le rocher, pourtant vu et revu dans des magazines ou à la télé, le laissa la mâchoire pendante et la larme à l’œil. Submergé par l’émotion, il notait sur un carnet cette idée farfelue : disposer au pied du géant de grès un parterre de lumières… Voilà qui vient d’être accompli ! Celui qui, entre-temps, s’est fait connaître avec ses installations électriques, après une brève incursion du côté de la peinture, a concrétisé son rêve en plantant dans la terre rouge 50 000 tiges longues d’une cinquantaine de centimètres et surmontées d’une ampoule. De la tombée du jour jusqu’à l’aube, ces fleurs de verre s’éclairent délicatement, varient de couleurs comme sous l’effet de la brise en même temps qu’un hallucinant écheveau de câbles luminescents proliférant sur le sol.

Quand on fait remarquer à Bruce Munro les similitudes de son œuvre lumineuse avec la peinture pointilliste des Aborigènes, il s'étonne de ne pas y avoir pensé. Sans l'accord du peuple anangu vivant ici depuis la nuit des temps, il n'aurait jamais pu réaliser son installation si près du mont Uluru, l'un des sites les plus sacrés de la région. C'est ici en effet que s'affrontèrent les Kuniya (Pythons des rochers) et les Liru (Serments venimeux). La bataille marqua la fin du temps du rêve et le début de l'âge des hommes. Les Anangus ont apprécié son «champ de lumières». Ils l'ont rebaptisé dans leur langue Tili Wiru Tjuta Nyakutjaku, ce qui signifie «contempler beaucoup de belles lumières». Il sera possible de se livrer à cette contemplation jusqu'en avril 2017, voire plus tard si le public est au rendez-vous.

2- Tête-à-têtes à Kata Tjuta

Il n’y en a souvent que pour Uluru. Pourtant, son voisin Kata Tjuta, signifiant «plusieurs têtes», est tout aussi impressionnant. Pour être exact, il y en a 36 de tailles et de formes variées. Elles se serrent les unes contre les autres comme pour se protéger des nuits froides du désert. La plus haute se dresse à 546 mètres au-dessus de la plaine. Ernest Giles, l’explorateur anglais qui le premier s’aventura jusque dans ces contrées hostiles en 1872, s’empressa de donner à l’ensemble le nom de «monts Olga» en l’honneur… de la reine Olga de Wurtemberg, alors qu’il avait sous la main la reine Victoria, tête couronnée autrement plus prestigieuse et qui avait déjà fait ses preuves en matière de toponymie. Il convient ici de préciser que son bienfaiteur n’était autre que le baron Ferdinand von Müller, botaniste allemand de renom accessoirement anobli par le roi de Wurtemberg. Tout s’explique.

Avec un peu de chance et un minimum d’effort d’observation, on peut surprendre quelques kanyala, ou «kangourous des collines», bondir entre les buissons. Beaucoup plus facile à détecter : la mouche. En fait, c’est elle qui vous détecte, et elle ne voyage pas en solitaire, plutôt en essaim, et ne vous laisse aucun répit. Tout autour, le désert est assez aimable pour laisser pousser des arbres, en l’occurrence le kurkara (chêne du désert) et des graminées telles que le tjanpi, plus connu sous le nom de spinifex. Aux dernières nouvelles, ce dernier possède des nanofibres qui, combinées au latex, permettent de créer des préservatifs aussi fins qu’un cheveu. Une révolution industrielle est en marche. Elle pourrait apporter des revenus inespérés aux communautés aborigènes.

3- Jardin d’Eden à Kings Canyon

Uluru, évidemment. Kata Tjuta, forcément. Il manquait Kings Canyon, à 300 kilomètres au nord, la troisième merveille du désert, également sacrée pour les Aborigènes. On s’étonne qu’un site d’une telle dimension abritant les précipices les plus vertigineux puisse se découvrir au gré d’une paisible randonnée de seulement quatre heures. On s’étonne de trouver tout à coup au beau milieu d’un espace dominé par la pierre, au fond du canyon, le jardin d’Eden, une forêt d’eucalyptus et d’acacias s’abreuvant à de larges vasques d’eau en compagnie de fougères géantes et de cycadales, grandes plantes surmontées d’un bouquet de très grandes feuilles semblables à des palmes. On s’étonne que, finalement, si peu de personnes viennent admirer ces falaises orange comme coupées au hachoir, dont les plus hautes s’élèvent jusqu’à 270 mètres. On regrette de ne pas avoir le droit de piquer une tête dans l’eau verte retenue au frais entre les flancs de la montagne.

Reportage réalisé avec le concours de l’Office de tourisme d’Australie, l’Office de tourisme des Territoires du Nord et Qantas.

Clair de Lune et «rednecks»

Y aller

Les mois de mars, avril, septembre et octobre sont les plus propices : températures douces pendant la nuit (15° C) et la journée (entre 25 et 30°C). Les précipitations sont à la baisse.

Y dormir

Under a Desert Moon A Kings Canyon (à trois heures d’Uluru et à quatre heures d’Alice Springs). Vastes chambres avec terrasse à l’arrière. Possibilité de manger au clair de lune sous les frondaisons.

Sails in the Desert Hotel Un hôtel de charme à proximité d’Uluru.

Y manger

Glen Helen Homestead Un motel où il vaut mieux ne s’arrêter que pour manger. L’occasion de voir quelques étonnants «rednecks» échappés de la cambrousse.