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Libération
Les Penans de Bornéo

Pour les Penans, le mot «temps» n’existe pas

Inuits, Indiens, Pygmées, Aborigènes… Ils sont près de 370 millions à vivre en Amérique, en Amazonie ou en Australie. Menacés par la mondialisation, ils sont notre mémoire. Aujourd’hui, les Penans de Bornéo, racontés par le linguiste Ian MacKenzie.
(Andrew Garton / Flickr)
par Anne Pastor et David Rochier
publié le 19 août 2016 à 17h12
(mis à jour le 16 septembre 2016 à 16h18)

«Quand j’étais adolescent, j’ai toujours rêvé de découvrir une tribu inconnue. Mais ma rencontre avec les Penans, ce dernier peuple chasseur-cueilleur du monde, est presque due au hasard. En 1991, j’accompagnais un ami dans l’Etat de Sarawak à Bornéo, en Malaisie, et, dans un village reculé, j’ai fait la connaissance du chef du village.

Je me souviendrai toujours de son sourire: il avait des dents d’or. Ça brillait comme le soleil. J’ai d’abord voulu les aider à lutter contre la déforestation, mais je me suis vite rendu compte qu’en tant qu’étranger, je ne pouvais rien faire. En Malaisie, tous les médias sont contrôlés par le gouvernement, et il m’aurait rapidement interdit de séjour. J’avais cependant les moyens de les aider à préserver leur culture et leur langue grâce à ma formation de linguiste. Voilà comment je me suis retrouvé à écrire le premier dictionnaire penan de 150 000 mots et locutions. Le vocabulaire reflète la culture. Par exemple, tous les noms de plantes, d’animaux, d’esprits de la forêt, de tabous, n’existent plus et ne se transmettent plus, mais avec ce dictionnaire, on les retrouve grâce au travail de recherche que j’ai effectué auprès des anciens.

C’est aussi une encyclopédie de la culture. Par exemple, le mot «temps» n’existe pas parce qu’ils ne voyagent pas et que pour eux, le passé est à l’avant car visible ; tandis que l’avenir, c’est en arrière. Dans ce dictionnaire, 75 % des mots n’ont pas d’équivalent en anglais, alors il faut que j’écrive une définition en penan… Ces mots sont comme les reliques d’un passé lointain, des témoins extrêmement importants car il n’y a plus qu’une poignée de chasseurs-cueilleurs qui existent encore aujourd’hui. Il se peut même que des aspects de leur culture soient semblables aux nôtres tels qu’ils étaient il y a 10 000, 20 000 ou 30 000 ans. C’est extraordinaire. Nous, nous avons la chance de connaître notre histoire, notre mythologie, et je veux qu’ils aient les mêmes droits que nous.

D’ici 1 000 ans, même s’ils ont disparu, on pourra lire les mots et les mythes des Penans. Ce n’est jamais assez, mais ce dictionnaire laissera une trace. Pour les Penans et pour le monde.»

Rod Waddington / Flickr