La quête du Graal
«Pour dîner, on vous apporte une bouteille de vin?»En posant cette question, les amis de passage à Alger qui pensent venir dîner les mains chargées d’un cru local n’imaginent pas dans quelle aventure ils se lancent. Depuis quelques années – merci Abdelaziz Belkhadem*- acheter de l’alcool, surtout le vendredi, s’est transformé en véritable quête du Graal. Il faut d’abord savoir où, dans la ville, se trouvent les débits de boissons, sortes de petits dépôts muets, sans façade commerciale, qui cachent à l’intérieur une fiévreuse activité.
Dégoulinants de sueur malgré les ventilateurs, les vendeurs en marcel se croisent dans un espace minuscule pour répondre aux habitués qui se bousculent devant le comptoir où passent et repassent les billets. Là, tout le monde sait ce qu’il vient chercher, les vendeurs ne sont pas là pour vous aiguiller sur le vin à choisir pour accompagner vos plats. Ils sont là pour débiter. Pour les plus fortunés, des bouteilles de vin essentiellement importées d’Europe à plus de 1 000 DA (un peu moins de 10 euros) ou du champagne à 5 000 DA (un peu moins de 50 euros). Pour les autres, des briques de piquette à 200 DA ou des canettes de bière locale coupée à l’eau à 150 DA.
En jouant plus ou moins des coudes, on attend donc son tour dans une odeur douce et âcre à la fois, mélange d’effluves de vin et de testostérone exacerbées par la pénombre. Mais je ne crois pas qu’il existe en Algérie un commerce où l’on soit aussi rapidement servi. Les bouteilles et les cannettes se roulent les unes après les autres dans du papier journal avant d’être glissées en une fraction de seconde dans des sachets noirs. La porte du frigo qui abrite les bières (mais jamais le vin banc, ni le rosé) s’ouvre et se referme au moins cent fois par minute, pendant que d’un coup de couteau, le plastique qui habille les palettes de bières se déchire dans un claquement brusque. Malgré la pression, il y règne une ambiance joyeuse où chacun est rassuré de voir en l’autre un membre de la même confrérie: celle des buveurs d’alcool.
Presque exclusivement concentrés dans le centre-ville, ces dépôts ouvrent et ferment rarement à la même heure. Y trouver votre bouteille préférée n’est pas non plus garanti. Et comme leur objectif est de passer le plus inaperçu possible, ils sont bien sûr invisibles donc aux yeux des profanes qui ne connaissent pas Alger. On peut toutefois les repérer au nombre de voitures agglutinées, parfois en double ou triple position. Car c’est de notoriété publique : si leur nombre a aussi considérablement diminué (depuis 2005, plus de 200 bars et points de vente ont été fermés), ce n’est pas faute de clients. Comme me le rappelle souvent un ami importateur d’alcools, les ventes de whisky et de bière sont en plein boom. Certaines études affirment même que la croissance de la consommation d’alcool en Algérie est supérieure… à la croissance mondiale.
L’État, qui encaisse des millions d’euros en taxes et impôts sur cette industrie prospère, peut boire à la santé de tous ses mécréants.
(Mélanie, février 2013)