Menu
Libération
Extraits

Voyage au cœur de l’artisanat d’art (4)

Bérengère Desmettre a fait la Une de Libération et d’autres journaux, en tant que modèle (1). La voici photographe et enquêtrice aux quatre coins de l’Europe avec un guide amoureux: «Le mouchoir de la duchesse, voyage au cœur de l’artisanat d’art».

Par
Bérengère Desmettre
Publié le 09/12/2016 à 15h41

Prométhée et sa famille suisse

La famille de François a souvent le ventre ouvert, la mécanique mise à l’air, les tripes au vent. Elle n’en est que plus fascinante. La famille de François est hétéroclite et baroque. L’Ange, l’homme qui marche, la jeune fille et l’oiseau, la cantatrice, Pierrot, Petit Mozart, poètes sont les compagnons de François. C’est un fait, une famille comme celle-ci dégorgeant ses engrenages, ses ressorts, ses spirales, me plairait bien, je la trouve infiniment plus magique que celle de ma banale famille biologiquement humaine. J’aime l’atelier où François créé en secret et en grand, les membres toujours plus nombreux de sa famille d’élection.

Dans la petite ville de Sainte Croix, sous la neige, c’est un lieu qui odore les moules et le plâtre. Un lieu qui sent bon la sculpture et les rêves incarnés. Un lieu où, comme dans un jeu de cartes, le monde a la tête dans les deux sens: mains tendues émergeant de la terre, bras tombant du ciel, têtes d’animaux grotesques, corps de bronze entremêlés, reflet dans le miroir et miroir véritable. François règne en prince au milieu de sa grande famille, en prince en blouse avec du plâtre dans les cheveux, et une équipe d’artistes au moulage, montage, soudure, habillage, qui ne le quitte jamais. La famille de François est vraiment une grande famille. L’ancêtre de la grande famille de François est mort, il y a très très longtemps… Le rêve de François est de s’envoler dans une machine à remonter le temps pour aller voir cet ancêtre de cœur en pleine Renaissance Italienne et lui poser moult questions en réponses aux mystères de ces carnets.

Cet ancêtre s’appelle Léonard de Vinci… Le grand-père de la grande famille de François est encore vivant. François le rencontre par l’intermédiaire de son fils en 1980. A cette époque, François poursuit ses études en section micro-mécanique à l’Ecole Technique de Sainte Croix, toujours sous la neige... L’univers de Michel Bertrand l’enchante ; tout un monde d’automates pour lutter contre la morosité du monde. François travaille pendant deux ans, à Bullet, avec Michel Bertrand, et apprend toutes les techniques de fabrication à l’ancienne issues de la tradition des automates de Jacquet-Droz. Il complète sa formation par trois années de dessins et de sculptures à l’école des Beaux-Arts de Lausanne. C’est alors que Michel Bertrand, le grand-père de la grande famille de François, lui dit : Va, mets toi à ton compte. Il est temps pour toi de créer ta grande famille. Nous sommes en 1984, François rentre à Sainte Croix, toujours sous la neige, et au bout de treize semaines, 5% de réflexion et 95% de transpiration, l’Ange paraît.

Il faut avouer que l’Ange n’a rien d’un automate traditionnel. Mais le cœur de François est vaste et depuis lors, sa grande famille entre traditions et innovations se partage équitablement les honneurs de son statut d’automatier-sculpteur, s’établissant, à l’âge adulte, aux quatre coins du monde pour y vivre éternellement...

(1) Supplément en cahier central du 17 septembre 2016.