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Libération
Volcan

Lave story à la Réunion

Les randonnées au cœur du piton de la Fournaise, interdites depuis 2003 en cas d’éruption, vont à nouveau être autorisées et les touristes pourront admirer les coulées de magma du volcan, à condition de suivre un guide professionnel.
Lors du réveil du piton de la Fournaise en juillet 2015. Il est classé parmi les volcans les plus actifs du monde. (Photos Pierre Marchal)
publié le 31 mars 2017 à 17h16
(mis à jour le 3 janvier 2018 à 11h48)

Un pique-nique familial au pied d'un cratère qui crache des lambeaux de lave ; une photo prise au point de rencontre entre la roche en fusion et l'océan bouillonnant. Ces scènes, Réunionnais et touristes les ont vécues durant des décennies, au gré des éruptions du piton de la Fournaise. Jusqu'à l'été 2003. Le 27 août de cette année-là, un étudiant est tombé dans une faille, il est mort carbonisé. L'Enclos, cette immense cuvette où ont lieu la plupart des éruptions, venait d'être rouvert par la préfecture pour permettre aux curieux d'admirer la terre en feu. Depuis, les pouvoirs publics ont interdit l'accès au site dès la moindre éruption. Les Réunionnais ne décolèrent pas. «On nous a confisqué la Fournaise !» gronde l'un. «Le volcan, c'est l'âme de notre île», s'enflamme un autre passionné.

1- Les belvédères naturels

Depuis 2003, donc, les curieux en sont réduits à observer les éruptions depuis deux belvédères naturels qui surplombent l'Enclos, à plusieurs centaines de mètres de la lave : le piton de Bert, au sud, ou le piton de Partage, au nord. D'autres, plus téméraires, descendent «en misouk» («en cachette» en créole) dans l'Enclos. Le mois dernier, un habitant de l'île, Christophe, accompagné d'un ami, Philippe, a décidé de braver l'interdit. Comme il doit déménager à Chambéry en juillet, il a voulu admirer la première éruption de l'année, surgie non loin du Château-Fort, un vieux cratère aux bords crénelés. «Respecter la consigne, c'était me priver d'un spectacle exceptionnel que je n'aurai plus la chance de pouvoir observer.» Pour se rendre sur les lieux, le duo a crapahuté près de trois heures. D'abord facilement, sur des dalles de basalte lisses et rebondies, puis en s'essoufflant sur des pentes de scories noires, ocre, scintillantes. A l'approche du cratère d'où jaillissait un geyser de 50 m de haut, les compères ont traversé un chaos de lave «grattonnée» : des morceaux de magma instables, si coupants qu'ils ensanglantent les mains si vous vous y accrochez. Christophe et Philippe en sont revenus «émerveillés» mais comprennent l'interdiction préfectorale : trop difficile pour le grand public.

L’éruption précédente, en septembre 2016, avait été beaucoup moins impressionnante, et la fissure s’était ouverte à seulement trois quarts d’heure de marche du portail d’accès. Ainsi, il suffisait de suivre un ancien sentier parfaitement balisé pour s’en approcher. Une simple balade, pourtant également interdite.

2- Bourg-Murat, la cité du volcan

Pour le chef d'état-major de zone et de protection civile, le colonel Hervé Berthouin, ce comportement inconscient justifie les mesures de précaution. «Si on laissait les éruptions libres d'accès, il y aurait d'autres accidents», prévient le monsieur sécurité de la préfecture. Qu'en pensent les spécialistes ? Le directeur adjoint de l'Observatoire volcanologique du piton de la Fournaise, Philippe Kowalski, ne sous-estime pas les risques mais juge, lui, que le volcan réunionnais, effusif,est sans grand danger, contrairement aux explosifs, les plus courants sur la planète. Pour en savoir plus, les touristes peuvent s'arrêter dans le village de Bourg-Murat et découvrir la Cité du volcan. Des hologrammes et l'utilisation de la réalité augmentée plongent le visiteur, qui traverse un tunnel de lave reconstitué, dans l'ambiance magique des éruptions.

3- L’Enclos dans les pas d’un guide

Face à la pression du public, la préfecture vient d’assouplir sa position et va modifier le plan Orsec volcan. Dorénavant, les touristes de plus de 16 ans pourront descendre dans l’Enclos en cas d’éruption, à condition d’être accompagnés par un guide de montagne. Pour être accrédité, ce dernier devra avoir suivi une formation spécifique, qui vient de s’achever. Il aura également pour obligation d’être muni d’une radio VHF numérique et d’un traceur GPS qui permettront d’enregistrer sa position et de le prévenir en cas d’alerte. Chaque visiteur se verra par ailleurs remettre un masque à gaz, des gants et des genouillères.

Dans un premier temps, des groupes de seulement 80 personnes pourront se trouver dans l'Enclos. Ce qui est très peu : quand le volcan se réveille, des dizaines de milliers de curieux se précipitent aux différents belvédères. Le professionnel Jérôme Turpin a suivi le module et créé l'association Sécurité Volcan, qui assurera la gestion commerciale des sorties. «On n'a pas voulu privatiser le volcan, les Réunionnais ne l'accepteraient pas», promet-il. Alors que le tarif normal d'une telle prestation s'élèverait à 70 euros, les guides souhaitent la facturer 10 euros. Reste donc à trouver des subventions auprès de partenaires.

4- Dolomieu, en route vers le sommet

En attendant la prochaine éruption, et alors que le volcan fume encore, il est aujourd'hui possible de descendre dans l'Enclos et de marcher sur la lave refroidie. Nous suivons l'accompagnateur de montagne Didier Cologni, aux allures de pirate avec son bandana sur la tête et ses anneaux à l'oreille. Il se défend toutefois d'être un flibustier du volcan et affirme que son «credo, c'est d'abord la sécurité. Ensuite viennent l'émotion et le plaisir».On emprunte l'escalier qui débouche abruptement dans la caldeira (immense chaudron de 9 km sur 13 km, né d'un effondrement), à flanc de rempart. Le cratère Formica Léo, soufflet de scories orange, nous accueille, tranchant sur le lit de magma noir qui semble onduler sous nos pas. On marche sur des champs de lave cordée (plissée et ridée comme la peau d'un éléphant), avant de grimper vers le Dolomieu, le cratère sommital. La tour Eiffel y tiendrait debout presque entière. Mieux vaut ne pas trop s'approcher du bord de ce trou impressionnant, traversé par des failles menaçantes : en 2007, le fond du cratère s'est effondré sur 300 mètres de profondeur.

En redescendant, nous contournons la coulée de 2010, hérissée de grattons sur 3 mètres de hauteur. Une broutille au vu de celle «du siècle», en 2007, épaisse de plus de 60 mètres, qui a traversé la route et s'est jetée dans l'océan. Sous nos pieds, des tunnels de lave creusent le sol de tranchées plus ou moins larges. Beaucoup plus bas, sur le littoral, certains se parcourent, en mode spéléo (lire Libération du 11 avril 2009).

Pause dans la Chapelle de Rosemont, une grotte de lave couleur sang. Le guide repère une araignée minuscule qui survit dans cet antre minéral, cachée à l’ombre d’un tumulus de magma aux allures de colombin. Le soleil alterne avec le brouillard et la pluie, accentuant l’ambiance lunaire de la caldeira. Magique, même sans éruption.