Elle est partout, dans la pierre blonde des magnifiques enfilades géorgiennes qui rythment la cité, dans le murmure de la rivière Avon qui serpente tranquillement ou dans les herbes folles des collines. Elle flotte dans les vapeurs des thermes romains et le bruit de ses pas résonne sur les pavés des avenues. Elle est partout, et même sur les bouteilles de gin vendues dans les boutiques à touristes.
Le fantôme de la romancière anglaise Jane Austen hante les rues de Bath, dans le Somerset, à une heure trente en train de Londres. L'auteur d'Orgueil et Préjugés est la mascotte de la ville dans laquelle elle n'a pourtant vécu que six années (1775-1817) et où elle est venue s'installer avec réticence. Mais son œil a capté à la perfection l'élégance de l'époque, les codes et les nuances de la belle société qui venait y prendre les eaux et partageait son temps entre promenades, cream tea et bals. Ce sont dans ses deux romans posthumes, Northanger Abbey (1817) et Persuasion (1818), que la peinture du splendide Bath est la plus vivante. Cette année marque le bicentenaire de sa mort, l'occasion ou jamais de partir sur ses traces.
Balades nonchalantes
Une légère langueur s’échappe des grandes avenues géorgiennes de la cité dorée. Prenez Great Pulteney Street, qui court depuis le pont au-dessus de l’Avon, où petits salons de thé et boutiques se succèdent. Si vous tournez le dos au cœur de la ville, vous pourrez admirer la symétrie de l’architecture géorgienne, inspirée de Rome et de la Grèce antique, avec ses colonnes qui encadrent les perrons ouvragés, signe imparable du standing de la famille qui occupait les lieux. Il n’est pas du tout impossible qu’un carrosse tiré par des chevaux s’immisce soudain dans le trafic moderne. Tout est normal, vous êtes en Angleterre et à Bath. Au bout de l’avenue, vous tomberez sur les Sydney Pleasure Gardens, dont le nom est déjà une promesse. Jane Austen y traînait ses pensées, ses rêves et, peut-être, ses amours cachées. Dans le parc, le musée Holburne, qui accueille des portraits de Pieter Brueghel le Jeune ou de Thomas Gainsborough, mais aussi une magnifique collection d’arts décoratifs, vaut plus qu’un coup d’œil.
A la recherche de Mark Darcy
Il est temps maintenant de rêver. De grimper la colline, de passer au-dessus du canal et de chercher à droite l'étroit passage vers la verdure, les prairies et bosquets sauvages de la Bath Skyline, près de 10 kilomètres de délicieuse balade le long des collines qui entourent la cité romaine. Là, dans les herbes folles, vous admirerez l'ensemble majestueux de la ville, dominé par son abbaye. De loin en loin, il vous faudra pousser une barrière en «u» qui ne laisse passer qu'une personne à la fois. On les appelle les kissing gates («barrières du baiser»), tout un programme… En fait, elles sont là pour empêcher le bétail d'emprunter le même chemin. Vous passerez par Prior Park et son Palladian Bridge, tout en colonnes romaines et souvenirs d'étreintes cachées et, au fond du paysage, vous pourrez admirer le superbe Prior Park House. Là, devant le lac Serpentine, si vous avez un peu un cœur de midinette, fermez les yeux et imaginez un instant Mark Darcy galoper vers vous dans le soleil couchant. Si tout ce romantisme est peu «too much» pour vous, tant pis, l'endroit est tout de même magique.
Prenez les eaux
Impossible de venir à Bath sans se plonger dans ses sources d’eau chaude, uniques au Royaume-Uni. Ne ratez pas la visite des thermes romains, magnifiquement préservés. Ensuite, plongez dans le complexe moderne attenant, tout en verre et pierre miel du pays, le Thermae Bath Spa. Massages, soins, bains divers et variés vous attendent. Le magnifique bassin à ciel ouvert est perché tout en haut du bâtiment. Si vous réussissez à vous y glisser en fin de journée, peu avant le coucher du soleil, et plutôt pas le week-end pour éviter la foule, l’expérience est unique. Entre bulles et jets massants, vous contemplez les toits de la ville, le clocher de l’abbaye, et même les passants dans les rues qui, eux, ne vous voient pas. Un art de l’espionnage sans être vu - pour pouvoir cancaner ensuite - qu’exerçaient avec fougue les belles dames des romans de Jane Austen.
«Cream tea» ou «afternoon tea», that is the question
Le Somerset est le berceau du fameux cream tea, ce thé servi avec des scones tout chauds que l'on tranche en deux et déguste avec une crème fraîche épaisse (clotted cream) et de la confiture de fraise. Les puristes se disputent encore sur l'ordre dans lequel on procède lors de cette cérémonie : confiture de fraise au-dessus ou en dessous de la crème ? Le concurrent est l'afternoon tea, une collation qui alterne le salé et le sucré et dont les scones ne sont que l'un des ingrédients. Pour l'un comme pour l'autre, on peut s'installer dans la Pump Room, adjacente aux thermes romains. Dans cette salle un peu désuète et pompeuse, où un immense lustre illumine les tables rondes drapées de nappes blanches, le temps s'est arrêté. C'est ici que Jane Austen, de son œil acéré, observait la belle société occupée à «parader d'un coin à l'autre pour une heure, regardant chacun mais ne parlant à personne». Faites pareil, matez et dégustez.
Royal Crescent et pourquoi pas ?
Découvrez le Royal Crescent : la partie «du haut», espace privé réservé aux habitants du Crescent, et celle «du bas», qui est en fait un parc public, le Royal Victoria Park. Il n'est pas rare de voir des grappes de promeneurs allongés sur la pelouse du bas pendant qu'en haut on déguste sous des tentes blanches, assis à des tables pliantes, un délicieux et raffiné pique-nique apporté dans des paniers en osier. So chic !