Aïn el-Mreisseh, sur le front de mer de Beyrouth. Je m’appuyai sur le bastingage et regardai au loin. Vers l’horizon. Il n’y avait que la mer et moi. Soudain, deux mouettes vinrent planer au-dessus des eaux moutonneuses de ce dimanche. La plus proche d’entre elles paraissait immobile. Elle planait. Sans effort.
Je l’enviai violemment. J’avais envie de sa simplicité. J’avais envie de sa hauteur. J’avais envie de son angle de vue. Haut, bas. Point barre. Ça n’existe pas la chance, j’y crois pas. Je ne voyais plus que les vagues et ce putain de piaf qui me narguait, comme posé à dix centimètres au-dessus de la ligne d’horizon. Elle semblait me rire à la gueule, à gorge déployée. Elle se moquait de mes questions, elle se fichait bien que les réponses m’échappent. Elle était libre et moi prisonnier.
Je fus soudain pris du vertige du condamné à mort lors de son ultime sortie dans la cour de la prison. Encadré par quatre murs gris, le nez levé vers le ciel à la recherche d’éternité. Je fermai les yeux, je compressai mes paupières de longues secondes, le temps de voir naître dans l’obscurité ces petites formes kaléidoscopiques en rotation que je ne m’étais jamais expliquées. Mes oreilles se bouchèrent sans que je m’en aperçoive vraiment. Un à un, mes sens tombèrent en rade. Le monde extérieur disparut. Seule la rambarde métallique compressée entre mes serres d’os et de peau me rappela à la réalité. Je rouvris mes yeux. La lumière s’y engouffra. La mouette avait mis les voiles.
Je repartis vers ma voiture. Avant de quitter les lieux, j’avisai l’un de ces vendeurs de rue qui vous préparaient de délicieuses oranges pressées, sous vos yeux. J’avais besoin de vitamines en intraveineuse. La première rasade fut délicieuse. La deuxième davantage. J’arrivai rapidement au fond du gobelet, aspirant à droite et à gauche les gouttes de jus avec le bout de mon chalumeau, comme on appelait les pailles ici, en français comme en arabe.