Tous les ans, au mois de novembre, Clermont-Ferrand devient le temps d’un long week-end le rendez-vous des artistes et des passionnés du voyage. Près d’une centaine de carnettistes venus du monde entier exposent en effet leurs œuvres lors de ce grand rassemblement organisé par l’association Il Faut Aller Voir. Rencontres avec quelques invités de l’édition 2017.
Simon bricole dans son coin sur les bords de Loire après de lointaines études dans le Grand Est et une jeunesse normande. Il publie des bandes dessinées, des pages ayant trait, de près ou de loin, aux carnets qu'il a pour vice de griffonner en cachette.
Entre les Himbas et Solenn, c'est une histoire d'amour qui a commencé il y a plus de vingt ans. Adoptée selon leurs rites et présentée aux ancêtres, elle a fait le récit de cette aventure dans Pieds nus sur la terre rouge (éditions Robert Laffont). En 2012, elle réalise Les Himbas font leur cinéma!
Les Himbas vivent de leur bétail dans une des régions les plus reculées de la Namibie. En 2015, l’association Kovahimba mandate Solenn Bardet pour aller constater sur place les freins à l’avancée de ses projets au service de ce peuple. L’occasion pour elle d’embarquer le dessinateur Simon Hureau, ainsi que son bébé de sept mois, qu’elle doit présenter à sa famille adoptive. Récit à quatre mains,
Rouge Himba
(aux éditions La Boîte à Bulles) est enrichi des années d’expérience de Solenn.
Comment est né ce projet de carnet de voyage ?
Solenn Bardet: Mon précédent livre sur les Himbas a déjà presque vingt ans. Vingt ans pendant lesquels ma vie a continué à s’enchevêtrer avec celle des Himbas. J’avais envie d’écrire un autre livre, mais aussi d’essayer une forme nouvelle, qui laisse la place au visuel. Le dessin était la solution, mais il me fallait un dessinateur capable de ne pas tomber dans le piège de l’exotisme. Quelqu’un qui soit capable de voir dans les Himbas de vrais personnages, qui les dessine avec la même liberté que s’il dessinait les gens de son propre village. Pendant plusieurs années, j’ai traîné dans les librairies, sans trouver. Et puis un jour, j’ai rencontré le dessin de Simon Hureau. Ça a été une évidence. C’est lui qu’il me fallait. Il ne me restait qu’à le convaincre…
Simon Hureau: La Namibie, les Himbas, même si j’avais une furieuse envie de retourner sur le continent africain, ce n’était pas une évidence… Mais l’aventure me semblait prometteuse… C’est toujours un pari, on sait qu’on s’embarque pour des mois de travail, voire des années, alors on a intérêt à se sentir à l’aise avec le sujet. Je suis allé jusqu’au bout du délai de réflexion… Et j’ai dit oui !
Comment s’est déroulé le travail à quatre mains? Est-ce que l’un a dessiné et l’autre écrit ? Quelle a été votre méthode ?
SH: Il y a eu une absence totale de méthode. Ce livre a été une improvisation continue. Ni l’un ni l’autre ne pouvions l’envisager avant de le voir enfin exister.
SB : C’est vrai, au début, le projet était de faire deux livres : une bande dessinée qui raconte mes vingt ans de relation avec les Himbas et un carnet de voyage. Nous avons commencé par le carnet. Et là, il s’est passé quelque chose qu’on ne s’explique pas. Le livre nous a emportés dans ce qu’il exigeait d’être.
SH : On s’attendait à publier une compilation de mes croquis agrémentée des textes de Solenn. Mais ça ne nous satisfaisait pas. Alors on a cherché, tâtonné, le champ des possibles était infini, la matière phénoménale… On a sculpté ce bloc à quatre mains, décortiqué chaque détail jusqu’à la fibre, sans savoir dans quoi on se lançait, vers quoi on allait…
SB : Il m’a très vite paru évident que le narrateur devait être Simon, le néophyte, celui qui découvre. J’ai donc écrit le texte comme si c’était Simon qui écrivait. Mais comme je parlais pour lui, il fallait aussi que je lui laisse la place… Souvent, mon texte contenait plusieurs propositions, ou même je n’écrivais qu’une amorce de phrase, une simple proposition dont il se saisissait ou pas. Au final, sincèrement, il y a plein de passages pour lesquels ni Simon ni moi ne savons qui de nous deux l’a écrit.
SH : Oui, il y a eu une sorte de ping-pong permanent, et à chaque rebond on montait d’un cran en exigence et en précision. On n’a eu de cesse de se tirer mutuellement vers le haut. Je montrais des pages à Solenn, elle me répondait par des remarques et des propositions nouvelles, et réciproquement.
SB : Le livre s’est construit par couches successives. Même des éléments plus intimes de mon histoire, qu’on pensait garder pour le projet de BD, comme le baptême de ma fille, se sont retrouvés par nécessité intégrés au projet.
SH : Mais c’est loin d’être un fourre-tout boursouflé, au contraire ! C’est la moelle de ce qu’on voulait dire, on l’a élagué jusqu’à l’os, je n’ai jamais eu autant de déchets, de dessins non retenus, ou refaits trois fois, de brouillons supprimés… Au final, on n’a presque rien gardé des premiers jets et on est loin d’avoir utilisé tous les croquis.
SB : L’air de rien, ce livre est aussi devenu une sorte de thèse. C’est probablement aujourd’hui le livre le plus complet qui existe sur les Himbas.
SH : 312 pages ! On a rendu fou notre éditeur…
Simon, contrairement à Solenn, c’était votre première fois chez les Himbas. Comment avez-vous été accueilli ? Comment ont-ils perçu le fait que vous dessiniez leur quotidien ?
SH : C’étaient évidemment des conditions absolument idéales ! Dans le sillage de Solenn, toutes les contingences et difficultés m’ont été épargnées, et j’ai eu beaucoup de plaisir à faire connaissance avec ses nombreux amis, sa seconde famille… On ne pouvait rêver mieux pour une immersion graphique, même si le fait de me voir gribouiller dans un carnet les a laissés un peu perplexes ; leur quotidien est rythmé par des choses tellement plus en prise avec le réel ! La représentation par l’image leur est foncièrement étrangère, et seuls les enfants avaient de la curiosité pour ce qui peut se faire avec un crayon et de la couleur. Se «vernir» les ongles de mon aquarelle, par exemple…
Solenn, vous avez déjà raconté votre histoire avec les Himbas dans un ouvrage et un film. Qu’apporte le carnet de voyage par rapport aux autres supports ?
SB : Pieds nus sur la terre rouge, sorti en 1998, raconte le premier de mes voyages chez les Himbas. C'est un livre d'initiation, écrit par une jeune femme de vingt ans… Quant au film Les Himbas font leur cinéma !, qui a été coécrit avec les Himbas, il ne parle pas vraiment de moi, j'y suis présente uniquement comme passeuse, comme intermédiaire entre le spectateur et les Himbas.
Dans Rouge Himba, d'abord, il y a l'univers graphique de Simon, qui, sans être vraiment réaliste, est d'une précision extrême, avec une multitude de détails. Chaque dessin a une vraie valeur ethnographique. Nous y évoquons certains aspects de mes relations avec les Himbas dont je n'ai encore jamais parlé, certaines anecdotes, mais ce n'est pas le sujet du livre. Mes vingt ans (et plus) d'histoire avec les Himbas restent encore à raconter. Ils devaient être l'objet de la BD que je devais faire avec Simon après le carnet, mais je me suis rendu compte que je n'étais pas encore tout à fait prête à la raconter, mon histoire avec les Himbas n'est pas encore finie. Et puis vu la manière dont a évolué le carnet, le temps qu'on y a passé… je crois que Simon et moi avons tous les deux besoin de souffler…
Et aujourd’hui ? Quels sont vos projets ?
SH : Retrouver ceux que j’ai laissés prendre la poussière pendant deux ans ! De la fiction en bande dessinée, essentiellement, mais aussi et d’abord redécouvrir le plaisir de se reposer en fin de semaine. C’est quoi déjà un dimanche où l’on ne travaille pas jusqu’à minuit ?…
SB : J’ai plusieurs projets d’écriture en cours, qui n’ont rien à voir avec les Himbas. Parallèlement, je cherche à développer une comédie, une sorte de fable poétique et politique, qui se passe chez les Himbas, avec dans les rôles clés toujours mes deux grandes copines Muhapikwa et Karekare. C’est un projet qui me tient à cœur depuis longtemps.
[ Précédente rencontre: Charlotte Kende ]