Un désert de sel blanc foudroyé par le soleil, un cratère habité par un lac de lave incandescente, des lagons d’acide sulfurique vert jade, des terrasses de soufre jaune… Explosion chromatique et curiosités géologiques bluffent les visiteurs dans la dépression du Danakil, ce triangle aride de 150 000 kilomètres carrés dans le nord-est de l’Ethiopie. Nous sommes dans la partie septentrionale de la vallée du rift, sur une faille qui balafre la terre sur près de 6 000 kilomètres entre la Syrie et le Mozambique. Une région éminemment volcanique. Sous nos pieds, se forme un océan, à raison d’un éloignement d’environ 2 cm par an des plaques tectoniques arabique et africaine. Un parfum d’origine du monde dont nous nous sommes enivrés entre l’Erta Ale et le Dallol. Récit.
Erta Ale, un lac de lave hypnotique
Les lampes frontales des marcheurs scintillent comme des guirlandes sur les flancs de l’Erta Ale tout juste plongé dans la nuit. Nous achevons notre ascension de trois heures vers le sommet de ce volcan actif, aimantés par les nuées rosées crachées par le cône aux allures de site sacrificiel. «Pour nous, ce volcan représente l’entrée de l’enfer» confirme Moussa Mohamed, l’un des guides afars qui nous accompagne. A ses côtés, nous avons cheminé par 35°C sur les anciennes coulées de lave brune à la surface plissée, piquées de graminées dorées et d’arbres à encens. Sur un de ces reliefs qui dominent la morne plaine brûlée par le soleil. Les Afars ? Un peuple semi-nomade d’éleveurs de chèvres et de chameaux, de confession musulmane teintée d’animisme, enraciné dans ce désert inhospitalier depuis la nuit des temps.
A l’approche du sommet, à 613 mètres, une odeur de soufre chatouille la gorge et les narines. Elle nous escorte dans la descente dans la caldeira percée de deux cratères. Celui qui éructe d’épaisses fumées rugit aussi comme un océan qui roulerait avec force ses vagues vers le rivage. C’est dans les ténèbres que l’Erta Ale livre son plus beau spectacle. Bientôt arrimés sur le bord du cratère, nous nous abandonnons à la contemplation d’un des très rares lacs de lave de la planète, à la configuration changeante. Il y a quelques mois, c’était un chaudron abritant un bain de lave bouillonnante avec des fontaines de magma incandescent.
En ce début d’année 2018, nous sommes captivés par un torrent de feu qui charrie des radeaux de lave et cascade dans les entrailles de la terre, près de soixante mètres sous nos pieds. Quand le vent dissipe les gaz, les lueurs semblent se mettre à danser sur les parois du volcan.
Le Dallol, patchwork de couleurs diaboliques
Une constellation de pitons et de cônes fumants sépare l’Erta Ale du Dallol, distant d’environ 80 kilomètres. Ce dernier volcan est un vaste dôme isolé qui tague le désert d’insolentes couleurs et de formations abstraites. Des terrasses de soufre jaune finement sculptées, des vasques d’acide sulfurique couvrant toute la palette des verts, de l’émeraude au jade, des fleurs de sel ciselées, des geysers qui glougloutent comme des fontaines, de curieuses tourelles ocre… Paysage onirique ? Diabolique ? A l’origine de ce décor énigmatique, une poche de magma, enfouie sous un plafond de près de 2000 mètres de sel, chauffe des eaux minéralisées infiltrées en profondeur. Et la magie de la chimie opère : l’eau et le dioxyde de soufre se transforment en acide sulfurique ; les minéraux composent la fabuleuse palette de
couleurs, ocre pour l'oxyde de fer, jaune pour le soufre, gris pour le potassium… Paysage d'exception, le Dallol affiche aussi des records de salinité, d'acidité et de température mesurés l'an dernier par une mission du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique). «Dallol pourrait constituer un milieu analogue aux environnements présents sur Terre il y a plus de 3,5 milliards d'années, lorsque la vie fit son apparition», précisait le journal de l'institution dans son édition d'octobre 2016. Plus loin, de spectaculaires cheminées de fée et de vastes canyons sculptés dans des montagnes de sel rappellent que la mer Rouge s'est engouffrée à trois reprises dans le triangle du Danakil, au cours des temps géologiques. Emprisonnée par la coulée de lave du volcan Alid, l'eau de mer s'est lentement évaporée, laissant derrière elle d'épaisses couches de sel offertes aux morsures du soleil et du vent.
[ A suivre… ]
(Reportage réalisé dans le cadre d’un voyage organisé par Allibert Trekking)
Pratique
La terre des origines. Situé en Afrique de l'Est, l'Ethiopie est le pays le plus montagneux du continent et celui qui abrite aussi un de ses points le plus bas, avec le désert du Danakil, situé à près de 130 mètres sous le niveau de la mer. Sur cette terre au parfum des origines, le paléontologue français Yves Coppens co-découvrit, en 1974, le squelette de Lucy, longtemps considérée comme le plus ancien hominidé du monde.
La Jérusalem noire. Deux fois plus grande que la France, peuplée de 102 millions d'habitants (en 2016), l'Ethiopie n'a jamais été colonisée. C'est le plus ancien pays chrétien d'Afrique, avec la conversion du roi Ezana, en 324, par son esclave Frumentius, fondateur de l'Eglise orthodoxe éthiopienne. Au début du XIIIe siècle, le roi Gebra Maskal Lalibela ordonna la construction d'églises monolithiques dans le centre du pays pour éviter aux pèlerins abyssins les longs et périlleux trajets vers la terre sainte. Avec onze spectaculaires édifices taillés dans la roche, le site baptisé Lalibela est devenu la Jérusalem noire. Aujourd'hui, les chrétiens représentent près de 63% de la population (43,5% sont orthodoxes) et les musulmans 33,9%.
A la bonne saison Préférer l'automne et l'hiver pour bénéficier de températures plus clémentes (35°C) dans le désert.
D'autres reportages sur le trek et la randonnée dans notre rubrique web et ce jeudi 15 mars dans Libération avec notre supplément.