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Libération
Midi-Pyrénées

Hauteurs de polar

Courts séjours en Francedossier
De Toulouse aux cimes pyrénéennes, balade ascensionnelle sur les pas du flic Martin Servaz, le héros de Bernard Minier.
Bagnères-de-Luchon est la ville qui a inspiré Saint-Martin-de-Comminges, la cité de «Glacé». (Photo Tien Tran. Hans Lucas)
par Bernard Minier, Ecrivain Photo Tien Tran
publié le 16 mars 2018 à 17h26

L’âme s’élève avec la géographie. L’homme et le minéral se haussent de concert, prennent de la hauteur. Partant de Toulouse l’horizontale vers l’altière Maladeta, c’est toujours le même itinéraire, d’un livre l’autre, pour Martin Servaz, le flic toulousain, mon flic, mais jamais la même enquête. Et si la géographie était le véritable héros de l’histoire ? Et si le vrai déplacement était vertical : entre élévation et chute ?

1 - Toulouse, le nom de la rose (altitude 263 m)

Cette nuit, j'ai rêvé Toulouse. La Toulouse de Servaz. Celle qui va de la place Victor-Hugo au Capitole et aux Carmes en passant par le SRPJ, le service régional de police judiciaire, boulevard de l'Embouchure. Horizontalité : son appartement donne sur deux étages de parking qui surmontent le marché couvert, d'où il voit… des voitures. Ne cherchez pas l'immeuble : il n'existe pas. Cet endroit dénué de charme regorge (c'est le mot) de trésors cachés : fromages, jambons ibériques, chocolats, viennoiseries, alcools et vins fins - on y célèbre Bacchus et Pantagruel. Horizontalité toujours : Servaz flâne le long du canal du Midi et de la Garonne. Le fleuve, fougueux et indocile dans les Pyrénées, s'alentit un peu, se love, l'été venu, contre les quais de la Daurade - sous l'auguste péristyle de l'église du même nom -, attirant les étudiants sur ses berges, avant de s'en aller, comme le chante Nougaro, «à Bordeaux trouver solution». Poussez jusqu'à la place Saint-Pierre, ce Valhalla des rugbymen et des noctambules, où l'on vend le Ricard au mètre, disposé horizontalement sur le comptoir, et où, étudiant en médecine, je lisais et plagiais Bukowski.

Mais on a beau être dans la plaine, dans cette ville on trouve partout à élever la vue et l’esprit : dans les librairies, déjà, qui portent des noms parlant à tous - la Renaissance, Terra Nova, Privat, Ombres blanches -, tandis que la Fnac attend les lecteurs au sortir des cinémas et du métro et que l’arche monumentale de la médiathèque José-Cabanis semble aussi haute que large (fin lettré, mélomane en sus de flic, Servaz fréquente le mot écrit). De leur côté, les ornements en terre cuite qui abondent aux façades de la Ville rose, planant au-dessus des passants (au 28, rue des Marchands, cette cohorte de cariatides au-dessus de l’entresol ; à l’angle des rues Boulbonne et Croix-Baragnon, Hermès et Fortuna qui se tournent le dos…) sont autant d’occasions de lever les yeux. Tout comme cette tour capitulaire décorée de colonnes et de bustes qui se dresse dans la cour de l’hôtel de Brucelles. Ou comme ces cours et atriums verticaux des hôtels particuliers de Bernuy, du Vieux-Raisin, d’Assézat…

2 - Montréjeau, mon trésor d’enfance (409 m)

C’est là que tout commence. A 10 ans. Première élévation. L’envie de lire - et celle d’écrire. Consubstantielles, comme le Père et le Fils. Identité de substance entre ce qui engendre et ce qui est engendré. Lecteur et auteur. Du reste, la Maison de la presse est toujours écrasée par le culminant clocher octogonal - moellons et ardoise - de l’église voisine. Mais c’est dans la première qu’à 10 ans, tournant le dos à la seconde, à Jean le Baptiste, au retable de Notre Dame des Cinq Plaies et à la haute nef en forme de carène de navire, j’entrai, trouvai l’éveil et de quoi me hausser, au milieu des tourniquets de livres, loin des ciboires et des ostensoirs. Au sortir, tournez à main gauche et admirez le panorama séculier qui embrasse la chaîne depuis la promenade prolongeant le boulevard de Lassus, si la pluie fait relâche.

3 - Saint-Bertrand-de-Comminges, un ange passe (421-1 016 m)

Il faut le voir sous la neige, le parvis de la cathédrale, incliné comme le pont d’un trois-mâts par grosse mer, écrasé lui aussi par la masse de ce clocher-tour dont les hourds de bois, là-haut, dans le ciel, disent davantage le caractère défensif et guerrier que le besoin d’élévation. Dans ce village hors du temps, on s’attend à voir surgir Guillaume de Baskerville, ce Dupin en habit de moine, logicien tonsuré et pourfendeur de superstitions médiévales. Sous ses dehors rugueux, cette cathédrale est pourtant une homélie de pierre. Le tympan, le jubé, le mausolée, les stalles, le cloître : tous récitent la même antique leçon et regardent vers le haut.

Je me souviens d'une visite en ces lieux, adolescent. Emmanuel Carrère l'écrit dans le Royaume : «Bien sûr que la foi a des soubassements psychiques. Bien sûr que la grâce, pour nous atteindre, se sert de nos manques, de notre faiblesse, de notre désir enfantin d'être consolés et protégés.» Incroyant un jour, incroyant toujours : je ne reviendrai pas sur le chemin de la foi, je l'ai déserté il y a trop longtemps. Pourtant, ce jour-là, immobile dans le cloître désert, quelque chose m'effleura qui fut de l'ordre de la grâce, l'aile d'un ange, peut-être, tel que les rêva Wim Wenders. Et, depuis, j'en garde nostalgie.

Mais prenons la direction de la haute barrière qu’on devine là-bas : au-delà des mamelons boisés et sauvages de ce Piémont pyrénéen.

4 - Luchon, la reine des Pyrénées (611-2 737 m)

Tel était son surnom quand, au XIXe siècle, Luchon attirait la jet-set parisienne comme aujourd'hui Saint-Tropez. Sauf qu'on y croisait moins de «stars» de la télé-réalité que d'écrivains : Lamartine, Flaubert, Maupassant, Mirbeau, Rostand, plus tard Mauriac, Guitry, Carco… Tous venus contempler la formidable barrière qui s'érige, tous en quête, comme Michel Serres, de ces «milliers d'années qui reviennent», d'élévation géologique et spirituelle. Mais parfois s'élever ne suffit pas. Dans le Gâteau, Baudelaire, voyageant dans les Pyrénées, écrit : «Le paysage au milieu duquel j'étais placé était d'une grandeur et d'une noblesse irrésistibles. Il en passa sans doute en ce moment quelque chose dans mon âme.» Le poète ne sent que grandeur, paix et bonté à ces altitudes. Mais voilà qu'ayant offert un bout de pain blanc à un petit sauvageon du cru, son frère surgit et les deux petits êtres se livrent à une «lutte si hideuse», si impitoyable, si sanglante que Baudelaire en est tout retourné. Le mal existe, même sur ces hauteurs, se dit-il. Ce mal que Servaz combat au cœur de ces montagnes, ce mal incarné par Julian Hirtmann, son meilleur ennemi, enfermé dans l'institut psychiatrique Wargnier, lequel se dresse au fond d'un val inspiré à la fois par la très secrète vallée de l'Ourse de Ferrère et par la vallée du Lys, qui s'achève sur le trait vertical de la cascade d'Enfer.

(D'aucuns ont cru que Saint-Martin-de-Comminges, la ville de Glacé, était inspirée de Saint-Bertrand, il n'en est rien. C'est Luchon qui l'enfanta. On y reconnaît les thermes au bout des allées d'Etigny, la confluence de plusieurs vallées et la télécabine qui part du centre-ville et se hisse vers les sommets, d'où la vue embrasse et relie.)

5 - Pic du Midi, l’appel du vide (2 870 m)

Pour finir, hissons-nous encore. On est en train d’installer, tout en haut du pic du Midi, à 2 800 mètres, une passerelle de verre et de vent sur laquelle les piétons du ciel pourront bientôt éprouver le délicieux frisson du vertige. J’imagine cette émotion puissante, ce soulèvement du cœur et des tripes, cette ivresse souveraine et terrible de découvrir deux mille mètres de vide sous ses pieds. On a tous expérimenté ce dangereux appel du vide, écho d’une attraction plus profonde, plus séditieuse : celle que la chute exerce sur nos âmes. Toujours, il est plus facile de tomber. Et la chute a bien des séductions.

Au revoir là-haut.

Dernier livre paru Nuit aux éditions XO.
Et, le 5 avril en librairie, Sœurs.

A Toulouse

Le menu surprise de Sarran, pour qui peut bourse délier, est un voyage à lui tout seul, étourdissant et mirifique.

Tout est bon au marché Victor-Hugo, mais puisqu’il faut choisir : les fromages de chez Xavier et de chez Betty, le pata negra Domecq de chez Garcia.

A Montréjeau

Il faut goûter le Millasson de chez Suberbielle (maison fondée en 1871), petit miracle parfumé auquel, dit-on, l’actuel cannelé girondin doit beaucoup.

Ici, le Verbe se fait sucre.

A Bagnères-de-Luchon

L’Heptaméron des gourmets, nom tiré, sans doute, du livre d’Edouard Nignon.

«Hepta» comme les sept plats du menu unique.

Qui soupçonnerait qu’en poussant la porte de cette discrète villa, on va faire un voyage au pays des saveurs mais aussi dans le temps ? Mon conseil : essayer en hiver, avec une belle flambée dans la cheminée.