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Dans l’au-delà, chez les Valaques de Serbie

Qui ne s’est pas déjà posé de nombreuses questions devant les tombes des cimetières de l’est de la Serbie...
publié le 17 mai 2018 à 9h28

Certaines ressemblent à de véritables maisons avec tout ce qu’il faut pour vivre : lit, table chaises, et surtout la télévision, ce Dieu des temps modernes au domicile des retraités balkaniques. D’autres ont des airs de monuments ou de temples, avec colonnades, pilastres ou autres attributs néoclassiques. Comme ici, à Ljubicevac, un village de la municipalité de Kladovo, à une encablure du Danube. Prospère, ce village qui abonde de grosses maison neuves, a été proclamé par ses quelques centaines d’habitants « village européen », parce qu’une majeure partie d’entre eux sont partis gagner leur pain en Europe occidentale.

On croit avoir affaire à une lubie mégalo de « gastarbeiter » (le nom allemand que donnent les ex-Yougoslaves à leurs concitoyens devenus des travailleurs migrants) enrichis par trente ans de labeur. Si c’est vrai pour certains, ce n’est pas que cela. En regardant les noms sur les stèles funéraires, on s’aperçoit vite qu’ils ne sont pas d’origine slave même si la plupart sont flanqués du « ic » caractéristique des noms de famille serbes. Les Drakulic ont dû par le passé s’appeler Drakul, ce qui veut dire dragon, explique à notre petit groupe de voyageurs le passionné d’ethnologie Aleksandar Repedzic, qui lui-même porte un nom de famille serbisé. Ils sont Valaques, une population roumanophone « mais pas roumaine », explique notre nouvel ami, lui-même très engagé au sein de la communauté qui ne compte plus qu’une cinquante de milliers d’habitants en Serbie contre 250.000 au tout début du siècle.

Le jeune homme est d’ailleurs l’auteur d’un livre qui retrace leurs croyances et coutumes, qui font la part belle aux rites funéraires. « Les Valaques, dit-il, croient que l’au-delà est sombre, froid, vide, sans eau, sans feu, sans lumière, sans nourriture. C’est pourquoi il faut donner au défunt de l‘eau pour qu’il étanche sa soif, du feu pour qu’il se réchauffe, de la lumière pour qu’il puisse voir les autres défunts de sa famille, de la nourriture sans laquelle il n’y a pas de vie ainsi que toutes les autres choses que le défunt utilisait au cours de sa vie. Sept ans après sa mort, on va chez les femmes qui parlent avec les morts afin que la famille sache si le défunt a bien tout reçu et s’il lui manque encore quelque chose dans l’au-delà ».

Pour mieux nous présenter ces coutumes, il décide de se rendre à Crnajka, chez Ankica, l’ancienne directrice de chœur de danses et de chants valaques de son village. Elle nous attend de pied ferme avec Sachka, la plus jeune de ses danseuses bénévoles. Dans leurs mains, un plateau avec le pain et le sel, que l’on partage solennellement dans toute la région avec les visiteurs. Toutes deux ont revêtu leurs costumes traditionnels pour aller célébrer les rites que l’on doit aux défunts pendant les sept ans que dure leur traversée du monde des vivants au royaume des morts. Nous les accompagnons dans la forêt près d’un cours d’eau où elles s’apprêtent à rendre hommage aux défunts de leur famille. Pour ce rite, elles ont préparé les petits pains et les cierges qu’elles laisseront flotter au fil de l’eau.

Les jeunes d’aujourd’hui ont plutôt tendance à penser que ce ne sont que des « contes de bonnes femmes », se désole Aleksandar tout comme il déplore l’abandon de la langue valaque au profit du serbe puis de l’anglais par les jeunes générations. Pour nous dérider, nous finissons la journée chez notre hôtesse autour danses et de chants.

La soirée se terminera tard...

Hélène Despicpour Nouvel Est