La München Oktoberfest au pays du riz gluant
Les années 70-80 ont forgé une mentalité d’assiégé que tous les rituels, toute l’organisation sociale contribuait à ancrer. Et pour les étrangers l’impression de vivre sous cloche. Un simple besoin de détente devient alors le dangereux rituel des extravagantes soirées bières de Busan chez Armin et Ermingard !
A cette époque, les profs envoyés par Bonn pour encadrer l’essor, près de la plage de Busan, d’un lycée technique coréo-allemand, logent tous au même endroit. Un ensemble de petites maisons réparties dans l’enclos fortifié et gardé d’un quartier aujourd’hui perdu. Le samedi soir, c’est culottes bavaroises, choucroute, robes décolletées à volants et flonflons. La mousse et la saucisse de la Munchen Oktoberfest au pays du riz collant.
A minuit, comme Cendrillon, je dois repartir pour mon logement à l’université nationale de Busan avant que la Mercédès de M. Blind ne redevienne citrouille. Si j’étais Coréen, on m’aurait caché dans le coffre de la berline afin de m’éviter la nuit au poste de police, l’interrogatoire et le passage à tabac possible.
01H00. Couvre-feu. Les vastes avenues à dix voies sont vides. La permission de minuit ne vaut que pour les étrangers. Herr Blind - «le monsieur aveugle» - comme il se plaît à plaisanter en français- est un blond barbu aux yeux bleus lui aussi. Ce qui nous évitera toute discussion aux barrages armés avec chevaux de frises que nous passerons pour arriver au campus dont l’enceinte est close.
- Tu ne veux pas dormir chez nous ?
- Merci.
Les fûts de bière peuvent tenir jusqu’à l’aube et je préfère regagner mon appartement dans le bâtiment des enseignants étrangers. Il domine le terrain de foot où ont lieu les prises d’armes estudiantines avec sergent aboyeur et les cérémonies de remise des diplômes, tout aussi disciplinées. Pour y parvenir, il faut faire le mur puis marcher dans des allées bordées de bosquets. Comme je m’en apercevrai le lendemain, les creux de végétation peuvent héberger des factionnaires avec sacs de sable et mitrailleuses. Guerre froide oblige. «Tu aurais pu y rester», commente sobrement mon voisin de palier, un volontaire US des Peace Corps sans réellement plaisanter.
On peine à imaginer ces Corées toujours en guerre vingt ans après l'affrontement fratricide où elles furent les bourreaux-victimes dans un conflit instrumenté par les blocs adverses au détriment des petits pays interposés. «Lorsque les baleines se battent, les crevettes ont le dos brisé», souligne le proverbe coréen.