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Promenons-nous…

Le village d’Astérix, marmite rebelle

Excursions imaginaires dans l’univers des bandes dessinées... Aujourd'hui, balade dans le hameau gaulois, créé par Goscinny et Uderzo qui vient de mourir. Une ode à la résistance et à l’épicurisme.
(Danor Shtruzman / Flickr)
publié le 15 juillet 2018 à 18h46
(mis à jour le 24 mars 2020 à 18h16)

Il y a des lieux qu’on ne présente plus, des espaces gravés au burin sur la carte de notre imaginaire commun : la Terre du Milieu de Tolkien, la matrice cyberpunk des sœurs Wachowski… Le village d’Astérix fait partie de ces boussoles de fiction. En 52 avant J.-C., assiégé par les Romains, le dernier bastion de la «Gaule libre» est un grain de sable qui a fait le tour du monde.

Sous la loupe déformante de ses créateurs, il est même devenu le prototype du village gaulois, imposant ses huttes rondes au toit de chaume, sa palissade de bois protectrice, son barde insupportable, ses menhirs, ses ventres ronds remplis de sanglier et son ciel qui menace de s’écrouler à chaque instant.

Moustache

Avec force dérision, page après page, le cauchemar d’historien tourne à l’extase. Goscinny et Uderzo ont bâti une utopie aussi anachronique que fédératrice. Deux mondes s’affrontent. Les Gaulois épicuriens, portés sur la bouteille et le coup-de-poing, face aux Romains autoritaires, raides et conquérants. Les petits contre l’empire, la moustache contre la toge.

L'empathie pour les premiers est immédiate. Lorsque les planches d'Astérix surgissent dans le magazine Pilote en octobre 1959, l'opinion publique est parfaitement en phase avec les Gaulois de papier. La France veut se rassurer et oublier Vichy. La nation blessée, en pâmoison devant son Général, exalte les rebelles de tout poil.

Le village d'Astérix fascine par son équilibre et son harmonie. «Il me fait penser à une petite communauté démocratique tranquille et laïque, fidèle aux valeurs de la IIIe République, confie Nicolas Rouvière, maître de conférences en littérature à l'université Grenoble-Alpes et auteur du Complexe d'Obélix (PUF, 2014). Le druide n'est pas une figure religieuse mais un vieux sage, qui pourrait être l'ancêtre de l'instituteur. Le chef tombe souvent de son bouclier pour se mêler au peuple. La société civile est turbulente, mais les pouvoirs s'équilibrent.»

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Dopés par la potion magique, les Gaulois rayonnent et s’encanaillent avec des pirates, des Bretons, des Ibères, des Egyptiens… Même si les irréductibles ont la bougeotte, le village reste leur port d’attache. Ils retournent au bercail à la fin de chaque album. Certains affirment que le lieu existe vraiment. Que dans le passé, des Gaulois auraient festoyé du côté d’Erquy, dans les Côtes-d’Armor, connu pour ses trois rochers jetés au large, un relief rappelant étrangement le village de la bande dessinée…

Fraternité. Mais on pourrait aussi bien imaginer Obélix et sa bande arrimés en Chine, au Danemark ou au Bénin. Car ce village, c'est d'abord une certaine idée de l'existence, fraternelle et ouverte, des gueuletons plutôt que la Gaule, de l'insouciance, des rires. Goscinny et Uderzo auraient voulu créer un phare qu'ils n'auraient pas fait autrement.