Danse cosmique à Fontainebleau, statues géantes aux Etats-Unis, bars vikings à Caen ou nuit dans un intestin à Anvers… Pendant tout l'été, Libé décline quelques voyages et séjours déjantés.
Effrontément misanthrope et hostile jusqu’au milieu des années 2000, le désert californien n’est plus si désert. Accessible et dépaysant, à trois heures à l’est de Los Angeles, un village comme Joshua Tree finit par ressembler, le week-end, au dernier quartier branché de L.A, un Silver Lake de sable à barbes et vestes de macramé… Pour la quête désespérée d’une dernière frontière, il faut pousser vingt-cinq minutes au nord de Yucca Valley, vers un bled très discret au destin très cosmique : Landers.
Au bord de sa route principale Reche Road, le slogan «Beautiful Skies, Miles of Smiles» («des cieux magnifiques et des kilomètres de sourires») de son panneau d'accueil est piqué sur un fond d'étoiles et de planètes. Ses 2 900 paisibles habitants sont surnommés les «Landroïdes». Ces références SF s'expliquent : depuis les années 50, le lieu a connu une intense histoire ufologique grâce à plusieurs sites et personnages mythiques comme Giant Rock ou George Van Tassel et son bâtiment l'Integratron, des scientifiques extraterrestres… Téléportation sur les traces vivaces de ce passé bizarro-historique.
1/Un vortex magnétique
La vie ufologique de Landers commence au pied de ce rocher, de la taille d’un immeuble de sept étages (paraît-il le plus gros d’un seul tenant au monde). Logiquement nommée Giant Rock, on accède à cette sorte de météorite de granit posée au pied de Spy Mountain sur un océan de vide sablonneux après quinze minutes d’une piste très bosselée. En 2000, un tiers du rocher s’est détaché et gît désormais à côté, dalinienne coquille d’œuf de Godzilla. Sacré par les Indiens locaux, le lieu devient mythique grâce à l’ancien pilote d’essai et ingénieur aéronautique George Van Tassel. Il y déménage avec sa femme et ses trois filles en 1947, après y avoir rendu de nombreuses visites à son étrange ami Frank Critzer - un radioamateur ermite soupçonné d’espionnage, qui s’était creusé un deux-pièces sous le rocher, il est mort dans un raid policier douteux en 1942.
Van Tassel y établit un aérodrome où ses amis aviateurs (comme l’excentrique Howard Hughes) viennent déguster les tartes de maman Van Tassel. Surtout, il lance une série de conférences sur les extraterrestres. Ses séances de méditation sous le rocher, placé sur un vortex magnétique, lui ont déjà permis d’entrer en contact avec des visiteurs intergalactiques qui lui ont communiqué les plans d’une machine capable de régénérer les cellules humaines. Ce qui est sympa de leur part. Ses «Space Conventions» vont connaître un énorme succès et Van Tassel ainsi que toutes sortes de conférenciers y harangueront des foules de dizaines de milliers de fidèles depuis une petite estrade à mi-rocher, jusqu’en 1977. Leur but ? Financer la machine à rajeunir, que l’ingénieur a déjà commencé à construire à 3 kilomètres de là : l’Integratron.
2/Un rajeunisseur électrostatique
Briefé par les bienveillants space architects, Van Tassel construira, de 1957 jusqu'à sa mort, un dôme de bois de 12 mètres de haut au coin de Belfield Boulevard et Linn Road, ceint d'une corolle mobile capable de capter l'électricité statique de l'air : l'Integratron. Pour Van Tassel, le corps humain est un appareil électrique. L'ingénieur voit la vieillesse comme une simple usure de batteries (les cellules) qu'il suffirait de recharger. Le candidat au rajeunissement n'aurait plus qu'à entrer dans l'Integratron, se laisser agréablement irriguer par 50 000 volts d'électricité statique, et en ressortir comme un sou neuf.
Hélas, Van Tassel meurt d'une crise cardiaque en 1978, alors que sa machine est, dit-il, «à 90 % terminée», avant d'avoir pu tester sa fontaine de jouvence électromagnétique. Sans aucun plan écrit, l'Integratron reste en l'état.
Menacé de destruction, il est racheté in extremis par les sœurs Karl en 2000. Fascinées par l'histoire de Van Tassel, elles offrent à l'Integratron un futur very californien : la bâtisse est aujourd'hui utilisée, grâce à son acoustique parfaite, pour de la sonothérapie. Moyennant 30 euros la séance, on vous y expédie efficacement, via la magie de bols de quartz entrant en résonances croisées, vers les espaces inexplorés du subconscient. C'est déjà ça. Perle d'architecture en bois (aucune vis ne tient ses douze panneaux-coques) impeccablement préservée, le site vient d'être classé au registre national des lieux historiques.
3/Une rencontre du troisième type
Troisième étape de ce parcours hors des voies trop lactées, Kate's Lazy Desert n'a pas directement à voir avec l'activité ufologique de Van Tassel. Il s'agit plutôt du seul endroit où dormir qui soit raccord avec le sujet. D'abord, parce que ce minivillage-hôtel de six caravanes chromées et rétro se trouve à trois minutes de l'Integratron, et que l'une d'elles a pour thème les petits hommes verts. Et puis on y a la meilleure vue sur Goat Mountain, immense cratère sosie de la Devils Tower que Richard Dreyfuss sculpte en purée dans Rencontres du troisième type de Spielberg. Enfin, ne surtout pas oublier que sa génitrice vient de la «Planet Claire» : Kate's Lazy Desert a en effet été monté par Kate Pierson, la chanteuse des B-52's. Déco tiki çà et là, bandes de faux gazon, une piscine-pataugeoire, trois palmiers secs se demandant pourquoi ils n'ont pas choisi d'aller se faire pouponner à Palm Springs, Kate's Lazy Desert est une expérience de caravaning cool et spartiate.
4/Une réalité qui est ailleurs
Après un week-end à graviter en orbite Van Tassel, pas facile de redescendre. Pour accompagner l'atterrissage, un sas de décompression adéquat : tout au début de Reche Road, un bus bizarre garé dans un jardin attire le regard. Il s'agit du Dream Wanderer de l'artiste Kyle Marler, dans lequel son amie Aimee offre pour 8 euros des expériences de réalité virtuelle home made : casque et harnais dûment sanglés, sagement assis à l'arrière du bus, on tire six cartes de tarot, chaque carte correspond à l'un des 26 courts métrages en réalité virtuelle créés par Marler. L'expérience vaut largement le détour, sur un panneau près du bus, une formule conclut le séjour d'une promesse : «We Never Die» («on ne meurt jamais»). Qui sait…