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Libération
Fontainebleau

Piqûre de mystique

Les 25 000 hectares du massif francilien accueillent régulièrement des cérémonies chamaniques, lors desquelles la forêt devient le réceptacle de délires spirituels en tout genre.
Dans la forêt de Fontainebleau, le 22 juillet. (Photos Paul Rousteau)
publié le 27 juillet 2018 à 17h06
(mis à jour le 7 septembre 2018 à 15h09)

Rencontre cosmique dans le désert californien, dialogue avec les arbres, bars vikings à Caen ou nuit dans un intestin à Anvers… Pendant tout l'été, Libération décline quelques voyages et séjours déjantés.

Massif le plus fréquenté de France, au sud-est de Paris, la forêt de Fontainebleau et ses 25 000 hectares n’accueillent pas que des randonneurs du dimanche ou des férus d’escalade. Ses rochers et sous-bois attirent aussi les adeptes de cérémonies païennes; druides, néochamans et autres adorateurs des esprits de la forêt. Plongée dans un Fontainebleau mystique.

Pour célébrer le début de la saison estivale et le passage de l’ombre à la lumière, le petit groupe de participants inscrit à cette réunionchamanique via Internet s’est donné rendez-vous à 10 heures sur un parking de la forêt. Au point de ralliement, il pleut comme un mois d’octobre à Brocéliande. Cela ne décourage pas notre chamane «de tradition feu», la trentaine, de style Quechua de la tête au pied (référence à la marque de sport plus qu’à la tribu indigène).

Après avoir reçu le matériel de base, tambour et hochet chamaniques, et s'être allégée de 80 euros de participation par personne, l'assemblée se met en marche. Elle réunit une dizaine d'individus, tous âges confondus, et n'affiche aucun signe extérieur de chamanisme. De loin, on pourrait nous confondre avec un quelconque club de randonnée, tenue passe-partout renforcée par les ponchos de pluie transcendés du dicton breton : «En Bretagne, il ne pleut que sur les cons».

Transferts

Dès la lisière de la forêt, alors que la végétation est en pleine explosion, fougères, mousses, chênes et pins sylvestres, la chamane invite les participants à remercier la nature. Dans un silence religieux, rondelles de bananes déshydratées, raisins secs, graines de courges sont déposés sur le sol, selon ce que chacun trouve dans son sac pour contenter les esprits environnants. Ils feront le bonheur de la faune du massif : petits rongeurs, souris, écureuils et autres ragondins. Puis une file indienne se forme pour rejoindre le lieu de culte révélé quelques jours plus tôt à la chamane par ces mêmes esprits de la forêt. Dans leur grande magnanimité, ces derniers ont opté pour un endroit accessible à tous en train de banlieue, via un sentier historique, balisé en bleu. Tandis que le groupe progresse lentement sur un tapis d’humus en décomposition, chacun est encouragé à libérer ses humeurs, chanter ou fredonner selon ses capacités.

A mi-parcours, la troupe se dissout et chacun part s’isoler sous la pluie, pendant qu’un des participants, tel un Comanche sur le sentier de la guerre, entame un rythme hypnotique au tambour dans le sous-bois mouillé noyé de brume.

Chaos

Arrivée près du lieu de culte, notre guide spirituelle indique une pierre énorme constellée de trous, à la forme étrange d’éponge marine, réputée pour ses qualités énergétiques. Ce sera le lieu de la célébration. Toujours plongé dans le silence, le groupe en fait plusieurs fois le tour, certains caressant intensément le gros caillou, les yeux fermés, pour faciliter les transferts énergétiques. Parmi les nombreux rochers mythiques de Fontainebleau, étranges chaos dans lesquels on devine parfois des formes d’animaux, la pierre éponge et ses creux emplis de mousses a toujours fasciné. Haut lieu de Fontainebleau, on essaya même de la déplacer et, jusqu’en 1940, on y installa une buvette. Tandis que la pluie redouble d’intensité, l’assemblée se réfugie dans une grotte pour faire état de ses humeurs.

Dans l’ambiance souterraine, parmi les effluves de terre et de champignons, les langues se délient et, rapidement, la cérémonie prend des allures de stage de développement personnel, chacun confiant ses difficultés à être soi, à s’affirmer ou à communiquer avec les autres. La chamane fait brûler quelques racines et tous se signent à tour de rôle, en inspirant des bouffées au passage. Puis, alors que la grotte s’emplit peu à peu de fumée, elle conseille à ses adeptes d’invoquer leurs animaux alliés, livrant quelques conseils aux néophytes : ressentir beaucoup de gratitude envers lui, choisir une espèce qui ne flatte pas son ego (exit le lion ou l’aigle) et qui n’est pas nuisible non plus (ni frelon ni tique). Avant d’orienter les plus intéressés vers un voyage chamanique et une séance de coaching individuelle payante.

La journée touche à sa fin. Le groupe arpente les sentiers alentour, hochet et tambour à la main, et débouche sur une voie goudronnée où évolue une Citroën Berlingo de l’Office national des forêts, reconnaissable à sa couleur vert sapin. A l’avant, deux agents, visiblement peu touchés par notre défilé mystique, nous lancent un regard sceptique. Puis, après avoir croisé quelques promeneurs interloqués par une scène de danse improvisée, la chamane réunit ses adeptes pour clore la cérémonie. A l’écart du sentier, une série de pierres et de chaos de grès forme un plateau intimiste où bataillent les mousses et les arbustes. Ondulant aux branchages, une multitude de bouquets et tissus colorés laissent imaginer d’anciennes cérémonies vaudou et prières païennes. C’est ici que le groupe se réunit pour un dernier bilan. Certains racontent les énergies positives recueillies au fil de la journée, tandis que les moins chanceux espèrent bientôt être touchés par la grâce.

Tous ensemble et trempés jusqu’à l’os, on retourne au parking originel où la chamane remballe son attirail. La plupart de ses activités sont complètes jusqu’à la fin de l’année. Les esprits de Fontainebleau ont encore de beaux jours devant eux.