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Libération

Voyage en terre indigène : «Pourquoi écrire dans la langue du colonisateur, alors que c’est la langue qui a mangé la nôtre ?»

Amérindiens du Québec, Kabyles d’Algérie, Touaregs, Peuls ou Pygmées… Ces peuples parlent notre langue et partagent une partie de notre histoire. Aujourd’hui, ils se battent pour gagner leur place et leur liberté. Tout l’été, France Inter part à la rencontre de ces oubliés de la francophonie.
par Anne Pastor et Baptiste Artru
publié le 27 juillet 2018 à 17h07

Pour ces peuples, le français est un héritage colonial. Dans ces territoires lointains, la langue a un autre rythme, une autre couleur et une saveur particulière. Ils s'en servent pour se réinventer. Au Québec, les Hurons-Wendats ont perdu leur langue au contact du colonisateur au XVIIIe siècle. Mais aujourd'hui, c'est grâce aux archives des missionnaires français que la communauté réapprend sa langue et retrouve son identité. Louis-Karl Picard-Sioui, écrivain et poète, navigue entre ces deux langues, ces deux cultures. «Ma langue maternelle, celle que ma mère m'a enseignée, c'est le français. Moi, j'ai fait le choix à l'âge de 16 ans de reconquérir ma langue ancestrale parce que je me suis intéressé à la spiritualité amérindienne et je me suis rendu compte que dans la maison longue, notre lieu de cérémonie, nous récitions quelques prières mais sans en comprendre le sens. Alors j'ai commencé à faire des recherches.» Pourtant, redonner vie à une langue oubliée est un travail de longue haleine. Il ajoute : «Ça fait vingt ans que j'y travaille […] mais à mon garçon de 3 ans, je ne lui ai jamais dit "bonne nuit" ou "je t'aime" en français, je le lui dis en wendat […]. Pourquoi écrire encore dans la langue du colonisateur alors que c'est la langue qui a mangé la nôtre ? Je vous répondrai que c'est celle que je maîtrise le mieux mais, par contre, mon écriture a beaucoup évolué grâce à la langue wendat et à sa construction.»

Dans la communauté, aujourd'hui, la langue est de nouveau enseignée aux enfants, les adultes suivent des cours du soir, des linguistes travaillent à une grammaire et créent des néologismes car certains mots n'existaient pas à l'époque, comme le téléphone qui peut se traduire par «celui qui porte la voix» ou l'ordinateur «celui qui enregistre la mémoire». Louis-Karl Picard-Sioui écrit toujours en français mais pense en wendat. Ainsi, «si je veux parler des étoiles, je pense au mot "fraise"». Une langue poétique et inventive.