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Libération
Voyage en terre indigène (4/8)

«Pourquoi écrire dans la langue du colonisateur, celle qui a mangé la nôtre?»

Voyage en terres d'ethnologie avec le Quai Branlydossier
Amérindiens du Québec, Kabyles d’Algérie, Touaregs et Peuls du Sahel ou Pygmées d’Afrique centrale... Ces peuples parlent notre langue et partagent une partie de notre histoire. Aujourd’hui, ils se battent pour gagner leur place et leur liberté. Tout l’été France Inter part à la rencontre de ces oubliés de la francophonie.
Village huron. ( Mathieu Nivelles / Flickr)
par Anne Pastor et Baptiste Artru
publié le 28 juillet 2018 à 22h15

Pour ces peuples, le français est un héritage colonial. Dans ces territoires lointains, la langue a un autre rythme, une autre couleur et une saveur particulière. Ils s’en servent pour se réinventer. Au Québec, les hurons-wendate ont perdu leur langue au contact du colonisateur au XVIII

e

siècle. Mais aujourd’hui, c’est grâce aux archives des missionnaires français que la communauté réapprend sa langue et retrouve son identité.

Louis Karl Picard Sioui, écrivain et poète, navigue entre ces deux langues, ces deux cultures. «Ma langue maternelle, celle que ma mère m'enseignée, c'est le français. Moi j'ai fait le choix à l'âge de 16 ans de reconquérir ma langue ancestrale parce que je me suis intéressé à la spiritualité amérindienne et je me suis rendu compte que dans la maison longue, notre lieu de cérémonie, nous récitions quelques prières mais sans en comprendre le sens. Alors j'ai commencé à faire des recherches.»

Pourtant redonner vie à une langue oubliée est un travail de longue haleine. Il ajoute : «Ça fait vingt ans que j'y travaille […] mais à mon garçon de trois ans, je ne lui ai jamais dit «bonne nuit» ou «je t'aime» en français, parce que je lui dis en wendat […] Pourquoi écrire encore dans la langue du colonisateur alors que c'est la langue qui a mangé la nôtre ? Je vous répondrai que c'est celle que je maîtrise le mieux mais par contre mon écriture a beaucoup évolué grâce à la langue wendat et à sa construction.»

Aujourd'hui, dans la communauté, la langue est de nouveau enseignée aux enfants, les adultes suivent des cours du soir, des linguistes travaillent à une grammaire et créent des néologismes car certains mots n'existaient pas à l'époque comme le téléphone qui peut se traduire par «celui qui porte la voix» ou l'ordinateur «celui qui enregistre la mémoire». Louis Karl Picard Sioui écrit toujours en français mais pense en Wendat. Ainsi par exemple «si je veux parler des étoiles, je pense au mot "fraise"». Une langue poétique et inventive.

«Voyage en Terre Indigène» diffusé le vendredi à 17 heures sur France Inter et à réécouter sur www.franceinter.fr