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Californie

Muffler Men, les colosses de roads

Grandes destinationsdossier
Nés dans les années 60, ces géants kitsch veillent sur le bord des routes américaines. Les collectionneurs se les arrachent, mais attention aux contrefaçons. «Libération» est parti sur leurs traces en Californie.
A Joshua Tree. (Photo Katie Callan pour Libération)
publié le 17 août 2018 à 17h16

Bars vikings à Caen, rencontre galactique dans l'Oise ou nuit dans un intestin à Anvers… Pendant tout l'été, Libération décline quelques voyages et séjours déjantés.

Il en est arrivé une belle à Big Josh, en mai. Abandonné aux éléments devant un garage pouilleux vers la Salton Sea, dans le sud-est de la Californie, il pensait avoir fait le plus dur. Racheté et amoureusement restauré par Glen et Steve, Big Josh fut érigé en grande pompe devant leur boutique branchée The Station, à Joshua Tree, Californie. Seulement voilà, Big Josh s’est réveillé un matin avec un drôle d’objet en main : un sexe masculin long comme plusieurs jours sans pain, en papier mâché, dont la toison pubienne frisait le sublime et les attributs annexes un ultraréalisme fabuleusement dégoûtant. Impossible de recueillir son avis sur la blague : taiseux, notre homme est un Muffler Man en fibre de verre de 7 mètres de haut. «Muffler» pour «pot d’échappement» : comme ses collègues, il était au départ, entre les années 60 et 70, destiné à attirer l’œil, et par ricochet ouvrir le portefeuille, des automobilistes qui croiseraient son regard atone de marketing cow-boy devant un garage dont il faisait la publicité.

La péripétie potache de Big Josh a permis de remettre brièvement en lumière, et avec quelle torche, l’aventure des Muffler Men, dont au moins 150 à 200 ont échappé à la destruction et trônent toujours dans un état de délabrement plus ou moins avancé au bord de routes, devant des garages, ou chez des particuliers un peu partout aux Etats-Unis. Envie d’aller en voir quelques-uns façon road-trip ? Voici quelques indices pour se lancer sur les traces de ces géants impavides. Preuve par l’exemple entre Los Angeles et ses environs.

1 L’histoire

Un beau jour de 1962, la petite boîte Prewitt Fiberglass, qui cherche à meubler le vide entre deux commandes de bateau, livre à PB Cafe, au bord de la route 66, un géant de fibre de verre à l’effigie du bûcheron Paul Bunyan, une figure de la mythologie folk américaine. Quelques ventes plus tard, ce même modèle, placé devant une station d’essence American Oil de Las Vegas, double son chiffre d’affaires. C’est la ruée dans le petit monde de la réparation auto. Alors Fiberglass International fonce, créant divers modèles de Muffler Men d’après cette figure de l’alpha-mâle géant. A l’âge d’or, il en aurait existé plus d’un millier, partout aux Etats-Unis. Mais en 1976, dixit l’un de ses derniers propriétaires Steve Dashew, les derniers moules sont détruits à la vente de la boîte. Fin de la fabrication mais début du mythe… Tenté d’en ramener un en France ? Ils se négocieraient entre 12 000 et 15 000 euros. Plus l’excédent bagages.

2 Le bon et le mauvais

Attention, tout ce qui est de fibre de verre n’est pas Muffler Man : devant le succès, des centaines de copies se sont mises à fleurir dans les années 70 (surfeurs, mineurs, prospecteurs, poulets, etc.). D’abord, le vrai Muffler Man mesure entre 4 mètres et 8 mètres de haut. Ensuite, il n’en existe que de quelques styles : classique (que l’on peut peindre en pompiste, golfeur ou hamburger man), bûcheron Paul Bunyan, indien, cow-boy, pirate ou comique de la bande : le Happy Halfwit, représentant un freluquet à canotier et dent manquante. Détail capital : le vrai Muffler Man est aussi un macho man (cet avorton de Happy Halfwit excepté, donc) : la mâchoire doit être carrée, le regard d’acier, l’épaule musclée, la manche de chemisette très courte afin d’exhiber la saillance du biceps veineux. La paume de la main droite doit pointer vers le haut, la gauche vers le bas - comment astiquer décemment un pot d’échappement sinon ?

3 La Californie du Sud

Outre Big Josh à Joshua Tree, la région de Los Angeles compte moins d’une demi-douzaine de Muffler Men encore vivants, prétexte à découvrir des endroits où l’on flâne plutôt peu habituellement : il y a Kevin, devant un garage de Van Nuys, dont la barbe fut un jour noire mais est aujourd’hui entièrement décolorée. Trente minutes au sud, un modèle rhabillé en pilote, fière acquisition d’un concessionnaire de voitures de sport allemandes. En remontant vers la ville, East Los Angeles ne présente pas moins de deux géants de fibre de verre : Tony, passant un sourcil suspicieux au-dessus d’une grille de garage auto à Boyle Heights et Sergio, à Downtown, regard borgne et chemisette seyante à damiers, devant la carrosserie Orozco. A une heure et demie de route vers l’Est, le dernier est chez un particulier, et il mérite un chapitre à lui tout seul…

4 L’antre de Captain Pete

Capitaine retraité de yachts privés, «Captain Pete», 70 ans, s'est construit un fantastique royaume de brocanteur dans le petit bled vintage de Mentone, entre Los Angeles et Palm Springs. La caverne d'Ali Baba de cet homme malicieux à barbe et longue chevelure blanches comprend environ 300 millions d'objets fous - de la carcasse d'un bimoteur utilisée dans le film 1941 posée sur le toit de sa piaule à des vaisseaux spatiaux explosés, en passant un van-lupanar ou une tête de statue de la liberté. Le tout dans un dédale-écrin d'arbres et de recoins où il fait bon déambuler et où le Captain sait mettre le visiteur bienvenu à l'aise : «Une bière fraîche ? Un joint ?» Bien évidemment, un Muffler Man garde l'entrée des lieux tel Sven Marquardt celle du club berlinois Berghain. Un Paul Bunyan lui aussi. Celui de Captain Pete fut acquis pour une somme modique en 1983.

Triomphant à côté d’un poulet de fibre de verre, ce Bunyan conclut le périple à la recherche des Muffler Men du coin sur une note aigre-douce. Car si lui est aujourd’hui une star, plus loin dans le monde parallèle de Peter, vision d’horreur : un autre colosse gît en pièces au sol. Le capitaine n’a pour l’instant retrouvé que des jambes, un torse dépareillé et un demi-visage. C’est là le sort le plus commun pour ce patrimoine folk de bord de route, qui pourrait finir par lentement disparaître… Sauf si, bien sûr, des farceurs de Joshua Tree prennent les choses en main.

Design et donuts

Dormir

NoMad Hotel : le nouveau venu dans le cercle des boutiques-hôtels renouvelant downtown L.A. : design par le Français Jacques Garcia. 649 S. Olive Street, Los Angeles. Tél : (213) 358 0000.

Manger

Randy’s Donuts : pas un Muffler Man, mais un donut géant en fibre de verre sur le toit de cette boutique historique.

805 W. Manchester Blvd, Inglewood. Rens. : www.randysdonuts.com

Tél : (310) 645-4707.

Guerilla Tacos : pas loin des deux Muffler Men situés à East L.A. en plein quartier latino, l’un des tout meilleurs taco spots de Los Angeles.

2 000 E. 7th St, Los Angeles. Rens. :

www.guerrillatacos.com.Tél : (213) 358-7070.