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Libération
Normandie

Sur la route du pari drakkar

En été, des mordus d’histoire médiévale enfilent fourrures et armures et se rassemblent dans plusieurs petites communes normandes situées sur les terres historiques des Vikings.
Lors de la dernière Fête des Vikings à Isigny-sur-Mer, en juin. (Photo Adeline Keil)
publié le 24 août 2018 à 17h06
(mis à jour le 7 septembre 2018 à 15h10)

Ils se surnomment Olaf, Sigvar ou Herulf, portent la barbe taillée et les cheveux longs, passent leur week-end à lancer des haches, voguer sur un drakkar ou livrer bataille à un autre clan. L’été venu, en Normandie, c’est l’occasion pour les fanas d’histoire médiévale et de reconstitution de sortir peaux de bêtes et pendentifs marteau, pour vivre en plein air, à la mode viking.

Sans doute, les Vikings n’auraient pas pu rêver mieux. Un beau week-end ensoleillé, le parterre de la mairie d’Isigny-sur-Mer rien que pour eux, et une foule d’autochtones ne demandant qu’à dépenser jovialement leurs écus… Fin juin se tenait la deuxième édition de la fête viking d’Isigny-sur-Mer : une reconstitution de camp sur la place centrale du village, avec échoppes de circonstance, stands de vêtements en cuirs, d’hydromel, de bijoux, ou de peignes en os, à mi-chemin entre folklore et histoire. Dans les effluves de viande grillée, une horde de gaillards s’affairent à cuisiner au feu de bois, à se prélasser sur des peaux de bêtes ou à combattre pour de faux, avec de vraies cottes de maille, sur un air bien réel de musique médiévale New Age, façon Era à la sauce celtique.

Barbe grisonnante, tunique et pantalon en lin sur chaussures en cuir, Stig, l'organisateur, raconte, amusé, l'origine du festival : «Un jour, on était sur cette place et on mangeait des frites en famille. On a vu deux corbeaux et on a tout de suite pensé [au dieu nordique] Odin. On s'est mis à regarder l'endroit autrement.» Puis il s'interrompt et accueille chaleureusement une bande de bikers suédois, débarqués à Isigny par hasard, et tatoués des fameux corbeaux prophétiques. Pendant ce temps, à quelques pas, chez Vegvisir, un clan voisin, Harald montre aux visiteurs comment allumer un feu par friction ou percussion.

Photo Adeline Keil

Bien sûr, dans cette petite communauté viking, tous ont déjà entendu parler du Dreknor, l'aventure un peu folle d'un couple de Cherbourgeois, Nathalie et Marc, fascinés par une galère cosaque du XVe siècle débarquée en Normandie il y a vingt ans. Ils décident eux aussi de reconstituer un bateau ancien. Normands d'origine, ils jettent leur dévolu sur un drakkar du haut Moyen Age, le Gokstad, découvert en Norvège. Aujourd'hui, leur Dreknor, sa réplique, est l'attraction du joli petit port de Carentan, avec son allure robuste et rustique, sa coque en planches de bois naturel et sa proue redoutable, sculptée d'un dragon contre les esprits maléfiques. Jointe par téléphone - le couple, amateur de metal, est parti au Hellfest - Nathalie raconte leur épopée : «Il a fallu aller jusqu'en Norvège et faire le tour des chantiers navals de Scandinavie pour pouvoir comprendre les plans du musée d'Oslo. Les techniques de construction sont très différentes et ici, les charpentiers de marine n'arrivaient pas à les interpréter.»

Corne à boire

A proximité de Caen, le parc historique Ornavik travaille lui aussi, comité scientifique à l'appui, avec un souci scrupuleux du détail. Porté par l'association Vikings an 911 (de la date du traité de Saint-Clair-sur-Epte, quand Charles le Simple négocie un territoire avec le fameux chef viking Rollon, et donne naissance au futur duché de Normandie), il plonge le visiteur au cœur du Moyen Age, à travers un comptoir viking et un camp carolingien qui cohabitent pacifiquement. Sous son épaisse toque de fourrure, Guligrin - un bénévole dont le surnom norrois rappelle son casque d'or et ses cheveux roux-blond - accueille les badauds avec gouaille et conviction, son couteau et sa corne à boire à la taille. Cet ancien surveillant de prison peste contre la législation qui les force à insérer par sécurité des U métalliques aux piliers du futur hangar à bateaux. Puis il entame la visite de la maison d'inspiration suédoise ou de celle danoise du forgeron. A ses côtés, tisseuse, sculpteur sur bois ou tailleur de cornes s'activent. Guligrin vient de tanner une peau de chevreuil à l'urine de bénévoles, méthode primitive oblige. Non loin de lui, Yohan, jeune armurier et développeur informatique la semaine, attend les fêtes d'Ornavik avec impatience pour enfiler son armure de dix kilos et combattre avec d'autres «reconstituteurs». Il se marre : «En même temps c'est tellement lourd. Pas besoin d'adversaire, un mauvais pas et on se fait mal tout seul.» Pas de doute, le Viking aime quand ça castagne ! Surfant lui aussi sur la déferlante barbare, le Valhalla - en référence au lieu mythique où se retrouvent les guerriers après leur mort - a ouvert il y a moins d'un an sur une zone d'activités, près de Caen.

Répliques d’armes

A Bretteville-sur-Odon, le drapeau normand planté en guise de bienvenue, ce «paradis» partage le même hangar qu’une boutique d’airsoft, discipline peu banale où l’on simule la guerre avec des répliques d’armes. Propriétaire des lieux, au premier abord aimable comme un Viking qui aurait été contraint de raser sa barbe, croix celte tatouée sur le bras, Adrien est fan de reconstitution médiévale, de Vikings et globalement d’armes en tout genre. Ce qu’il propose : des cibles dans un enclos grillagé où le public vient lancer des haches, comme on tire à l’arc, au côté d’un bar avec planches apéritives pour éponger et viser droit, même en fin de partie. A l’écouter, le lancer de haches viendrait du Canada, et le concept marcherait plutôt bien en France, où il prévoit de développer sa franchise.

Au Valhalla, les pistes sont pleines et l’ambiance bon enfant. Une petite famille dont la fille se défoule après avoir passé son bac côtoie un futur marié qui enterre sa vie de garçon déguisé en Mario, salopette bleue sur tee-shirt rouge. La tenue viking n’est pas réglementaire.

photos Adeline Keil