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Cuba

Rock in the casa

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Marginalisés, accusés d’être contre-révolutionnaires, interdits de rassemblement par le pouvoir castriste, les fans du genre ont dû batailler pour avoir le droit d’écouter leur musique en public. Retour dans quelques lieux mythiques de La Havane où souffle une nostalgie rock’n’roll très 80.
Au volant d’une almendrón, vieille voiture américaine retapée qui sert de taxi collectif, à La Havane en 2015. (Photo Carl de Keyzer. Magnum Photos)
par Clara Wright
publié le 31 août 2018 à 17h06

La rue à Cuba est chantante. A chaque cuadra résonne un morceau de salsa ou de reggaeton craché par les enceintes bidouillées d’un vélo-taxi. Mais si vous tendez bien l’oreille, vous entendrez aussi du rock. Vous verrez danser des Cubains aux cheveux longs, arborant tatouages, piercings et bottes montantes par 35°C. La route a été longue avant que ce genre musical et ses adeptes ne soient tolérés par l’Etat. Retour sur quelques lieux mythiques qui ont marqué l’histoire de la musique yankee au pays des congas.

1- A l’Université, les rockeurs épinglés

Pour prendre le chemin du rock, montez dans une almendrón, cette vieille voiture américaine retapée qui sert de taxi collectif aux Cubains, et quittez le cœur touristique de la ville. Direction le quartier du Vedado. Avec ses colonnes néoclassiques imposantes juchées sur une colline, impossible de louper votre premier arrêt, l'université de La Havane. La statue Alma Mater accueille les visiteurs, installée à mi-parcours d'un escalier de 88 marches qui permet d'accéder au cœur du lieu. Là, près de la bibliothèque, le Parti communiste cubain a placé un tank américain capturé en 1958 pour rappeler la défaite du régime de Batista, soutenu par les Etats-Unis. Dans cette ambiance studieuse du XXIe siècle résonne encore les canons de la révolution. C'est ici que Fidel Castro et ses camarades ont élaboré leur plan d'attaque. C'est encore ici qu'il a condamné les rockeurs à la marginalisation.

La statue de John Lennon inaugurée par Fidel Castro en 2000. Photo AP

On est en 1963. Quatre ans après la victoire des révolutionnaires, le pays est en plein bras de fer avec les Etats-Unis qui ont mis en place un embargo sur l'île. Sous les applaudissements des étudiants, Fidel Castro fustige les rockeurs, ces «sous-produit(s) du capitalisme» aux «attitudes elvispresleyiennes» soupçonnés de vouloir affaiblir le projet castriste. Le King n'est pas le seul accusé. Tout le rock anglophone est ciblé. Alors que le monde danse au rythme des Beatles, les Cubains ne peuvent pas porter les cheveux longs, ni adopter le style vestimentaire qu'ils souhaitent. Et surtout pas à l'université. «Les professeurs faisaient le test du citron. Si le citron restait coincé dans ton pantalon et ne tombait pas à tes pieds, ils te renvoyaient chez toi pour te changer» car le pantalon était trop moulant, raconte en riant un Cubain. Un autre, adepte de métal, se souvient être plusieurs fois retourné chez lui les vêtements «déchirés» par les policiers.

2- Calle G, sanctuaire en plein air

On remonte en voiture. Calle 25, la vibrante calle 23 avec son cinéma, son marchand de glaces, son accès wi-fi payant, puis la 21, la 19… Les rues du quartier du Vedado sont numérotées ou désignées par des lettres. Certaines larges avenues portent aussi des noms. La «avenida de los Presidentes», ou «calle G», est devenue un symbole. C’est dans cette large rue décorée de statues de présidents socialistes et composée d’un terre-plein bétonné, de bancs et d’arbres, que les rockeurs se réunissent depuis les années 80 quand ils ne savent pas où sortir pour écouter leur musique. A l’époque, ils se faisaient déloger par la police. Aujourd’hui, les jeunes s’y rendent comme à un sanctuaire, fiers de suivre les traces de leurs aînés, buvant jusqu’à l’aube en écoutant du rock sur leurs téléphones, sous le regard toujours vigilant des policiers.

3- La Casa de la Amistad et les fantômes du Patio

Plus loin, l’almendrón ralentit aux abords de l’avenue Paseo où un bon vieux morceau de Led Zeppelin retentit. C’est dimanche et c’est jour de rock à La Havane. Dans le patio de La Casa de la Amistad, près de 200 amateurs viennent, chaque semaine, écouter les reprises du groupe de rock cubain La Vieja Escuela. Les tenues noires et décharnées des fêtards tranchent avec les murs roses de la bâtisse.

Certains dimanches, vous pourriez y croiser une élégante sexagénaire, Maria Gattorno, dite «la madre de los rockeros». Pour comprendre ce surnom, il faut faire marcher la machine à souvenirs et rouler sur Paseo jusqu'à la calle 37. Là, une maison. Son jardin a été le repaire des rockeurs marginalisés pendant une quinzaine d'années. Cette maison était une casa de la cultura, un centre d'activités culturelles gratuites dépendant de l'Etat. Maria Gattorno y était chargée de programmation. «Un groupe de rock répétait dans un parc pas loin mais les voisins leur lançaient des chaussures», se souvient-elle, trente ans après. Maria leur ouvre alors les portes de la casa. D'autres groupes les rejoignent. Elle découvre «ce monde underground» et suggère, non pas un concert, mais une «répétition avec public» à ses supérieurs. La maison est envahie de fans.

Forte de ce succès, Maria convainc sa hiérarchie : en 1987, le patio de la casa devient le premier lieu institutionnel de La Havane à réserver une plage horaire hebdomadaire au rock. Pour garantir la viabilité du projet, la jeune femme tente un «travail éducatif» auprès des policiers du coin… Las, en 2003, le Q.G. des rockeurs ferme «officiellement de manière temporaire pour le rénover». Il ne rouvrira pas.

4- Nostalgie au Submarino

A l’entrée du Submarino Amarillo, bar hommage au Beatles. Photo C. Batista. AFP

A quelques pâtés de maison de la Casa de la Amistad, on tombe sur John Lennon. L'ancien ennemi a sa statue à La Havane, installée sur un banc dans un petit parc et inaugurée en 2000 par Fidel Castro lui-même. «C'était comme lui rendre justice», confie le chanteur cubain Eddy Escobar. Considéré comme le meilleur interprète du groupe à La Havane, Eddy performe chaque semaine au Submarino Amarillo, un bar situé près du parc et ouvert en 2011 par l'Etat. Avec sa couleur jaune pétard et ses hublots, le lieu ressemble à un sous-marin, version cubaine du Yellow Submarine des Beatles… A l'intérieur, les paroles des chansons du groupe britannique, leurs portraits et leurs couvertures de disque tapissent les murs. La règle ici : jouer du rock étranger. Une fois par semaine, Eddy y reprend de grands classiques pour un public nostalgique : «Ils se souviennent de ne pas avoir eu la liberté d'écouter, de danser sur cette musique, et en profitent pour rattraper le temps perdu.»

5- Dans l’attente du Maxim Rock

Enfin, pour les amateurs de hard rock, il y a le Maxim Rock. Ou plutôt, il y avait. Cet ancien cinéma, reconverti en salle de concert (parrainé par l'Etat), est fermé depuis au moins deux ans pour… rénovations. Les métalleux le considèrent comme la relève du Patio de Maria et craignent que, lui non plus, ne réouvre pas. «Outre le fait d'être une salle de concert, c'était un lieu pour sociabiliser pour la jeunesse qui aime le rock'n'roll. Il y avait aussi des projections de films dans la salle», s'emporte Dionisio Arce, le chanteur de Zeus, un groupe de métal légendaire dans le pays. Du côté de l'Agence de rock cubaine, on assure que le Maxim Rock sera fonctionnel à la rentrée…

 Around the clock

Y dormir

Optez pour les casas particulares, des chambres d’hôtes autorisées. Réservez en ligne ou repérez la pancarte avec le signe de la casa particular à l’entrée des immeubles et demandez à visiter. 30 CUC environ. Rens.: Mycasaparticular.com

Y manger

Dans la vieille Havane, sur la vibrante Plaza del Cristo, El Chanchullero propose des plats locaux et copieux. La maison s’amuse des clichés entre un menu «révolutionnaire» et des messages aux touristes qui apprendront qu’«ici n’est jamais venu Hemingway». 457 A, bajos Teniente Rey. Sur le port, laissez-vous tenter par une microbrasserie pour boire une pinte (2 CUC) et profiter de la musique.

Y sortir

La Fabrica del Arte Cubano. Cette ancienne usine située à Vedado a été transformée en un espace festif où concerts, projections de films, expositions et buvette se côtoient. Entrée: 2 CUC. Calle 26