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Danemark

Christianshavn, îlots à flots

A Copenhague, ce quartier cerclé de canaux offre un pêle-mêle de styles architecturaux qui reflètent les époques et les bâtisseurs qui s’y sont succédé.
Un restaurant dans Christiania. (Photo S. Brandstrom. Signatures)
par Léa Charron, Envoyée spéciale à Copenhague
publié le 14 septembre 2018 à 17h07

Nous sommes sur les bords de l'Øresund, c'est-à-dire le «détroit», plutôt mince, qui sépare les îles danoises de la côte ouest suédoise ; un détroit coincé entre la mer Baltique et la mer du Nord. Sur l'îlot le plus oriental du Danemark, la cité de Copenhague est formidablement ouverte sur l'horizon. Longtemps port de pêcheurs et centre de commerce important, elle a grandi sur une eau argentée, dans les effluves de harengs. Mais il est un quartier où l'omniprésence de la mer s'efface, pour mieux révéler le ciment national qu'est l'architecture scandinave : Christianshavn. Sur cet archipel fantasmagorique, les canaux se font plus longs et plus sinueux, donnent à la ville un air de Bruges ou d'Amsterdam miniature. On les franchit comme on change d'époque. L'ossature du quartier est ailleurs, dans un pêle-mêle de matériaux, de styles et de monuments exotiques qui reflètent le passage de multiples bâtisseurs, sans jamais séparer les âges. Les anciennes fortifications du XVIIe siècle côtoient, depuis près de quarante ans, l'étrange et coloré chaos de la «ville libre» de Christiania, avec ses maisons uniques et atypiques, construites à la main par des artisans activistes. Architectes, entrepreneurs et grands chefs transforment aujourd'hui les entrepôts de l'ancienne zone portuaire en lieux artistiques et alternatifs, et font sortir de terre des œuvres d'un genre nouveau, avant-gardistes et titanesques. Balade architecturale à travers les âges.

Le canal de Nyhavn. Photo Stéphane Dubromel. Hans Lucas

Les toits de Copenhague

Le roi Christian IV (1577-1648) entreprit les travaux d'aménagement qui donnèrent son visage à Christianshavn, à partir de 1639. Le quartier a été pensé, à l'origine, pour fonctionner indépendament de Copenhague, avec un style architectural très inspiré des maisons néerlandaises et des canaux d'Amsterdam : un port, des fortifications, des habitations. Les rues étroites et pavées séparaient les maisons en brique et, plus rarement, à colombage. Les bâtiments ne s'élevaient pas plus haut que deux étages. Dans cette forêt de tuiles rouges, la flèche noire et or de l'église Notre-Sauveur semble tout spiralement sortie d'un roman de Jules Verne. Baroque, construite à la fin du XVIIe siècle, son clocher offre surtout une vue superbe sur la ville. On y accède par un escalier de 400 marches, dont des échelles de meunier puis une rampe en colimaçon, en extérieur, à la merci du vent. Copenhague à 90 mètres de hauteur vaut autant le détour que l'église tout en granit et en briques jaunes et rouges, dans un style qui emprunte la démarche ostensible de l'architecture Renaissance.

Le dernier bastion hippie

L’un des derniers lieux de la contre-culture en Europe se trouve au bout de la rue Prinsessegade : Christiania. Cette «ville libre», basée sur la démocratie directe et l’autogestion, est née dans l’anarchie des années 70, aujourd’hui plus structurée mais plus fragile qu’il n’y paraît. Pourtant isolée par un haut mur couvert de fleurs et de fresques psychédéliques, on pénètre dans l’enclave sans passer aucun garde-corps. Les entrepôts de munitions et baraquements de ce terrain militaire désaffecté ont été transformés en logements collectifs, troquets et salles de concerts.

Les premières maisons individuelles se trouvent, quant à elles, enfouies dans les joncs et les arbres des rives du canal, le long des anciens remparts, édifiées par des bâtisseurs hippies ou ex-punk, selon leurs propres plans.

Un pont dessiné par Olafur Eliasson.  Photo Getty

Bois, verre, tôle, ornées de nichoirs, de godillots, de plantes ou de carillons éoliens, d’horloges cassées ou de stûpas, parfois sur pilotis ou recréées à partir de saunas, de wagons et de vieilles huttes de bergers, elles sont uniques dans leur conception. Certaines, en paille, ont été délaissées par leurs propriétaires, peu désireux d’investir dans un logement dont ils ne garderont rien. L’une d’entre elles, surélevée face au lac et aux airs de serre dépareillée, a été modelée, trois ans durant, à partir de cadres de fenêtres.

Monument vivant, la ville libre et bohème résiste depuis quarante ans aux coups de boutoir du gouvernement et aux promoteurs immobiliers qui lorgnent au grand jour sur ces terrains à forte valeur ajoutée.

Front de mer

Au sud du quartier, un pont surprenant enjambe le canal Christianshavn. L'artiste dano-islandais Olafur Eliasson l'a façonné de cinq plateformes circulaires et de hauts mâts retenus par des câbles, pour encourager les promeneurs à ralentir leur marche. Au nord, l'ancienne zone portuaire de Refshaleøen se réinvente. En associant les techniques de production industrielle aux apports des écoles de design, les anciens docks et hangars du front de mer se sont dotés d'un style épuré et fluide. Ils dissimulent désormais studios d'architecture, de design et de mode, microbrasseries aux guirlandes chatoyantes et haute cuisine. Le temple de la street food, Papirøen, a ouvert sur les docks au mois de mai et le mythique restaurant Noma a pris ses quartiers non loin de là en février, dans un ancien blockhaus transformé en ferme danoise, à l'initiative du chef René Redzepi et de l'architecte Bjarke Ingels. Bouleaux, lac et oiseaux des rives, mousse et odeurs de sous-bois pénètrent les lieux, tant dans l'assiette qu'au travers d'immenses fenêtres et plafonds en verre.

L’Opéra de Copenhague. Photo Peter Topp Enge Jonasen. Getty

Béton armé

Dans une ville où, pendant quatre à cinq mois, la nuit étend son ombre très tôt l’après-midi, la lumière semble capitale. Sur l’archipel d’Holmen, l’Opéra de Copenhague n’échappe pas à la règle. Colossal paquebot tout d’acier, de béton armé et de verre, il est sorti de terre en 2005, face au Palais de la reine. A l’intérieur, quatre reliefs de bronze et trois sculptures lumineuses illuminent son foyer. Henning Larsen, architecte désigné par la fondation de l’industriel AP Møller, à l’initiative du projet, prévoyait une construction transparente, avec une façade vitrée et un toit en pente. La façade, finalement masquée par une énorme grille en acier et surnommée, depuis, «le grille-pain», abrite un millier de salles sur quatorze étages. Mastodonte architectural adoré des uns, détesté des autres, il divise et contemple, depuis son esplanade flottant sur les eaux, quatre siècles de création à Christiashavn.

De jour comme d'Inuit

A faire

Le centre danois d'architecture (DAC) a pris place dans un nouveau bâtiment, Blox, inauguré fin mai, dans le quartier d'Indre By. Un lieu de rencontre entre architectes, designers et artistes urbains. Expositions, conférences, grande collection de livres et restauration. Rens. : Blox.dk

Le musée du design pour revivre l'histoire du design danois au cours des siècles. Ouvert du mardi au dimanche. Rens. : Designmuseum.dk

L’église Notre-Sauveur avec l’entrée et la montée des marches pour la vue panoramique sur Copenhague, du lundi au samedi de 9 h 30 à 19 heures et le dimanche 10 h 30 à 19 heures.

Y manger

La maison de l’Atlantique nord organise, tout au long de l’année, des événements et des expositions autour de la culture inuit en Islande, au Groënland et aux îles Féroé. Une atmosphère fantastique avec des stands de nourriture et des terrasses au soleil.

Papirøen, le temple de la street food, sur l'îlot de Christianholm : des dizaines de stands proposent des plats du monde entier, bios, équitables, gras, grillés ou crus.