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Kirghizistan : l’épopée russe

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Tiraillé entre ses traditions et un passé tsariste et soviétique qu’il cherche à dépasser, le pays d’Asie centrale de culture nomade offre un cadre naturel vierge, prisé par les trekkeurs.
Ala-Too, la place principale et centrale de Bichkek, d’un blanc étincelant. (Photo Maxime Fossat)
publié le 12 octobre 2018 à 18h46
(mis à jour le 12 novembre 2018 à 10h31)

A droite, à gauche, partout : des cimes qui fendent l’horizon. Le Kirghizistan : pays aux mille montagnes dont plus de quarante dépassent les 4 000 mètres. L’un des Etats les plus pauvres au monde, aussi. L’ex-république communiste est indépendante depuis l’éclatement de l’URSS mais reste encore tiraillée entre les cultures nomades traditionnelles longtemps brimées et son passé soviétique. Déambulations dans l’est du pays, sur la piste de cet héritage russe.

A Bichkek, vestiges de l’URSS

Bichkek est un magnétoscope. La capitale kirghize rembobine l'histoire et déroule la cité sous l'URSS : un plan quadrillé par de grandes avenues, les bâtiments comme des cubes de marbre, les places sans rien d'autre que la statue d'une gloire passée. La ville, fondée par la Russie tsariste à la fin du XIXe siècle, a encore tout de «Frounzé» - son nom de 1926 jusqu'à l'indépendance. Partout, de longues barres d'habitations, d'un gris soviétique. Les fenêtres, taillées en demi-cercles, rappellent la forme des yourtes nomades et ce n'est pas un hasard. La doxa stalinienne disait : «National dans la forme, soviétique dans le fond». Çà et là, des restes de mosaïques, éclats de couleurs propagandistes rattrapés par l'urbanisation continue. L'Etat n'a cure de la dilapidation du patrimoine soviétique, voire la pousse. Une transition dont le symbole reste le Musée national d'histoire, fermé depuis deux ans, et dont on ignore le devenir des fresques dantesques figurant toute l'idéologie soviétique, comme la représentation du paradis (Gagarine venu des cieux, une vierge à l'enfant en travailleuse stakhanoviste un bambin dans les bras…) et de l'enfer (un squelette au brassard nazi, Reagan en cow-boy d'os chevauchant une fusée).

Devant les portes closes du musée, Ala-Too. La place, immaculée, renvoie une lumière brutale, d’un blanc insoutenable. Lieu de toutes les fêtes et protestations, Ala-Too glorifie Manas, héros de tous les Kirghiz. La statue du guerrier, qui plastronne sur son puissant destrier, a relégué celle de Lénine en 2003. Le guide bolchevique trône toujours, mais un peu plus loin, à deux pas de Marx et d’Engels qui cogitent ensemble. Autour, des amoureux roucoulent sur les bancs et des familles flânent dans les allées de verdure.

Tcholpon-Ata, la carte postale

Sur la route qui part de Bichkek direction l’est du pays, quelques palmiers en plastique s’étirent, et la poussière virevoltante fouille les trachées. Après 260 kilomètres d’un même paysage, où seuls les cahots de la route troublent la sensation de quiétude, voilà Tcholpon-Ata. La petite station balnéaire borde la rive nord de l’Issyk-Koul («lac chaud» en kirghiz, ce lac ne gèle pas en hiver), le deuxième plus grand lac de montagne au monde après le Titicaca (un gabarit poids lourd : 182 kilomètres de longueur, 61 kilomètres de largeur, le tout perché à plus de 1 600 mètres d’altitude).

Carte postale : le bleu du lac et celui du ciel font la paire et, face à nous, la rive sud s’étend comme un mirage. On devine la chaîne montagneuse qui se dessine dans le lointain en pointillés. La neige qui crête les monts et les fins nuages entrent en collision, s’entremêlent : de la meringue à portée de bras. Dans les années 70 et 80, les bords de l’Issyk-Koul étaient l’une des villégiatures de la nomenklatura russe, qui venait se prélasser sur les langues de sable et patauger dans son eau cristalline. Aujourd’hui, les classes aisées d’Asie centrale ont remplacé les apparatchiks venus de Moscou ou de Saint-Pétersbourg, et l’été on peut assister au ballet des riches Kazakhs et Ouzbeks qui donnent à Tcholpon-Ata des airs de Riviera kirghize.

L’Issyk-Koul, deuxième plus grand lac de montagne au monde. Photo Maxime Fossat

Début septembre, tout le pays avait les yeux braqués sur la station balnéaire, qui organisait pour la troisième fois les Jeux mondiaux nomades. Vitrine des traditions de la steppe, on y a pratiqué le salburun, chasse traditionnelle avec aigles, faucons et lévriers, et le kok-borou, sorte de polo brutal joué avec le corps décapité d'une chèvre (lire Libération du 10 septembre).

Le reste des attractions culturelles de Tcholpon-Ata prouve à quel point le Kirghizistan peine à valoriser son patrimoine. Le musée d'Histoire est historique (les notes jaunies…) et le centre socio-culturel de Ruh-Ordo, érigé au début des années 2000, confine au loufoque : Jeanne d'Arc, Gavroche et une ribambelle de déesses grecques en statues d'or soviet style se dispatchent sur une pelouse manucurée. Mais pas de traces de fidèles du Parti…

Karakol, au pied des cimes

Tout au bout de l'Issyk-Koul se trouve Karakol. La cité, ancien avant-poste de l'armée impériale bâti en 1869, fut nommée pendant près d'un siècle «Prjevalsk», du nom de l'explorateur de l'Asie centrale et officier tsariste Nikolai Prjevalski. Ville damier aux longues rues vides, Karakol est parsemé de maisons coloniales, petites constructions de plain-pied aux volets bleu céleste, édifiées au début du XXe siècle. Les Kirghiz n'ont jamais été un peuple de bâtisseurs, et la plupart des monuments historiques du pays – qui se comptent sur les doigts de la main – ont été érigés sous la domination des Russes. Pour s'en convaincre, il suffit de se poster devant l'église orthodoxe plus que centenaire de la ville (située au croisement des rues Gagarine et Lénine). La structure de bois est dépouillée, et seules les coupoles d'or témoignent de son lustre d'antan. Une sœur, chaussons en peluche et longue robe jusqu'aux chevilles, étale des tapis sur les marches.

Plus de quarante sommets dépassent les 4 000 mètres. Photo Maxime Fossat

On croise des randonneurs. L’un d’eux a rustiné sa chaussure gauche avec une grosse bande d’adhésif : Karakol est devenu, depuis quelques années, le camp de base vers les cimes du massif du Tian Shan. Symbole de l’ouverture du pays et de ses ambitions touristiques, la ville se veut le point de rendez-vous des trekkeurs du monde entier. Rassasié de rocailles, les muscles striés de courbatures mais les poumons gonflés d’air pur, on peut repartir. Un dernier œil sur le paysage : la nuit coule lentement et, sur les eaux noires du lac, le soleil s’abat rouge sang.

Y aller

Depuis Paris, Aeroflot et Turkish Airlines (escales à Moscou ou à Istanbul) font la liaison avec Bichkek.

Y manger

Dans les nombreux bazars, les bouis-bouis affriolent le chaland de leurs fritures, samsas (beignets de viande et d’oignons frits : une bouffée de gras instantanée) et casseroles de «plov» (riz sauté, légumes et viande).

Aux abords de l’Issyk-Koul, il faut tenter les poissons pêchés dans le lac, mais éviter ceux qui restent pendus toute la journée dans les épiceries…

A faire aussi…

A Bichkek, le haut en couleur Osh Bazaar et le gigantesque marché de gros de Dordoi, une véritable ville dans la ville dont une seule journée ne suffit pas à faire le tour.

A Karakol, le fameux marché aux bestiaux, tous les dimanches matin, dans le cas où vous souhaiteriez acheter un cheval ou un chameau - ou simplement pour y déambuler.