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Brooklyn: les nouveaux visages du rivage

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Parcs, salles de concert, bars, entreprises… Le long de l’East River, les anciens docks du borough new-yorkais n’en finissent pas de changer. Bientôt, les berges seront totalement rendues aux promeneurs. Itinéraire à travers quatre quartiers transformés.
Vue de Manhattan depuis Williamsburg. (Photo Getty Images)
publié le 19 octobre 2018 à 17h16
(mis à jour le 21 novembre 2018 à 16h19)

«Ici, à Brooklyn, il y a toujours la sensation de la mer», écrivait la romancière américaine Carson McCullers. Pour s'en apercevoir, plus besoin d'aller jusqu'à Coney Island, tout au sud, ou de traîner vers le pont de Brooklyn, qui mène à Manhattan. Désormais, de Sunset Park jusqu'à Greenpoint, le littoral - ou waterfront - de Brooklyn change à toute vitesse. S'y promener, c'est un peu comme voyager dans le temps. Car les quartiers gentrifiés depuis longtemps donnent une idée de ce que pourraient devenir les zones encore en friche. A l'inverse, ces dernières nous parlent d'un passé pas si lointain. Un passé industriel de docks et de sueurs où les bords de l'eau n'avaient pour but que de fabriquer, entreposer et expédier des marchandises. Ces dernières décennies, les grillages bordant le waterfront sont tombés, dévoilant des rivages pleins de promesses. Et les jetées, réduites à l'état de bizarreries urbaines une fois leur utilité envolée, ont parfois trouvé une seconde vocation, comme terrain de basket, de golf ou lieux de promenades mélancoliques.

1/Sunset Park, vibrant melting-pot

A Sunset Park, le waterfront est en crise identitaire. Des machines de chantier à l'air menaçant qui semblent à l'arrêt pour toujours jouxtent les magasins de déco chic où un coussin coûte 200 dollars et où l'on peut acheter un baby-foot avec des figurines de toutes les couleurs de peau. Les hangars vides n'ont pas encore décidé ce qu'ils voulaient être. Des ateliers de théâtre, des maisons de production, des lieux de réception ? Les offres ne manquent pas pour louer ces espaces vierges.

Brooklyn Hangar, un club logé dans l'un d'eux, est un exemple de reconversion réussie. Industry City en est un autre encore plus flamboyant. Depuis 2013, ce complexe composé de sept anciens entrepôts est devenu, selon certains, la «Silicon Valley version New York». On y trouve un food court (ensemble de restaurants et cafés), des espaces en extérieur où ont lieu des concerts, une salle de jeux d'arcade (où l'on fait mumuse sans limite de temps pour 5 dollars), des cours divers et plus de 450 entreprises qui embauchent quelque 7 000 personnes. Un chamboulement pour Sunset Park, qui a été cité en 2017 par le Lonely Planet parmi «les dix quartiers les plus cool du monde».

La zone est par ailleurs un vibrant melting-pot. Autour de la 8th Avenue se trouve le plus grand Chinatown de Brooklyn, qui possède aussi un food court, le Fei Long Food Court. Une importante communauté mexicaine y vit également. C'est d'ailleurs pour lui plaire qu'Industry City organise, chaque dimanche, des spectacles gratuits de salsa.

Crédit: MG_2751 / Flickr

2/Red Hook, «ambiance village»

Au nord, à Red Hook, la proximité de l'eau a apporté son lot de disgrâces. En 2012, l'ouragan Sandy a durement touché le quartier, qui était sur le point de devenir le nouveau repaire à la mode. Aujourd'hui, en se baladant sur les bords proprets de la baie, point d'observation privilégié du ballet des ferrys qui arrivent de Manhattan, difficile d'imaginer qu'il y a un jour eu une tempête. Des docks ont été transformés en un dédale de galeries d'art et une barge datant de la fin du XIXe, le Waterfront Museum, fait de nouveau office de lieu d'exposition et de performances. On se croirait dans une petite bourgade.

Ici, pas de chaînes de cafés ni de restaurants, mais des boutiques locales. Et une bande de chats sauvages. Nul doute que les lacunes des transports publics - le métro ne dessert pas l'intérieur du quartier - y sont pour beaucoup dans cette atmosphère de bout du monde. «On prend tous le bus, donc on finit par sympathiser. Ça donne une ambiance de village», raconte Shana, la petite trentaine. Comme tout village qui se respecte, Red Hook compte son bar d'habitués : le Sunny's, vieux de plus de cent ans. Grâce à la mobilisation de la population, le troquet a pu panser les plaies causées par Sandy. Et c'est tant mieux, car on se sent instantanément à la maison dans cet antre où résonnent les accords joués par des groupes de bluegrass, genre proche de la country.

La nuit venue, dans les ruelles, aucun bruit ne vient perturber le chant des grillons, qu’on n’avait pas entendu depuis longtemps. On s’émerveille à la vue des lumières de Manhattan au loin. Sans elles, comment savoir que l’on est à New York ?

Le pont de Manhattan. Crédit: Phil Dolby / Flickr.

3/Williamsburg, loisir et luxe

Pour Williamsburg, les choses sont claires : son rivage rime avec loisir et luxe. Les immeubles sophistiqués y sortent de terre face à un Manhattan qu’ils semblent vouloir imiter. S’il reste quelques entrepôts inexploités, gageons sans risque qu’ils sont en train de vivre leurs derniers moments. Cet été, Domino Park, un espace public rutilant le long de l’East River, a vu le jour. Première étape d’un vaste projet de réaménagement. Promenade surélevée, transats, terrains de beach volley, jets d’eau arty, échoppes de tacos et de glaces et, bien sûr, - on est à New York quand même -, un parc à chiens.

Plus loin sur le littoral poussent de larges pelouses et leurs tables de pique-nique. Une étroite plage a même été rendue accessible cet été. Que manque-t-il ? Une eau de l’East River propre dans laquelle plonger, peut-être ? Même pas en rêve. La rivière est extrêmement polluée depuis un siècle. Mais pour améliorer la situation, une association a mis sur pied un projet à base… d’huîtres. Outre la réhabilitation de ces mollusques exterminés par la gourmandise des New-Yorkais, le concept repose sur les capacités naturelles des huîtres à nettoyer l’eau. D’ici à 2035, il devrait y en avoir un milliard dans le port de New York.

Au-delà de sa riviera, Williamsburg regorge d’adresses où faire du shopping et de spots de musique live : la scène du bar-restaurant Baby’s All Right, l’annexe de la salle londonienne Rough Trade qui fait aussi office de magasin de vinyles, le bar jazz aux influences années 30 Mazie’s ou, plus intimiste, l’arrière-salle de Pete’s Candy Store.

Crédit: Adam / Flickr.

4/Greenpoint, bières et conteneurs

Une imposante tête de mort à l'air goguenard taguée sur un vieux silo à grains. La vitrine de Greenpoint est comme un présage. Les friches de ce quartier proche du Queens sont appelées à disparaître pour laisser place à des milliers d'appartements neufs. Pour l'heure, le waterfront aligne encore des endroits au charme désuet et des berges défoncées. Au North Brooklyn Boat Club, petit terrain improbable encombré de conteneurs de bateaux et d'un bric-à-brac d'objets, un groupe d'amoureux de la rame construit des canoës et refait le monde autour de feux de camp. Un parfum de liberté flotte parmi les membres de ce club, qui naviguent sur l'East River (et emmènent gratuitement des curieux avec eux). «Les temps changent. Au début des années 2000, la nuit était propice aux fellations dans les voitures et on ne se garait pas dans certaines rues par peur de se faire voler sa caisse», confie Kate Bell, 44 ans.

Désormais, certains soirs, c’est concert sur les toits des conteneurs. Les beaux jours venus, on se presse sur la Brooklyn Barge, bateau qui ne voit plus la mer mais qui sert des bières, et on dîne sur Franklin Street, où restos et cafés donnent tous plus envie les uns que les autres. Preuve du potentiel des lieux : un ciné indépendant vient d’ouvrir à proximité de l’impasse qui mène à la Brooklyn Barge. Dans le même temps, à Manhattan, plusieurs salles d’art et essai emblématiques ferment en raison de l’augmentation des loyers. Vous avez dit changement ?