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Libération
Rencontre

«Lorsque l’on part marcher au long cours, on décide»

Le Grand Bivouac, festival du film-documentaire et du livre d'Albertvilledossier
Grand voyageur, auteur et réalisateur, Louis-Marie Blanchard a présenté son nouveau film «L’âge de la marche, en route vers Compostelle » au Grand Bivouac d’Albertville.
(Elise et Louis-Marie Blanchard)
publié le 23 octobre 2018 à 10h35
(mis à jour le 23 octobre 2018 à 10h36)

A Libération, on l'aime bien Louis-Marie Blanchard. On a voyagé avec lui en Asie centrale à travers ses conférences et ses récits, redécouvert Marco Polo dans son beau livre publié chez Paulsen ou côtoyé les nomades de l'Atlas marocain dans son dernier film. Alors, quand on a appris qu'il présentait au Grand Bivouac un documentaire sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, réalisé avec sa fille, une nouvelle rencontre s'est imposée. Louis-Marie Blanchard, loin de ses habituelles terres d'exploration et interrogeant le sens de la marche ? Cela méritait bien quelques questions.

Pourquoi un film sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle ?

C’est le fruit d’une rencontre au festival du carnet de voyage de Clermont-Ferrand. J’ai fait connaissance avec Bernard Quinsat, un homme qui arpente les chemins d’Auvergne six mois par an et balise depuis 25 ans la via Arverna, entre Clermont et Rocamadour. Il s’intéressait à la philosophie de la marche, ce qui faisait écho à une réflexion personnelle. J’ai alors compris que j’avais passé ma vie à marcher au long cours mais jamais en France. A soixante-dix ans, il était temps ! Le projet de cheminer vers Compostelle avec Bernard et d’en faire un film est né ainsi. Puis il a pris de l’épaisseur avec Humbert Jacomet, conservateur du patrimoine et spécialiste de Compostelle, qui nous a accompagnés, et l’éclairage de l’écrivain Jean-Claude Bourlès, auteur de nombreux ouvrages sur Compostelle.

Vous avez longtemps vagabondé dans les grands espaces de solitude de l’Asie himalayenne et centrale, de la Mongolie. N’avez-vous pas craint la surfréquentation sur les sentiers de Compostelle ?

Nous avons réalisé deux marches. La première suivait la via Arverna jusqu'à Rocamadour, une voie peu connue et empruntée par près de 250 personnes par jour. Puis nous avons mis nos pas sur le Camino francès vers Compostelle, au départ de Saint-Jean-Pied-de-Port, dans un flot quotidien de 450 randonneurs. Et bien, c'est loin d'être une horreur. Au contraire, c'est une qualité de marcher avec tous ces gens. Vous rencontrez des personnes de tous les pays, de toutes les classes sociales et les métiers, et vous partagez une intimité avec eux. Il n'y a plus de PDG, de prof ou de chômeur. C'est la mondialisation dans le bon sens du terme. Les sentiers de Compostelle donnent accès à l'universalité de l'humanité. Je n'avais jamais vécu cela ailleurs. Il faut cependant garder en tête qu'il s'agit de liens éphémères. L'écrivain Paul Nizan disait très justement que «le voyage est une suite de disparitions irréparables.»

En présentant votre film, vous avez repris le propos de Bourlès: «Compostelle, c’est un truc de dingue». Que voulez-vous dire ?

Les gens qui commencent le chemin pensent qu’ils n’arriveront jamais au bout et pourtant ils réussissent. Il s’opère une sorte «d’hystérie collective», un «portage» des uns par les autres. Et les conditions météo peuvent être terribles: de la pluie, de la neige, du vent. Dans le film, je n’avais pas envie de montrer de ciel bleu (c’est gagné, il y a beaucoup de grisaille, ndlr) pour révéler aussi ces difficultés.

Quel est donc le sens de la marche ?

Dans notre vie de tous les jours, nous sommes plus figurants qu'acteurs. Lorsque l'on part marcher au long cours, on décide. Du chemin à emprunter, des personnes à qui on a envie de parler, du lieu où s'arrêter dormir… Je partage l'avis de Bernard Quinsat qui parle de souveraineté, d'espace de liberté hors contingences. On se met un temps «en retrait du monde mais pas hors du monde.» Au départ du chemin, les gens disent qu'ils ne sont pas pèlerins mais randonneurs. A l'arrivée, ils ont accédé au statut de pèlerin car ils se sont mis «en retrait du monde». On ne sort pas indemne d'un ou deux mois de marche sur les sentiers de Compostelle.

Quels sont vos projets ?

En septembre prochain, je publierai un livre avec ma fille sur l'histoire de l'exploration du Tibet, du XVe siècle jusqu'à Mao. En janvier prochain, je pars dans le Sud algérien, autour de Djanet. La région s'ouvre à nouveau. Je veux voir ce qu'il reste des récits de Frison-Roche et de Charles de Foucault et réaliser un travail sur les Touaregs qui fera l'objet de plusieurs longs voyages. Je suis excité comme un gamin de partir là-bas. A soixante-dix ans, j'ai la même envie qu'avant.

«L'âge de la marche, en route vers Compostelle», d'Elise et Louis-Marie Blanchard (ci-dessus avec son épouse). En savoir plus: www.blanchard-prod.com