Bienvenus dans l'éphémère Versailles musulman. Bâtie en 936 par le calife omeyyade Abd al-Rahman III, et détruite au début du XIe siècle en raison des guerres civiles, cette impressionnante cité a enfin obtenu ses lettres de noblesse : Madinat al-Zahra («la ville brillante») a été déclaré patrimoine de l'humanité en juillet. Ce qui fait de Cordoue, dont elle est distante de seulement 8 kilomètres, une ville avec trois monuments pareillement labellisés - la mosquée et ses patios. Couronnement tardif pour ce site plutôt mal desservi - peu de bus pour parcourir le sinueux trajet qui le relie à Cordoue - et longtemps laissé de côté.
Pourtant, lorsqu’on parvient à l’entrée, en amont de cette ville distribuée en terrasses, on a le souffle coupé par son ampleur, sa diversité (quartier militaire, administratif, politique, cultuel), son élégance… Et encore, nous assure sur place le directeur du complexe, Alberto Montejo, seuls 10 % de ses 115 hectares ont été exhumés. Visite en quatre étapes.
Les jardins
Commençons par démonter la légende : le calife omeyyade n’a pas édifié cette ville pour les beaux yeux de sa bien-aimée, mais plutôt pour en mettre plein les yeux à ses contemporains : Madinat-al-Zahra est avant tout un symbole de pouvoir. Pour ce faire, les urbanistes ont eu du nez : sa construction en dénivelé sur les flancs de la sierra Morena, à la jonction avec la plaine du Guadalquivir. Les jardins sont là pour le souligner. Aussi bien ceux du haut, par lesquels entre aujourd’hui le visiteur, que ceux du bas, limite méridionale de la cité, au-delà de laquelle on devine une mosaïque de petites propriétés rurales. Dans les deux jardins, c’est un kaléidoscope de verts : vert foncé des cyprès, vert plus clair des pins, vert luminescent des oliviers. Tracés comme leurs cousins de Grenade ou de Séville, ces jardins donnent la double sensation de géométrie et de luxuriance. En particulier ceux du bas, divisés en trois parties autour des colonnes du patio et du Salón Rico du calife, le joyau de Madinat al-Zahra, malheureusement en travaux jusqu’à une date indéterminée. Dans les jardins du haut, c’est surtout la sensation d’ombre généreuse qui domine ; c’est de là que partait toute l’ingénierie hydraulique de la ville, striée de canaux et de rigoles - à l’image de l’Alhambra - ou entre des murs hauts et épais, une des caractéristiques de cette ville fortin.
Un des bas-reliefs de Madinat al-Zahra. Photo Gardel Bertrand. Hemis.fr
La Casa de Ya’far
En descendant des jardins «suspendus», puis en obliquant sur la droite par des escaliers évoquant secrets d'alcôves, rumeurs de palais et confidences susurrées, on tombe sur la «partie privée» du complexe. Après un dédale de ruelles, on découvre la maison seigneuriale la plus importante. Et pour cause : la Casa de Ya'far était très certainement la propriété du Premier ministre, l'hayib. Même s'il faut imaginer les toitures, on circule un peu hagard dans tous les recoins de cette demeure labyrinthique, jusqu'à visualiser son organisation interne, structurée en trois parties, chacune autour d'un patio : l'espace privé, celui des services et la zone officielle. Chaque espace est délimité par des murs dignes d'un château et relié aux autres par des arcs, en partie détruits, mais sur lesquels subsistent des ornements végétaux sculptés.
Le visiteur foule encore les dalles de marbre blanc qui tapisse l'ensemble de la propriété, rosies avec le temps, et entraperçoit sur les murs des fragments d'arabesques peintes. «L'incroyable, affirme le directeur du complexe, est que le très probable propriétaire de ces lieux, qui dirigea les travaux d'une bonne partie de la cité, y vivait tout seul !» Une maison d'une quinzaine de pièces, dont plusieurs dépassent les 25 m2. Son voisin de palier, un autre dignitaire, n'était pas mal logé non plus : une immense demeure, la Alberca, édifiée autour d'un jardin dont l'ombre nous régale d'une halte salutaire.
L’édifice basilical
A dire vrai, les archéologues ne savent pas exactement à quoi servait cette construction imposante divisée en trois nefs, chacune ouverte sur l'extérieur par des arcs en fer à cheval très bien conservés. Dans la partie «publique» de Madinat al-Zahra, elle est ce qu'on appelle, à défaut d'un nom plus précis, «l'édifice basilical nord». Sous des cyprès et donnant sur une place qui ressemble à l'Andalousie d'aujourd'hui, on a en tout cas affaire à un monument qui en impose. «C'était très certainement un édifice multifonctionnel, explique l'archéologue Eduardo Manzano Moreno. Et, de toute évidence, un des centres névralgiques de la cité. C'est aussi un des endroits qui a été le plus victime des pillages les siècles suivants.»
L’édifice basilical, centre administratif et lieu de réception. Photo Hemis.fr
Dans les textes, on parle de Dar al-Yund («maison de l'armée») ou de Dar al-Wuzara («maison des vizirs»). Selon toute vraisemblance, cet édifice, se trouvant sur le chemin du salon du calife, à côté des haras, était à la fois un centre administratif et un lieu de réception pour les nombreux visiteurs de marque de l'époque : délégations des royaumes chrétiens, de la cour impériale d'Allemagne, de Byzance, sans compter les dirigeants de tribus maghrébines.
Le Grand Portique et la Plaza de Armas
En poursuivant vers l'ouest, on débouche sur l'endroit le plus singulier de l'antique cité médiévale, ostentatoire et étrange : le Grand Portique. Pour s'y rendre, il faut en effet emprunter une «rampe», un couloir en forme de U serré, bordée de massifs bancs en pierre, par où passaient chevaux et visiteurs de prestige. On parvient au Grand Portique, originellement une série de 14 arcs imposants rouges et blancs - il n'en reste que 4 - qui rappellent la mosquée de Cordoue. «C'est impressionnant, et cela devait l'être encore plus à l'époque califale, lorsqu'on arrivait de l'Orient, mais c'est une forme d'esbroufe, souligne le spécialiste Antonio Vallejo. Il s'agissait d'une scénographie destinée à méduser l'étranger et à lui donner l'immersion d'une ville-Etat.»
Esbroufe aussi la Plaza de Armas que borde le Portique, et de laquelle on admire la mosquée d’Aljama, en très mauvais état : c’est sur cette immense place qu’avaient lieu les parades militaires. C’est aujourd’hui une plateforme envahie par les mauvaises herbes, idéale pour la contemplation historique. De ce point de vue, on perçoit, dans le lointain, la périphérie de Cordoue. Et l’on se dit que le calife devait la voir, comme Louis XIV Paris…
Pratique
Y aller
En avion ou en train jusqu’à Cordoue. La ville est facile d’accès par AVE (le TGV espagnol) depuis Madrid, Séville ou Malaga. De Cordoue, le plus simple est de parcourir en voiture les 8 kilomètres jusqu’à Madinat al-Zahra. Sinon, non loin de la gare ferroviaire, une demi-douzaine de bus touristiques rejoignent aussi le site à heures fixes en vingt minutes.
Y visiter
Ne pas rater la visite du musée de Madinat al-Zahra. Même s’il est très fréquenté, on y prend la mesure de cet endroit majeur. Sur place, les informations sont chiches. De fréquentes navettes relient le musée et le site archéologique.
Y manger
A Cordoue : La Cuchara de San Lorenzo Calle Arroyo de San Lorenzo, 2. Noor Restaurant Calle Pablo Ruiz Picasso, 8.
Y dormir
A Cordoue : Eurostars Patios de Córdoba Calle Diario de Córdoba, 13. Rens. : 34 957 22 24 62. Hôtel Córdoba Centro Calle Jesús María, 8. Rens. : 34 957 49 78 50.