La déflagration est partie du dernier roman de Michel Houellebecq, Sérotonine, paru le 4 janvier, entre le chapon et la galette des rois - donc à une époque où l'actu somnole encore. Page 45, l'auteur fait dire à son personnage principal, l'ingénieur agronome Florent-Claude Labrouste - clairement pas au mieux de sa forme -, que Niort est «l'une des villes les plus laides qu'il m'ait été donné de voir». Et voilà qu'on sent soudain la terre trembler dans la préfecture des Deux-Sèvres, de la population indigène qui s'estime légitimement offensée, jusqu'au maire et président d'agglomération himself, l'élancé Jérôme Baloge, qui se fend d'une missive à la maison d'édition Flammarion. «Niort, ce sont les Niortais qui ont du cœur et l'esprit ouvert. Ils seraient très heureux d'accueillir Michel Houellebecq dans les temps qui viennent pour nous présenter son livre. Je suis sûr qu'il prendrait goût à la ville et au bonheur d'y vivre», plaide l'élu du Mouvement radical, dont l'invite reste néanmoins lettre morte. Ce qui n'empêche pas radios, télés et journaux d'affluer sur les braises de la philippique, chacun y allant de son micro-trottoir dans les belles halles du XIXe siècle, style Baltard, où l'on se presse les jours de marché.
Pourtant, Niort, «plus grande localité française intégrée dans le périmètre d'un parc naturel régional», continue de prôner la «tempérance», du propre aveu de Jérôme Baloge, qui a beau jeu de saisir le coup de pub retors pour vanter «la gratuité des transports, la végétalisation des espaces publics et une certaine prospérité économique».
Les esprits tout juste apaisés, Libération infiltre à son tour «la ville grise, triste et pluvieuse, ennuyeuse à l'image des assurances et des mutuelles qu'elle héberge» (et sur lesquelles elle fonde sa prospérité), ainsi décrite par un voisin de bureau, fantassin d'une guerre picrocholine, puisqu'originaire de La Rochelle, ayant toutefois la grande honnêteté d'ajouter qu'il n'y a «jamais mis les pieds».
Pont en pont
Pour se forger sa propre opinion, rien de tel que de partir d’Echiré, commune située une dizaine de kilomètres au nord-est, plutôt que de s’enfoncer direct (à pied, à vélo, à cheval ou en barque - nettement mieux vus que le quad) dans le marais poitevin, bayou ligérien dont Niort constitue l’antichambre citadine. Qui dit Echiré dit beurre, cela va sans dire. Seulement voilà, bien que fière de son savoir-faire ancestral, la laiterie ne se visite pas.
Mais, dans un tout autre registre, la forteresse voisine de Coudray-Salbart fournit un sacré lot de consolation. Blotti au cœur de la végétation, l'édifice en impose avec ses six grosses tours, treize salles (trois cheminées, quatre latrines…) et, à l'intérieur des murailles, sa coursive périphérique conçue tel un efficace système de défense contre un assaillant qui, selon toute vraisemblance, ne viendra jamais. Quatre décennies auraient été nécessaires pour construire le château, à partir des années 1202-1204. Le premier document qui le mentionne ne date toutefois que de 1460. Que s'y est-il passé durant cet intervalle, long de deux siècles et demi ? Nul ne sait. Et ensuite ? Guère plus. Sinon que ses pierres ne portent les stigmates d'aucune bataille digne de ce nom, tandis que quelque 2 000 graffitis, de la fin du XVIe siècle à la Première Guerre mondiale, attestent un vain casernement sous les auspices de cette fée Mélusine. La légende lui attribue l'origine d'une forteresse qui demeurait encore engloutie voici trente ans au cœur de ce verdoyant désert des Tartares.
Une petite pause à la gentilhommière de Mursay, ruine élégiaque où la future Madame de Maintenon, seconde épouse de Louis XIV, née Françoise d’Aubigné, s’instruisait en lisant la Bible ou rêvassait en comptant les dindons, et nous voici, remontant piano la Sèvre niortaise, à Niort proprement dit. Historiquement marquée par les conflits (guerre de Cent Ans, guerres de religion), mais aussi important centre de négoce, la ville recense 27 monuments protégés, démentissant ainsi l’opprobre littéraire, à commencer par ce massif double donjon roman, transformé en musée, qui égrène benoîtement les siècles écoulés.
La vie contemporaine s’écoule en contrebas, le long du fleuve nourricier qui renseigne sur les mutations locales et, compte tenu des travaux de rénovation en cours, exige également un minimum de patience et d’imagination, au gré de la théorie d’îlots qu’on enjambe de pont en pont. Ici, jouxtant le quartier autrefois dénommé «le petit Nice», ce sont les anciennes usines Boinot fermées en 2005, jadis fief prospère de la chamoiserie - l’industrie odorifère des peaux animales qu’avec l’huile de poisson on travaillait pour fabriquer notamment les gants - dont les vestiges fatigués (maison de maître, portail, séchoir…) renaîtront dans les mois qui viennent sous forme de vaste espace paysager ; là, un ancien moulin à foulon en pierre de taille, où siégera la médiathèque.
«Cloques»
Ajoutons au panorama la plus petite écluse de France, quelques moteurs témoignant d'une usine hydraulique démantelée ou, dans le Jardin des plantes, un étrange bas-relief montrant un couple de lions dont personne, y compris Laurence Lamy, directrice des musées et conservatrice du patrimoine, n'est en mesure de définir l'origine («à part certifier qu'il date du XIXe siècle, nous n'avons aucune idée de sa provenance !»).
On poussera ensuite jusqu'à la Roussille, lieu-dit niortais où une autre ancienne usine de chamoiserie a laissé la place à des ateliers d'artistes, à l'ombre des platanes bicententaires. Porte d'entrée poissonneuse du marais poitevin, le site, nimbé d'une immarcescible langueur, vaut également pour un champ devant lequel on pourrait passer sans y prêter la moindre attention, alors qu'on y récolte ce trésor local qu'est l'angélique. Plante bisanuelle mesurant jusqu'à 1,60 mètre, épanouie les pieds dans l'eau et la tête au soleil, on lui prête toutes les vertus, de la racine à la tige, via la graine. Tonique, stomachique, sudorifique, expectorante, emménagogue, carminative et dépurative, celle-ci est bichonnée par Pierre Thonnard, qui pourrait la détailler des jours et des nuits, tout en la commercialisant sous forme de tige confite (cf. ces petits morceaux vert fluo qu'on trouve dans les cakes), crème, confiture, bonbon, aromate, coulis alcoolisé, chocolat, apéritif, digestif… ou sculpture (1). Avec, cependant, une mise en garde pour le profane qui songerait un jour se lancer dans le business de niche, réparti sur quelques lopins de terre : «Il faut trois jours pour ramasser cinq hectares, tôt le matin ou tard le soir, selon une technique très particulière. En outre, l'angélique est une plante photosensible. Cela signifie qu'on ne sent rien quand on la touche s'il n'y a pas de soleil. A l'inverse, un quart d'heure après l'avoir effleurée en pleine lumière, on ressent comme un picotement et, une fois commise l'erreur de se gratter, des cloques apparaissent deux ou trois jours après» (2). Signe de la grandeur d'âme des locaux ; à ce jour, Michel Houellebecq n'a toujours pas reçu la moindre convocation pour la prochaine récolte.
(1) Entreprise Thonnard, avenue de Sevreau (79). Rens. : 05 49 73 47 42 ou Angelique-niort.com (2) Seul antidote, pour les plus téméraires : l'huile de millepertuis. Qu'on trouve dans quelques-unes des vingt pharmacies de la ville.
Y aller
Plusieurs liaisons quotidiennes en TGV depuis Paris (environ deux heures).
Y dormir
Si l'on veut suivre la trace de Houellebecq, l'hôtel Mercure garantit un confort aseptisé sans surprise. Plus couleur locale, la Chamoiserie (environ 100 €) est une belle demeure bourgeoise. Rens. : Hotelparticulierniort.com
Y manger
Fleuron de la bistronomie où le vin naturel règne sans partage, le P'tit Rouquin vient de prendre du galon au Michelin. Idéalement située au bord du fleuve, la Roussille est une auberge cosy qui travaille une cuisine de bonne facture privilégiant les producteurs régionaux. Dans le centre de Niort, les Planches et la Belle Etoile demeurent également des adresses fiables.