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Peyrassol, l’art jusqu’à plus soif

Au milieu des vignes situées sur les contreforts du massif des Maures, la Commanderie fondée au XIIIe siècle par l’ordre des Templiers et rachetée par un mécène en 2001 est devenue un véritable musée à ciel ouvert où se côtoient les grands noms de l’art contemporain.
Cylindre ouvert et aux couleurs de Daniel Buren au domaine de la Commanderie de Peyrassol, le 26 novembre. (Photo KATIE CALLAN)
publié le 1er février 2019 à 17h06

Longtemps, il a hésité. Dilemme du mécène. Et si c'était too much ? Mais l'homme d'affaires, d'art et de terroirs Philippe Austruy a fini par oser le geste artistique le plus épique en laissant carte blanche à Daniel Buren, qui ne s'est pas fait prier pour greffer un gigantesque demi-cylindre-préau, structure de métal aux fenêtres multicolores, entre deux bâtisses historiques. C'était en 2017, et c'est ainsi que le maître des lieux fit définitivement basculer son vénérable domaine datant du XIIIe siècle, la Commanderie de Peyrassol (Flassans-sur-Issole, dans l'arrière-pays varois), dans le monde de l'art contemporain. Depuis son rachat de Peyrassol, en 2001, Austruy exposait certes ici son époustouflante collection de commandes in situ ou d'acquisitions permanentes (dernières en date : Rondinone, Varini, Rückriem, Vasconcelos), mais le Buren fut son passeport pour le cercle très restreint des lieux qui comptent où se convoque la trinité vin-architecture-art contemporain de haute volée. Avec son parcours d'une grosse soixantaine d'œuvres de land art à travers vignes, restanques et forêt, et la trentaine de créations issues de sa galerie, Peyrassol s'offre, sous Austruy, une énième vie où se croisent Templiers, renaissance des rosés, mais aussi caïds de l'art contemporain : Bernar Venet, Alexander Liberman, Arman, Lee Ufan, César, Bertrand Lavier, Gavin Turk, Xavier Veilhan… Parfait week-end œno-artistique dans un domaine fraîchement récompensé du grand prix de l'œnotourisme 2019 de la Revue du vin de France, Peyrassol se déguste de trois façons.

Parcours extérieur

Depuis Flassans, un simple panneau vous dirige vers des jeux de lumière rasante en sous-bois. Crissements de glands sous la semelle au sortir de la voiture, puis trouée de lumière aveuglante. A perte de vue, un océan de vignes en vallon. Campé dans l'horizon, un templier géant, signé Jean-Jacques Tosello, surveille son territoire, ces océans de vignes aux sarments nus, tendus vers le ciel hivernal, «comme les doigts noueux d'un prophète», pour paraphraser Cavanna. Clément (nom de la sculpture) lance le jeu de piste consistant à débusquer toutes les autres incongruités tranchant avec ce paysage d'arrière-pays méditerranéen. Au fil des vignes qui se font forêt, s'égrènent les pièces au sens du placement très sûr : le Floating Red Form de Keiji Uematsu scintille de tout son rouge dans la lumière du matin, un Vasarely détonne sur le fond monochrome vert, un palmier de pneus (Black Palm de Douglas White) s'est évadé des rives de la Salton Sea (Californie)… La force de Peyrassol n'est pas que dans cette litanie, elle l'est aussi dans une ouverture totale au public. Ici, Austruy a fait poser des œuvres partout, jusque dans ses propres quartiers privés, où le spectateur se mue en vieil ami. Le parcours extérieur se termine ainsi sur quantité d'œuvres qui pimentent jardins et piscine - du Vivre libre de Ben surveillé par la Maman hippo de Philippe Fleury, au cube réflectif de Dan Graham, en passant par les globes Univers de Vladimir Skoda… La balade extérieure se termine ou se commence par le Cylindre ouvert et aux couleurs de Daniel Buren, qui projette ses réflexions colorées sur les pavés pour le bonheur indifférent d'un chat oisif.

Triangular PavilionWith Circular Cut-out Variation H

de Dan Graham. Photo Katie Callan

L’exposition permanente

Un écrin couvert abrite les œuvres trop fragiles pour l'extérieur. Triangle de métal singulier de béton à spectaculaire plissure d'acier Corten, rehaussé d'une fresque d'André Brosserie, le bâtiment qui héberge l'exposition permanente est punaisé au sol par les monumentaux 2 Angles 17.5" et 15.5", de Bernar Venet, qui en hérissent le toit-terrasse et y créent un puits de lumière. Surprise qui nargue les codes architecturaux (où sont le toit, l'entrée, les fenêtres ?), cette galerie-musée signée Charles Berthier est élégante avec son sol de béton en restanques aux arêtes métalliques.

A l'intérieur, l'espace en clair-obscur ouvre sur un mobile de Xavier Veilhan pour descendre vers des pièces de Franck Stella (celle pour qui la galerie fut construite en 2016), de Jean-Pierre Raynaud, de quelques nouveaux réalistes (Nikki de Saint-Phalle, Jean Tinguely)… Cette profusion pose l'inévitable question : quelle différence avec Château La Coste, qui officie dans un même registre en faisant cohabiter vin de Provence et art contemporain depuis 2008 ? Neveu d'Austruy et gérant de ses vignobles, Alban Cacaret avance : «Nous ne sommes pas en concurrence. A Peyrassol, la balade est moins organisée, nous n'avons pas de boutique… Nous sommes peut-être plus sur l'authenticité d'un vignoble historique que sur l'idée d'un musée à ciel ouvert.»

La Commanderie templière

Disques dans le triangle

de Felice Varini. Photo Katie Kallan

Un vignoble à ne pas oublier, car lui aussi a une histoire… En 2001, Philippe Austruy tombe amoureux de ce domaine, premier d’une belle lignée (des vignes dans le Haut-Médoc, au Portugal, en Italie ensuite).Commanderie templière depuis 1204, devenue état-major de l’ordre de Malte en 1308 jusqu’à la Révolution française, la propriété est ensuite aux mains de la mythique famille Rigord jusqu’en 2001. Mythique surtout grâce à sa dernière propriétaire avant Austruy, Françoise Rigord, pionnière du rosé en France. C’est tout naturellement vers ces flacons-là que se tendent les palais en pensant à Peyrassol. Même douzaine de cépages (mourvèdre, cinsault, ugni blanc… et une parcelle d’antédiluvien tibouren, celui des chevaliers, dont seulement 300 ha subsisteraient en France) mais une vinification modernisée sous l’ère Austruy offre un blanc opulent et deux très beaux rouges, même si le rosé de la gamme Commanderie reste le classique absolu.

A son arrivée, le maître des lieux appelait Peyrassol «sa belle endormie». Sa campagne artistique et son redressement viticole, en cours depuis presque vingt ans, nécessiteront sûrement un nouveau surnom.

Y aller

Véhicule de location depuis la gare ou l’aéroport de Hyères. Rens. : Peyrassol.com. Visite libre : 8 €. Visite guidée : 15 €.

Y dormir

Chambre d’hôtes La Rouvière au confort rustique. Rens. : 04 94 69 71 02.

Domaine du Lac Rens. : Hotel-domaine-du-lac.com

Y manger

La Terrasse, une adresse qui n’a pas le luxe de la prétention. 2, rue de la République à Besse-sur-Issole. Rens. : 04 89 67 99 14.

Prolonger la visite

La Villa Noailles, le chef-d’œuvre moderne de l’architecte Robert Mallet-Stevens. Rens. : Villanoailles-hyeres.com