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Kazakhstan

Astana, la glaciale

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Il y a vingt ans, le président Noursoultan Nazarbaïev faisait de cette ville la capitale du pays. Avec ses constructions ultramodernes et son urbanisation désincarnée qui provoque l’isolement des habitants, la deuxième capitale la plus froide du monde ne l’est pas seulement pour ses températures...
La tour Baïterek à Astana, capitale du Kazakhstan depuis 1997. (Photo Didier Bizet. Hans Lucas)
par Alice Babin, Envoyée spéciale à Astana (Kazakhstan)
publié le 8 février 2019 à 17h36

C'est ici, en pleine steppe semi-aride, à 1 261 kilomètres, soit quatorze heures en train, d'Almaty, la capitale historique, que le président (récemment devenu «chef de la nation») du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, a décidé de créer sa capitale. C'était il y a tout juste vingt ans. Son nom a été trouvé un beau jour de 1998. «Cela faisait longtemps que nous cherchions. Puis, une nuit, il était 2 heures du matin, ça nous est venu comme un éclair. "Astana !" Le mot plaît à l'oreille ; c'est laconique, mélodique… Nous l'avons adopté immédiatement», se vante l'homme au pouvoir depuis la dislocation de l'URSS dans un entretien en ligne sur le site de l'ambassade du Kazakhstan en France.

Depuis l’aéroport, dans le taxi qui nous conduit à la ville, des plumes d’aigle brunes se balancent le long du rétroviseur. Des plumes d’aigle : l’image d’Epinal de ce pays en «stan» que l’on confond aisément avec ses voisins (Turkménistan, Tadjikistan, Kirghizistan, Ouzbékistan…). Pourtant, sur l’immense avenue Kabanbay Batyr qui mène au centre, aucun oiseau des steppes sinon quelques pigeons qui résistent aux vents venus de Sibérie. La ville est la deuxième capitale la plus froide du monde (1) : en hiver, il peut faire jusqu’à - 40°C. On arrive au sud de la rivière Ichim qui sépare la ville en deux, sur la rive la plus moderne, érigée en quelques dizaines d’années, là où il est chic de séjourner. Le paysage est vaste, grand, haut, les buildings couleur or se reflètent entre eux. On pense à Las Vegas, Dubaï, Shanghai. Aux alentours, à l’exception de quelques balayeurs qui ramassent des feuilles volantes ou tondent une pelouse déjà au ras, pas un homme à l’horizon. Car on ne marche pas dans les rues d’Astana. On roule. En 4×4, ou en vieille Ada, et l’on admire, perplexe, cette cité étouffée par les symboles.

La tour Baïterek

Pour construire sa nouvelle capitale, le Président a fait appel aux plus grands architectes du monde dont l'Anglais Norman Foster, auteur de la rénovation du Vieux-Port de Marseille, d'une future tour à la Défense à Paris mais aussi d'une partie du British Museum de Londres et de plusieurs gratte-ciel à New York. Avec sa coupole en or massif et ses 97 mètres qui rappellent l'année du transfert de la capitale, la tour Baïterek («peuplier» en kazakh), devenue l'emblème de la ville, représente le mythe traditionnel du Samruk, oiseau magique qui, chaque année, viendrait déposer un œuf d'or au sommet d'un arbre de vie. Construite dans le prolongement exact du palais présidentiel, le lieu surplombe la ville ; les visiteurs sont invités à déposer leur main dans l'empreinte (en or) de la paume de Nazarbaïev et, ainsi, poursuivre leur séjour en paix et «protégés» par le grand homme… «Je ne suis pas bien convaincue… mais essayons toujours», s'amuse une jeune femme qui s'apprête à enlever son gant pour la bénédiction.

Dans ce quartier, centre de la ville et centre des affaires, les grues dansent jour et nuit et le bal des enseignes internationales (américaines, françaises, russes, chinoises) rythme les promenades. Aux yeux des investisseurs, Astana représente une aire de jeux précieuse.

Le Khan Shatyr

Mêlé à la foule des touristes asiatiques et des Kazakhes en talons aiguilles, on traverse un large parterre de chrysanthèmes pour faire escale dans un deuxième lieu fort en symboles : le Khan Shatyr (littéralement «tente du souverain»), un centre commercial en forme de yourte translucide. Egalement conçu par Foster selon les désirs, qui sont des ordres, du Président, ce monument tente de rassembler les racines nomades du peuple kazakh et les ambitions modernistes du gouvernement. Avec son toboggan géant, sa dizaine de restaurants, ses quelque 200 boutiques et son Starbucks tapissé de velours, le complexe est devenu l'endroit privilégié des habitants pour se retrouver. Un succès peut-être lié à la température du lieu, figée à 24°C, été comme hiver. «C'est notre rendez-vous du samedi, explique Dadira, 20 ans. L'ambiance est sympa, on peut faire du shopping en sirotant un truc, le tout au chaud. Ce n'est pas si fréquent ici.» On passe d'une rive à l'autre via des ponts éclairés par des guirlandes multicolores qui n'ont pas encore été répertoriés par Google Maps quand, soudainement, apparaît un parc d'attractions sorti de nulle part.

Le Triumph Of Astana, un gratte-ciel résidentiel, en avril 2016. Photo Didier Bizet. Hans Lucas

City Parc d’Astana

Au milieu des pins, des jeux partout et de toutes les couleurs. Des stands de tirs à la carabine, une grande roue, des manèges ensorcelés, des balançoires folles, de la musique de foire, et toujours personne, ou si peu. Un restaurant de burgers a dressé ses tables restées vides et, derrière leur stand, des vendeuses de maïs chaud attendent désespérément un client. Le City Parc s'étale sur plusieurs kilomètres. On pense à Twin Peaks, et pas vraiment à Disneyland. Mais où sont les gens, à Astana ? Au travail ? Au Kazakhstan, le salaire moyen équivaut à 250 euros par mois, poussant, ceux qui le peuvent, à cumuler les métiers, et à tirer un trait sur les loisirs.

Le Marché d’Asem

En s'éloignant du centre, les symboles vacillent mais la vie ressurgit. Sur la rive droite, là où se trouvait avant 1997 le modeste village de Tselinograd, les guirlandes ont disparues mais Astana paraît enfin s'inscrire dans une histoire. Dans la rue Ykoulas, une architecture soviétique massive, carrée, grise, abrite le marché couvert d'Asem, qui s'élève sur trois étages. On nous a prévenus : «Ici, on trouve tout.»

Dans l'entrée, face à une rangée d'escalators, on se croirait dans un métro géant baigné d'odeurs de beignets frits et de fruits fatigués. Au rez-de-chaussée, des étals de fraises et de framboises qui sentent la forêt, des venikis (bouquets de branches de bouleau, must have pour une virée au banya, le sauna traditionnel), de la viande, beaucoup de viande, et des confiseries (gâteaux secs et chocolats trop sucrés), toutes plus insipides les unes que les autres mais qu'on achète pour leur emballage joliment désuet. Kamila, une étudiante venue d'Almaty, confirme : «N'achetez jamais de chocolat au Kazakhstan, surtout si vous êtes français ! Même nous, c'est connu, lorsqu'on est invité à dîner, nous offrons à nos hôtes une boîte de chocolats qui nous a déjà été offerte à une soirée précédente !»

Une autre Astana se dévoile. Ici, le brouhaha est continu, les femmes marchent en vieux mocassins, portent sur la tête ce fameux foulard traditionnel aux fleurs blanches, rouges, vertes et bleues. Et Astana la dorée semble loin.

(1) Après Oulan-Bator (Mongolie).

Y aller

En avion, avec Lot Airlines, compagnie polonaise low-cost qui fait escale à Varsovie.

Y manger

Ma Famille Pâtisserie délicieuse tenue par des francophiles. 30, rue Kenesary.

Tiflis On y va pour la cuisine savoureuse, mais aussi pour la déco extrêmement kitsch. 10, rue Imanova.

Samovar Restaurant kazakh qui sert de fameux manti (raviolis de viande cuits à la vapeur). 24, rue Kenesary.

A voir

Le bazar d'Asem 31 rue Yqylas Dukenuly.

Le musée du Président Prendre rendez-vous car la visite guidée est imposée.

La grande roue Au City Parc d'Astana, pour une vue imprenable sur les lumières de la ville.

L’université Nazarbaïev

La plus prestigieuse du pays. Si vous passez devant, jetez un œil au hall d’entrée. A côté, la Sorbonne est franchement sobre.