La Côte d'Azur est un éden. Ce truisme n'est pourtant pas toujours allé de soi. A telle enseigne que, jadis, les garçons héritaient souvent des terres fertiles, tandis qu'on léguait aux filles ces lopins sans valeur du littoral… qui deviendront de véritables mines d'or le jour où les visiteurs fortunés comprendront l'attrait (d'abord thérapeutique) d'une région où il fait si bon vivre l'hiver. Ainsi, dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, Nice et ses alentours commencent-ils à voir s'ériger de spectaculaires bâtisses où l'aristocratie et la bourgeoisie rivalisent de fantaisie dispendieuse. On en dénombrerait actuellement 700 rien que dans la préfecture des Alpes-Maritimes. Ces villas d'agrément, lointaines descendantes des maisons patriciennes de l'Antiquité, où se conjuguent extravagance et volupté, sont généralement privées. Mais certaines se visitent, à commencer par la célèbre villa Ephrussi de Rothschild, palais rose de style Renaissance de Saint-Jean-Cap-Ferrat, référencée chez tous les tours opérateurs. Tour du propriétaire à travers quatre autres cas moins rebattus.
Le Palais de marbre (ou villa les Palmiers)
«A thing of beauty is a joy forever (un objet de beauté est une joie éternelle).» (John Keats, poète romantique anglais du XIXe siècle).
La citation figure sur le fronton de l'aussi incroyable que méconnu Palais de marbre. Cheffe du service des archives de Nice, qui y sont établies depuis 1965, Marion Duvigneau s'étonne ainsi que, pendant les Journées du patrimoine, «les trois quarts des visiteurs locaux en découvrent l'existence à cette occasion». Il faut dire que, invisible de la rue et protégé par une barrière stipulant «propriété privée», le lieu se mérite. Quelle n'est donc pas la surprise de découvrir, encerclé par un ingrat groupe d'immeubles des années 50 ayant grignoté le domaine originel de 23 hectares, le bâtiment en question plus un jardin à la française avec une longue pièce d'eau, des terrasses à l'italienne et un parc improbable (vestiges de colonnes antiques, tour belvédère, château d'eau).
Synthèse cosmopolite de l’histoire locale à lui seul, le palais verra défiler un banquier niçois qui fera faillite, un éditeur-imprimeur-courtier en gravures belge d’origine française et futur consul d’Espagne, un baron russe d’origine allemande cousin du tsar et un boucher franco-argentin proto bling-bling (qui imposera ses initiales sur la ferronnerie). Un casting auquel on ajoutera, en mode squat, la kommandantur durant l’Occupation, puis Glenn Miller - dont un musicien bourré mettra le feu au piano Pleyel du salon. Aujourd’hui, la déco, très aléatoire, car «repensée» au gré des proprios, vaut ce qu’elle vaut (escaliers, statues et balustres en marbre de Carrare, salon chinois kitsch, fausse galerie des glaces), mais l’endroit demeure un pur régal.
La villa les Palmiers à Nice, le 11 janvier. Le site accueille le service des archives municipales de la ville. OTTAVIA FABBRI
La villa Eilenroc
«Ce rêve, il ne l'avait pas fait pour lui seul. Le palais des mille et une nuits était destiné à une femme aimée. Hélas ! Quand la cage fut bien dorée, la colombe infidèle s'envola. Notre homme, désespéré, affolé de douleur, prit en dégoût cette demeure créée pour deux. Il la vendit au premier qui passa !»(Félix Duquesnel, Souvenirs littéraires,1922).
Edifiée entre 1860 et 1867 d’après des plans de Charles Garnier, Eilenroc se narre donc comme un conte, dont le riche autant qu’infortuné héros fut un Hollandais, Hugh-Hope Loudon, ancien gouverneur des Indes néerlandaises désireux de complaire à son épouse neurasthénique, Cornélie. Laquelle ne daigna jamais venir habiter l’anagramme, pourtant idéalement localisé dans un parc de 11 hectares aux essences mirifiques (pins, arbousiers, romarins, eucalyptus), où s’épanouissent aujourd’hui 2 000 rosiers. L’ultime acquéreur sera un homme d’affaires américain, Louis Dudley Beaumont, dont la veuve, ex-jeune cantatrice, donnera la maison à la ville d’Antibes qui y organise des réceptions.
Séparée de la mer par un sentier, la demeure de style néoclassique coule aujourd'hui des jours paisibles. En tendant bien l'oreille, on peut néanmoins encore entendre l'écho des réceptions où défilaient l'acteur et danseur Rudolph Valentino, l'actrice Greta Garbo, ou le dernier empereur du Brésil Don Pedro d'Alcantara. Plus proche de nous, résonnent aussi la chanson Under the Cherry Moon de Prince, qui y tourna le clip en noir et blanc, ou les voix d'Emma Stone et de Colin Firth, vedettes du glamour Magic in the Moonlight de Woody Allen, situé dans la France des années 20. Dernière hôte en date, la série télé Riviera vient aussi d'y planter le décor de sa deuxième saison, laissant derrière elle un grand gazon synthétique. Notre époque n'aurait-elle que les «héros» qu'elle mérite ?
La villa de Châteauneuf
«De nos jours, tout est devenu plus compliqué quand on possède et doit entretenir ce genre de bien. Tenez, ne serait-ce que trouver un jardinier à demeure. Avant, même s'il ne fichait pas grand-chose, c'était simple. Tandis que maintenant…» (Jean-François de Blanchetti, propriétaire des lieux le 26 novembre 2018.)
Du haut de la colline de Gairaut, secteur jadis rustique, la vue sur la métropole et sur la Méditerranée reste imprenable, quand bien même les métairies et moulins d'antan n'ont pas survécu à l'urbanisation galopante. C'est l'une des plus anciennes lignées du comté de Nice, les Peyre, marquis de Châteauneuf, qui, à quelques encablures de la ville, a voulu dès le milieu du XVIIe siècle cette résidence d'été, où l'on venait quérir un peu de fraîcheur au milieu des oliviers et des orangers, voire, plus lointainement, comme en atteste une plaque commémorative datée d'avril 1580, fuir une épidémie de peste.
Depuis, d'héritage en héritage, elle n'a pas quitté le giron. Empruntant aux styles génois, toscan et piémontais, la villa - ultérieurement complétée par une chapelle et des écuries - a été agrandie aux XVIIe et XVIIIe siècles. Bien qu'ornée d'un portique et surmontée d'un fronton triangulaire, la façade, qui pourrait «juste» être celle d'une grande maison cossue, ne paie pas de mine, si on peut dire. L'intérieur, en revanche, en impose, avec ses salons ornés de gypseries, son escalier à fresques de style baroque et son pavillon d'été décoré de muses peintes en trompe-l'œil et gardé par six bustes en marbre de Carrare récemment restaurés. Propriété privée faisant figure d'aïeule des villas, Châteauneuf ne se visite qu'aux Journées du patrimoine et parfois en groupe.
La villa Kérylos
«L'esprit grec fut à la fois chez lui rêve et réalité, mémoire et présent.» (Fabrice Reinach, petit fils de Théodore Reinach, non daté).
A la fois juriste, archéologue, numismate, historien, politicien, musicologue et mathématicien, Théodore Reinach (1860-1928) n'avait rien d'un barjo. Mais, à Beaulieu-sur-Mer, le député de Savoie n'en poussera pas moins à l'extrême sa passion pour l'Antiquité grecque en faisant bâtir - pour 6 à 9 millions de francs-or - à l'aube du XXe siècle l'imposante Kérylos, réplique des villas de l'île de Délos du IIe siècle avant notre ère. Vestibule d'entrée, thermes, péristyle, salon dédié aux arts… tout y est, en VO (Oïkos, Triptolème, Balaneion), richement meublé, soigneusement ordonnancé et, aujourd'hui, complété par des objets archéologiques (statuettes, monnaies, amphores…) dans des vitrines. Apparemment «excentrique», la demeure ne fut pourtant pas réputée pour ses priapées. Endroit au contraire fort studieux, on y travaillait, recevait des hôtes de marque (les rois Léopold II et Gustav V, le président Armand Fallières…) ou on s'y reposait l'été, bercé par l'apaisant bruit des vagues que l'on entend dans toutes les pièces.
La villa Kérylos, inspirée des demeures de la Grèce antique, à Beaulieu-sur-Mer, le 11 janvier. OTTAVIA FABBRI
Pratique
Y manger. Aux adresses du moment, au rapport qualité / prix fort discutable (cf. le très surfait Canon ou O'Quotidien), préférer les valeurs sûres que sont, dans le Vieux-Nice, le Bistrot d'Antoine, le Safari et, surtout, le Bar des oiseaux (imbattable menu du midi à 20 €). Rens. : 04 93 80 27 33.
Y dormir. L'hôtel Windsor est l'adresse de référence. Havre culturel avec ses chambres décorées par des artistes de renom, il se visite comme un musée et offre un confort très appréciable (piscine, fitness, jardin luxuriant) à des tarifs hypercompétitifs (env. 100 €). Rens. : Hotelwindsornice.com
A voir
La villa des Palmiers 7, av. de Fabron, Nice. Entrée libre. Rens. : 04 93 86 77 44.
Villa Eilenroc 460, av. Mrs Beaumont, Cap d'Antibes. Visite de la villa et des jardins selon la saison. Rens. : 04 93 67 74 33.
La villa Kérylos impasse Gustave-Eiffel, Beaulieu-sur-Mer. Rens. : Villakerylos.fr
La Villa de Châteauneuf 170, av. de Gairaut, Nice.