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Londres, last exit to Brexit

Pubs, restaurants, places publiques, institutions… A trois semaines de la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, zoom sur les lieux où prendre la température d’un pays profondément divisé.
Big Ben et le palais de Westminster, le 21 février. (Photo Manuel Vasquez pour Libération)
publié le 8 mars 2019 à 19h06

Depuis bientôt trois ans, c’est pratiquement le seul sujet politique qui soit abordé, que ce soit au Parlement, dans les médias, dans les pubs ou durant les dîners. Ne pas entendre le mot de la journée relève de la gageure ou d’un état d’inconscience totale. Le Brexit engloutit tout sur son passage. Promenade dans la capitale d’un pays qui, dans trois semaines, basculera en terra incognita.

1 Au palais de Westminster, cirque ambulant

Ils ont été les premiers à prendre racine. Ils piétinaient dès le lendemain du référendum du 23 juin 2016 sur le Brexit, agitant leurs drapeaux européens sous les fenêtres du magnifique bâtiment gothique du palais de Westminster, siège du Parlement britannique. Ils n'ont pas bougé depuis et ont été rejoints par des partisans du Brexit. Le trottoir est devenu un spectacle quotidien, un peu à l'image de ce qui se passe entre les murs du Parlement. Les pro-Européens battent le pavé, à côté des pro-Brexit. Tout ce petit monde rivalise d'imagination pour faire plus de bruit que l'autre. Outre les drapeaux, européens, Union Jack ou croix de Saint-George, les affiches et caricatures rivalisent de bons mots. «Klaxonnez pour l'UE» clame l'une, alors qu'une autre appelle à «klaxonner pour le Brexit». Le résultat conduit logiquement à une épuisante cacophonie où voitures, camionnettes et vélos appuient joyeusement sur le klaxon sans que quiconque ne sache vraiment qui il soutient. Mais qu'importe, tout le monde applaudit.

Une affiche anti-Brexit, devant le palais de Westminster, le 20 février. (Photo Manuel Vasquez)

Le cirque est particulièrement animé les mercredis à midi, heure de la séance hebdomadaire des questions à la Première ministre, Theresa May. Pendant que les députés s'insultent poliment dans la Chambre des communes, les manifestants s'insultent, tout aussi poliment, à l'extérieur. Il n'est pas rare de croiser un sosie de Boris Johnson, voire le vrai Jacob Rees-Moog, excentrique député conservateur pro-Brexit, en route vers le Parlement. Parfois, un prêcheur grimpe sur une boîte et prie pour le pays - «Dieu a choisi le Brexit». Toute cette animation se déroule à quelques mètres du fameux College Green, nom donné à un bout de pelouse posé en face de la Sovereign's Entrance du palais de Westminster.

2 Au Parlement, en voûtes et en joutes

Si l’on veut prendre la température de ce pays profondément divisé, il faut oser pénétrer dans l’antre de la «mère des Parlements». L’accès au public est facile. Le premier pas dans l’enceinte est spectaculaire sous la voûte de bois de Westminster Hall, immense salle battue par le vent. C’est un des derniers vestiges du bâtiment médiéval d’origine, construit en 1016. Pratiquement tout le reste a brûlé, notamment en 1834, avant d’être reconstruit entre 1840 et 1870. Aujourd’hui, le Parlement tombe en ruines et les échafaudages, y compris tout autour de Big Ben, le recouvrent pour un programme de rénovation qui devrait durer plusieurs années. A part le mercredi où la séance des questions au Parlement nécessite un ticket spécial, il est possible de se rendre dans la galerie reservée au public qui surplombe la Chambre des communes pour assister aux débats. Le spectacle, qui mélange absolue modernité et traditions ancestrales totalement obscures, joutes verbales et politesses surannées, vaut le détour.

3 Dans les pubs, murmures et débats

Une fois sorti, il faut remonter Whitehall, grande avenue qui mène à Trafalgar Square, bordée des ministères du royaume et, bien entendu, de Downing Street. La pause est obligatoire au Red Lion. Ce pub, sur le trottoir face à Downing Street, est le repaire des députés de tous bords et des journalistes politiques. Mais les complots ne s’y fomentent pas, le lieu est bien trop visible. Pour cela, le Cinnamon Club, situé dans une rue derrière la cathédrale de Westminster, est plus indiqué. Ce restaurant indien, au décor feutré de bibliothèque, accueille souvent, pour des petits-déjeuners, personnalités politiques, hommes et femmes d’affaires et journalistes qui, tous, parlent et murmurent Brexit.

Chez F. Cooke, un

pie and mash shop

traditionnel ouvert en 1900. (Photo Manuel Vasquez)

Dans ce contexte, la bière anglaise s'impose, de préférence dans un pub Wetherspoon. Cette chaîne de pubs - il en existe environ 900 dans tout le pays pour 2 millions de consommateurs hebdomadaires - a été fondée en 1979 par Tim Martin, un ardent brexiter, condamné en 2015 pour discrimination raciale. Le Knights Templar, sur Chancery Lane, est une ancienne banque médiévale. L'intérieur, avec chandeliers, immenses miroirs teintés, vieux cuir et boiseries sombres, transpire l'Angleterre. Pour un peu, on s'attendrait à voir surgir Mary Poppins. La pinte y est nettement moins chère qu'ailleurs. Quant aux vins européens, ils ont tout bonnement disparu des étalages depuis juillet 2018. Tim Martin a décidé de les remplacer par des vins du «Nouveau Monde», d'Australie et de Nouvelle-Zélande notamment, et par du vin blanc anglais pétillant.

4 Dans les restaurants, world-food ou Empire

Dans le monde hystérique du Brexit, Londres reste un lieu à part. La capitale a voté à 60 % pour rester au sein de l'Union européenne. L'Europe est partout, dans les cafés et restaurants, où les serveurs sont à une écrasante majorité originaires de l'UE, dans les rues, où étudiants internationaux battent le pavé au côté des touristes, où même dans la City où les expatriés sont légion dans la finance. Pour respirer aussi le monde pro-remain, rien de tel qu'une balade à Broadway Market, à Hackney, entre le parc London Fields et le Regent's Canal. Le samedi matin, le marché offre de la street-food du monde entier à des Londoniens qui emportent leur déjeuner dans le parc pour le déguster en regardant les matchs de cricket ou les joueurs d'échec.

Mais même dans ce quartier gentrifié et cosmopolite, le souvenir de l'Empire contre-attaque. Il subsiste ainsi dans quelques échoppes, comme chez F. Cooke, un pie and mash shop,ouvert en 1900, où on sert de l'anguille en gelée depuis trois générations. Là, l'Angleterre traditionnelle est chez elle. Les carreaux jaunes et bleus de la boutique n'ont pas changé depuis 1930 et la cuisine non plus. Bob Cooke, pur cockney de l'East End,y sert exclusivement des petites tourtes et la fameuse anguille arrosée de vinaigre de malt, un plat très populaire après-guerre, car nourrissant et économique. Aujourd'hui, sa clientèle est constituée principalement d'étudiants désargentés et de quelques vieux habitués du quartier. La dernière fois qu'on y est passé, l'un d'entre eux nous a lancé : «Vous êtes française ? Ah, Dieu merci, vous allez tous rentrer chez vous bientôt.» On ne lui a pas demandé s'il avait voté Brexit, mais l'on a souri en voyant non loin un autocollant «Bollocks to Brexit» (qu'on pourrait poliment traduire par «Merde au Brexit»), collé sur un feu de circulation.

Pratique

Y manger

The Cinnamon Club The Old Westminster Library, 30-32, Great Smith Street, Westminster. Cellarium Cafe 20, Dean's Yard, Westminster. Market Cafe 2, Broadway Market, Hackney.

Finch Cafe 394, Mentmore Terrace, Hackney.

Y boire

The Red Lion 48, Parliament Street, Westminster. The Marquis of Granby 41, Romney Street, Westminster. The Knights Templar 95, Chancery Lane.

Off Broadway 63-65, Broadway Market.

Y dormir

Avo Hotel 82, Dalston Lane, Hackney. Rens. : Avohotel.com Dean Street Townhouse 69-71, Dean Street, Soho.

109, Mile End Road, Stepney Green. Rens. : 40winks.org