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Inde

New Delhi, l’enfance de l’arty

Grandes destinationsdossier
Loin des rues chaotiques et des temples dorés qui font la réputation de la capitale indienne, naissent des quartiers aux artères plus calmes et où se retrouve la population bobo et aisée. Des «districts» où émergent street-art, galeries et boutiques branchées drainant une jeunesse avide de nouveauté.
Des graffeurs sur un toit du quartier de Lodhi Colony dans le cadre du festival St+art’s, en février. (Photo Axelle de Russé)
publié le 12 avril 2019 à 17h56

Si New Delhi est surtout connu pour ses bazars, ses temples et ses monuments, le sud de la capitale révèle un autre visage de la mégapole. Celui des nouveaux quartiers qui abritent des rues aérées, parfois même piétonnes - une exception en Inde- où l'on trouve galeries, boutiques de créateurs, restaurants branchés et art de rue. Des districts où la jeunesse aisée de la capitale, les expats et les brabos (les «bobos» indiens, une contraction de brahmanes bohèmes) viennent respirer un air réservé aux privilégiés avides de gentrification.

1 Lodhi Colony

Sous un palmier touffu, dans les allées paisibles des jardins de Lodhi, Nauriyal Akshat termine son cours de vidéo parmi une ribambelle d'écureuils qui sautillent d'arbre en arbre. Profitant des derniers rayons d'un soleil d'hiver, cet artiste vidéaste forme plusieurs jeunes à filmer et relayer le Street Art Festival sur les réseaux sociaux. Nous sommes à Lodhi Colony, dans le parc principal, un havre de paix dans le sud de New Delhi, où les Indiens viennent se promener et dormir, allongés à même le sol, à peine perturbés par le bruit ambiant des klaxons qui résonnent aux alentours. C'est dans ce quartier, surnommé Lodhi Art District, que Nauriyal Akshat a organisé la troisième édition du festival d'art de rue, St+art's qui s'est achevée mi-mars. Une initiative du gouvernement indien et l'occasion pour des artistes du monde entier de recouvrir les murs des environs de fresques géantes, d'oiseaux spectaculaires, de lotus et de végétaux invasifs, sous le regard interloqué des passants et des conducteurs de rickshaws. «Au départ, nous étions quelques amis et voulions amener l'art à l'extérieur des galeries, le rendre visible à tous. Puis l'initiative a pris de l'ampleur.» Si le rendez-vous s'est institutionnalisé, Lodhi demeure son berceau. «Nous avions choisi cet endroit car on peut y circuler à pied.» Chose basique mais rare à Delhi. «Il existe même des trottoirs», poursuit en riant Sunayana qui s'occupe également de l'événement.

Au cœur du quartier animé de Hauz Khas, le Deer Parc est un havre de paix.

Lodhi Colony doit cet espace à son architecture rectiligne, planifiée du temps des Britanniques. «Ils avaient imaginé ce quartier pour loger le personnel administratif qui venait de tout le pays pour s'installer dans la capitale.» D'où les immeubles réguliers et leurs larges pans de murs à colorer. «Puis les travailleurs ont suivi, les conducteurs de tuk-tuk, les réfugiés de la partition Inde-Pakistan, les vendeurs de rue. On peut lire toute cette histoire dans les rues.» A quelques pas de là, autre lieu prisé de la jeunesse dorée, Meharchand Market sur Lodhi Road offre une succession de boutiques et de restaurants à la cuisine internationale, ainsi que de belles terrasses pour surplomber la ville.

2 Hauz Khas

En descendant plus au sud, Hauz Khas, haut lieu de la fête delhiite et ancien village avalé par la ville, conserve néanmoins une identité qui lui est propre. Dans son entrelacs de ruelles, les voitures sont quasiment absentes. Une succession de magasins, de bars et de restaurants se sont installés. Parmi les boutiques de créateurs de vêtements (hors de prix), d'objets design, et les galeries d'art où se mêlent contemporain et traditionnel, on croise celle de Pagal Records où Joginder, disquaire, initie avec ferveur les passants à la musique indienne, à la cithare, à la flûte ou aux chants dévotionnels bhajans, avant de rejoindre Goa pour le week-end. D'origine italo-indienne, cet ancien élagueur a eu envie de venir s'installer à Delhi, il y a quelques années, et a ouvert sa boutique de disques. «Nous sommes deux à faire ça à Delhi et je suis le seul à importer. Avec le boom culturel de l'Inde, c'était vraiment le moment. J'aime la liberté de ce quartier. Les mœurs se relâchent. Les filles boivent de l'alcool. Il y a moins de tabous. Et puis, il y a le jardin…» Effectivement, un peu épargné par les particules fines, le Deer Park déploie ses grandes étendues aux biches, son lac, ses tombeaux moghols et ses alcôves où les amoureux s'enlacent, à l'écart des regards et à l'abri des ruines romantiques. Puis lorsque la nuit tombe et que le parc se vide, les toits-terrasses font le plein et Hauz Khas s'anime de concerts et d'une foule plutôt masculine, comme au Social, un lieu bien connu des noctambules initiés.

3 Dhan Mill

A Dhan Mill où les brabos («bobos» indiens, contraction de brahmanes bohèmes) viennent déjeuner.

Rester entre soi pour trouver un peu de répit, à l'abri de la ville grouillante, c'est aussi la réalité de ces endroits en vogue dans un pays inégalitaire… C'est justement le concept de Dhan Mill, encore plus au sud, petit nouveau et dernier haut lieu à la mode, où les brabos se donnent rendez-vous. Derrière un portail en retrait de la route, dans ces deux rues très localisées, on vient boire un ristretto pressé à l'italienne, acheter des meubles design ou quelques poteries minimalistes, faire du sport ou assister à un spectacle de danse traditionnelle contemporaine. Garav, tongs aux pieds, s'est installé là il y a peu pour ouvrir son service de traiteur et de livraison. Il dit «adorer cet endroit, parce que c'est différent de tout ce que l'on trouve à Delhi. Il n'y a pas de voiture, très peu de bruit, ça fait du bien». Preuve de la notoriété croissante de Dhan Mill, la galerie Nature morte - en français -, référence pour les amateurs d'art contemporain et qui est installée à New Delhi depuis 2003, devrait prochainement y ouvrir une antenne.

Le jour de notre visite les rues de Dhan Mill étaient étrangement désertes. Comme dans l’attente du tourbillon à venir. Mais dans une métropole de 20 millions d’habitants, c’est sans doute ça le luxe : s’offrir du vide.

Reportage réalisé avec le concours de Terre voyages.

Y aller

A partir de 458 euros, plusieurs vols par jour.

Y manger

A Shapur Jhat, le Potbelly RooftopCafe.

Khan Market abrite le café Turtle où l'on pourra profiter de la terrasse verdoyante.

 Y dormir

A Hauz Khas, le LetsBunk Poshtel est très bien situé. Rens. : Letsbunk.live