Al'idée d'un reportage tourisme dont l'actualité serait l'exposition Homère au Louvre-Lens, le responsable des pages a eu ce bon mot : «Heureux qui comme à Lens a fait un beau voyage…» Merci pour l'accroche, d'autant plus que ce n'est pas faux : à Lens, on peut visiter le Louvre mais aussi découvrir le pays du charbon, bien moins noir que l'idée qu'on s'en fait. Certes, le passé n'est pas effacé d'un coup de gomme : si le bassin minier a demandé, et obtenu, son classement au patrimoine mondial de l'Unesco, en 2012, ce n'est pas pour se transformer en Côte d'Azur. Mais pas non plus pour rester figé dans l'image de Germinal. Les traces innombrables de la mine se marient parfois à des éléments inattendus. Visite.
1 Le Louvre
Quand l’ultime puits de mine a fermé en 1990, le Louvre était bien le dernier équipement qu’on se serait attendu à trouver dans le secteur. Pourtant le voilà à Lens, intégré dans le paysage à tous égards. Les architectes japonais de l’agence Sanaa ont dessiné un bâtiment bas et transparent, pas intimidant. L’accès à la Galerie du temps, qui présente la collection permanente, est gratuit tous les jours. Ce dimanche, l’exposition «Homère» qui a ouvert quelques jours plus tôt, l’est aussi. Dans un département où un tiers des jeunes n’est ni en études ni en emploi et où 20 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, le Louvre réussit à s’adresser à la population la plus large possible tout en gardant son top niveau. Chapeau.
Du coup, le touriste peut arriver à la gare de Lens (1928, en forme de locomotive, elle vaut le détour), marcher un quart d’heure le long du cheminement aménagé dans la verdure par le paysagiste Michel Desvignes, atteindre le musée par son parc, voir l’exposition temporaire, déjeuner chez Marc Meurin (deux étoiles, menu 33 euros) ou pique-niquer sur les tables prévues pour, visiter la Galerie du temps et… repartir ? Non, traverser la rue.
2 L’hôtel du Louvre Lens
En face du musée, il y avait un alignement de maisons de mineurs, la Cité 9. Elles auraient dû être détruites, comme l'a été une bonne partie de ces ensembles. Puis, finalement, la Cité 9 est devenue un hôtel quatre étoiles de 52 chambres avec un restaurant, le Galibot, du nom des jeunots qui poussaient les wagonnets de charbon au fond. Les architectes Claire Duthoit et Guillaume Da Silva ont gardé la silhouette et la brique d'origine afin de préserver «l'authenticité des lieux et traduire avec respect son identité», lit-on dans la plaquette de l'hôtel. Dans les premiers jours d'ouverture, les anciens habitants ont été conviés à passer une nuit dans ce qui fut leur logis et qui n'a pas été mis par terre.
Dans le bassin minier, les cités sont composées de maisons, souvent en briques, avec l’école, le dispensaire, l’église, le presbytère, bref tout l’équipement prévu par les compagnies minières pour contrôler leurs prolétaires (et conserver autant que possible leur force de travail). La Cité des provinces, à Lens, est un bon exemple de ces constructions. Là comme ailleurs, la brique domine. A ceux que ce matériau rebute, un conseil : comparez mentalement les cités minières du Pas-de-Calais et les lotissements pavillonnaires partout ailleurs, vous changerez d’approche.
Plus loin dans le bassin, à Bruay-la-Buissière, la Cité des électriciens donne une idée de ce que peut devenir un quartier comme celui-là. Elle a été réhabilitée par l’architecte Philippe Prost pour abriter des résidences d’artistes et des gîtes. La rénovation est achevée et même si les occupants ne sont pas encore là, le résultat est remarquable.
3 Le Métaphone
La mine elle-même a laissé dans le paysage de grandes constructions métalliques, les chevalements, qui ont tous cette élégance des formes techniques et jouxtent souvent des bâtiments opulents, sortes de manoirs d’industrie. Si l’on veut ressentir ce qu’était la puissance des compagnies minières, le site de la fosse 9-9 bis, à Oignies, est un exemple parlant. Mais la visite va plus loin.
A cet endroit, les collectivités ont implanté une salle de rock et pas n'importe laquelle. Le Métaphone est un «instrument de musique urbain», explique son site web. Ses façades forment une «peau sonore» , grâce à «des plaques de matériaux divers : bois, verre transparent et dépoli, acier Corten, il est équipé de vingt-quatre instruments (orgues, percussions, xylophones, cymbales, bâtons de pluie, etc.) i nstallés sur les parois extérieures du porche d'entrée et reliés à un système de régie et de haut-parleurs». Sur place, on fait la queue dans cette drôle d'ambiance créée par Louis Dandrel, auteur, entre autres, du «sonal» de la SNCF. Cet objet est unique au monde. Sa greffe est-elle plus étrange que celle du Louvre ? Le bassin minier recèle décidément des surprises.
4 Terrils et vignes
Ceux-là font partie de l’image mentale de la mine mais il faut reconnaître qu’on n’en voit qu’ici. Les terrils sont la conséquence logique du trou qu’on creuse puisqu’il faut bien entasser la terre quelque part. Dans l’exploitation minière, tout ce qui n’était pas le charbon était empilé sur place, dans d’immenses tas, souvent coniques mais parfois aussi arasés au sommet. Dans le paysage plat du pays minier, on ne peut pas manquer les terrils. Les deux «jumeaux» de Loos-en-Gohelle, à côté de Lens, sont les plus hauts d’Europe (189 mètres) et aussi les plus spectaculaires.
Un terril se grimpe. La Chaîne des terrils organise au départ de la fosse 11 / 19 à Loos-en-Gohelle, des sorties guidées qui ne demandent que de bonnes chaussures, de l’endurance à la montée, de bonnes articulations des genoux à la descente. Avec sa haute dose de minéraux carbonés et sa couleur noire, le terril est un biotope qui accueille des plantes amatrices de chaleur qui n’auraient sinon aucune raison de pousser dans la région. Un bonheur de botaniste.
Dans les années récentes, les terrils ont servi de réserve de remblai pour construire des routes, de supports de trail en VTT et même de pistes de ski sur neige synthétique (à Nœux-les-Mines). L'un d'entre eux sert maintenant à faire de la vigne. A Haillicourt, on contemple les six à sept mille plants à mi-hauteur du cône, vignoble pas banal, mais surtout on évalue la pente plutôt raide. La vendange à la main et la descente de la récolte à dos d'homme doivent être un grand moment. Le vin est un blanc issu d'un cépage de chardonnay, s'appelle le Charbonnay (ah, ah !) mais n'est, hélas, en vente nulle part. Au café le Mustang, le patron sort la seule bouteille qu'il possède de sa cave (pour la photo, pas pour la dégustation). Le 2015 était «très bien», confirme un des clients.
5 La mine, quand même
C'est un passé, une culture, une épopée, on a pu lire Germinal (d'Emile Zola), ou voir le film qui en est sorti (de Claude Berri), on a l'impression qu'on sait tout et sur place, les gens aiment aussi qu'on leur parle d'autre chose. Mais quand même, laisser ça de côté ?
On peut commencer par aller déjeuner chez Al'Fosse 7, à Avion. En novembre 2008, une famille a ouvert dans sa maison un «restaurant musée». Deux ans de travaux, «des objets chinés ou prêtés par nos clients», une salle en rondins de bois et murs anthracite dans une idée de galerie de mine : ce décor aurait été fait par une chaîne de restauration, il serait insupportable. Mais là, bricolé par les gens d'ici, il est touchant. Le menu contient un peu de ch'ti («remplis t'pinche ici»), la cuisine est excellente dans le roboratif, les produits viennent du coin et le plat du jour est à 8,50 euros.
Mais après cette évocation sympathique, il peut être utile d’aller voir ce qu’il en a été dans la vraie vie. Au centre historique minier de Lewarde, sur le site de l’ancienne fosse Delloye, on se retrouve dans la reconstitution d’une galerie de mine. Au début, le fait de devoir mettre casques et charlottes fait pouffer les visiteurs. Au fil du parcours, tandis que la guide décrit de sa petite voix flûtée les tailles de 50 centimètres où il fallait se glisser, les wagonnets poussés par des gamins de 12 ans ou par des femmes, le bruit assourdissant, la poussière de charbon, la chaleur, les inondations contre lesquelles il faut lutter, le grisou qu’on redoute et l’exploitation qui, au fil des modernisations, reste toujours une épreuve, on rit moins. Le musée de Lewarde est la réalité du bassin minier. Le Louvre-Lens aussi.
Poésie et chef étoilé
Y aller
En 1 h 05 de TGV depuis Paris-Nord, 1 h 40 depuis Bruxelles et une demi-heure depuis Lille.
Le Louvre-Lens est à un quart d’heure à pied dans la verdure. Navette gratuite.
Pour visiter le bassin minier, on peut louer une voiture mais dans ce relief plat, le vélo fait l’affaire.
Boutique Biclo, sur la place de la gare (9 € la journée de vélo électrique).
Y dormir
A Lens Hôtel Louvre Lens. En face du musée, dans une cité minière reconvertie. De 115 à 215 € (chambre famille).
A Bruay-la-Buissière Les gîtes de la Cité des électriciens. De 2 à 8 personnes, 105 à 325 € le week-end basse saison. La plus belle réhabilitation d’une cité minière. Inauguration le 18 mai et gîtes disponibles à partir du 20 mai.
Y manger
Dans le Louvre L’Atelier de Marc Meurin. Un chef étoilé couplé avec un musée, c’est la mode. Menu du marché à 33 €. Rens. : Atelierdemarcmeurin.fr
Face au Louvre Chez Cathy. Quand on a vu son estaminet cerné par les pelleteuses, on a pensé qu’elle avait du courage, Cathy. Elle a bien fait de tenir. Menu 12 à 18 €. 220, rue Paul-Bert. Rens. : 03 21 42 62 19.
A Avion A l’ Fosse 7. Sympathique et roboratif. Plats du jour à 8,50 €, menu complet à 26 € et demi-portions possibles. 94, bd Henri-Martel. Rens. : 03 21 43 06 98.