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Libération
Californie

Bombay Beach, la face cachée de la dune

Grandes destinationsdossier
Dans cette bourgade fantôme de 200 habitants au sud-est de Los Angeles, un festival d’art contemporain installé en plein désert tente de redynamiser une communauté isolée confrontée à l’évaporation de son lac. Loin de tout et loin des habituelles manifestations d’art.
Performance «Bloodmoon» de l’artiste Gesine Thomson à Bombay Beach, le 23 mars. (Photos Katie Callan)
publié le 26 avril 2019 à 17h07
(mis à jour le 2 mai 2019 à 19h06)

Aller à Burning Man ? Désormais impossible à moins de 1 000 dollars (888 euros). Un pass pour le festival de Coachella ? A partir de 455 dollars (400 euros). Si le désert est censé faire l'apologie du vide, certaines poches organisatrices n'ont pas reçu le mémo… Fort heureusement, une poignée d'étendues arides de l'Ouest américain s'entête et refuse de servir de simple décor tiroir-caisse.
Outre le projet pérenne High Desert Test Sites, vers Joshua Tree ( Libération du 27 février 2015) et le festival Desert X qui s'est achevé fin avril, un bled, autrefois maudit, du désert californien est en train de se réinventer grâce à sa biennale, en inattendu lieu célébrant un art modeste, pointu mais bricolé, sans arrière-pensée mercantile. A Bombay Beach, 200 habitants à l'année, les rues balafrées exhibent désormais leurs tatouages d'œuvres en accès libre, in situ, militantes à l'occasion, à découvrir façon chasse aux trésors.
Hallucinogène comme un trip de Hunter S. Thomson, à un peu plus de trois heures du sud-est de Los Angeles, Bombay Beach pousse sa «biennale» annuelle d'art renégat sur la voie de la reconnaissance internationale. Voici quatre raisons d'aller se perdre dans ce qu'un riverain appelle «une banlieue de la Lune».

1- Une mer intérieure dans un monde parallèle

Une heure de route après Cabazon et ses deux dinosaures de carton-pâte qui confirment que l'on a bien basculé dans ce monde parallèle du désert californien, se rapprochent des rives étranges, fantomatiques, quasi-abandonnées avec leurs squelettes de palmiers et plages faites de coquillages vides : la Salton Sea. Mer intérieure en plein désert née de la rupture d'un barrage en 1906, elle se meurt d'une évaporation alarmante depuis son âge d'or dans les années 50, quand le tout-Hollywood pensait pouvoir en faire un nouveau lieu de villégiature.
Sur sa côte est, clapotant les pieds dans une eau à la baignade impossible, voici Bombay Beach, assemblage approximatif de baraques et mobile homes où survivent à l'année quelques douzaines de locaux à la marge. En 2015, pour attirer au moins l'attention médiatique sur le cas Salton Sea, une communauté d'artistes, emmenée par le réalisateur italo-américain Tao Ruspoli, a racheté des dizaines de maisons du village breloquant pour mettre sur pied «une célébration renégate d'art, de musique et de philosophie sur les rives de la civilisation occidentale» ; gratuite et rebelle : la Bombay Beach Biennale était née.

Le cinéma en plein air Bombay Beach Drive-In, le 17 mars. Photo Katie Callan

Avec la bénédiction d'habitants artistes ou régisseurs, Tao Ruspoli et ses amis investissent les baraques abandonnées, les rues défoncées bordées d'une digue de sable de 4 mètres de haut, les rivages encroûtés de sel, parfois même les eaux polluées de la Salton Sea pour en faire «la toile de toute expression créative» où se mêlent  land-art raffiné, astucieuses galeries de fortune et œuvres militantes.
Comme chaque année, les installations créées pour cette nouvelle édition resteront sur place, ajoutant une nouvelle couche d'art sur les éditions précédentes réstées là. C'est ainsi que de la chrysalide Bombay Beach naît, pas à pas, une ville-œuvre.

2- Des «pavillons internationaux»

Pour bien appréhender Bombay Beach, il faut se laisser porter par la déambulation au hasard des rues. L'ambiance est entre Mad Max crânement post-apocalyptique et second degré (le bar local s'appelle le Ski Inn, alors qu'il fait 50 degrés en été), piqué de propositions de la biennale : ici un salon à regarder depuis le cadre d'un tableau, plus bas un rivage ponctué d'une porte d'entrée donnant sur l'horizon… Devant la multicolore Zig Zag House, cubes métalliques évidés de 5 mètres sur 5. «Des pavillons internationaux, comme à la Biennale de Venise», s'amuse Tao Ruspoli. Ainsi, l'architecte anglaise Lara Hoad rend un «hommage» désabusé au Brexit : elle a appelé son méticuleux assemblage de ficelles formant un Union Jack déstructuré Assez de cordes (pour te pendre), «afin de signifier le bordel de ce référendum». Plus léger et plus haut perché (dans tous les sens du terme), sur le toit de la Zig Zag House, le pavillon de l'Islande, une pluie de gouttelettes de verre rondes représentent l'évaporation de la Salton Sea, une œuvre créée par Scott Fitzel, un artiste de Hawaï.

3- Des galeries en accès libre

Un imposant portail kitsch, des chaînes dorées, un nom ronflant : les malicieux «Bombay Beach Estates» se moquent des résidences pour riches si typiques de «l'autre» Californie. La blague fonctionne car il s'agit d'un labyrinthe de baraques défoncées, transformées en galeries d'art en accès libre, ouvertes à l'année, où sont garées à dessein une Rolls (qui fonctionne) et une carcasse de Jaguar taguée. On s'y perd, comme dans des ruelles, pour débusquer des déco d'intérieur made in Bombay - un néon «Paradis» flotte dans le salon abandonné de l'une d'elles. Chef-d'œuvre régressif des lieux, le Museum Number 2, «musée le plus merdique du monde», comme le clame sa conceptrice Moral Turgeman. Se reporter à la définition américaine (scatologique et enfantine) de «number two» pour comprendre l'esprit de cette maisonnette repeinte de couleurs pop décorée de brosses à WC et de ventouses.
De l'autre côté de G Street, l'Institute of Particle Physics, Metaphysics & International Relations propose, dans son jardinet, une déambulation avec des galeries photo en conteneur ou des installations d'art cinétiques.

Icelandic Pavilion Water Molicube,

de l’artiste Scott Fitzel. Photo Katie Callan

4- Des œuvres utiles

Sourire satisfait, Stefan Ashkenazy, co-créateur inattendu de la biennale (il dirige aussi le très chic Petit Ermitage, un hôtel à Los Angeles), vêtu de noir des bottes au chapeau, savoure : «On a mis du temps à trouver la bonne ville fantôme, assez abandonnée mais avec assez d'infrastructures pour pouvoir créer ; et où créer de l'art aurait une finalité.» Car c'est aussi tout l'intérêt de cette biennale pragmatique : montrer gratuitement un art qui ne soit pas gratuit, avec des œuvres utiles pour la communauté ravie. Depuis 2018, les habitants peuvent profiter ainsi de la Bombay Beach Opera House, un espace de performances et d'expression - au décor turquoise et aquatique avec des milliers de tongs sur les murs donnant l'illusion de poissons -, mais aussi d'un cinéma en plein air fait de carcasses de bateaux et voitures, où le filtre à air évidé sert de barbecue. Et ainsi de suite : les infrastructures culturelles se construisant d'une biennale à l'autre.

Y aller

Paris-Los Angeles : meilleur rapport service / tarifs Air Tahiti Nui, puis compter 3 h 30 de route depuis l’aéroport. Pas d’accès en train.

Infos parcours des œuvres au Bombay Beach Institute of Particle Physics, Metaphysics & International Relations (où l'on peut aussi loger) : croisement de 5 th St. et Avenue H. Rens. : Bombaybeachbiennale.org

Y dormir

Slab City Hostel, pour routards très roots. Contact via leur page Facebook.

Villa Royale, dernier-né des boutique-hôtels de Palm Springs. 620 S Indian Trail. Env. 200 € par nuit. Rens. : Villaroyale.com

Nurturing Rest Resort and Spa, véritable desert experience sur la route depuis Los Angeles, avec source d'eau chaude naturelle dans l'hôtel. 1149 Sunset Ave (Desert Hot Springs), env. 150 € par nuit. Rens. : Nurturingnest.com

Y manger

Ski Inn, le seul bar / burger de Bombay Beach. 9596 Avenue A (Niland, CA).