Sur le front de mer de Sea Point, le hijab running se porte bien. Du moins son équivalent, affiché par des dizaines de jeunes femmes qui, baskets aux pieds, font leur jogging quotidien sur cette large promenade qui longe l'océan Atlantique. On y croise aussi des kippas, des dreadlocks et quelques sosies de Gwyneth Paltrow qui courent derrière des poussettes aux allures de 4×4 miniatures. Vingt-cinq ans après les premières élections démocratiques et multiraciales, en avril 1994, l'Afrique du Sud a parfois des allures de pub Benetton qui ne se limite pas à la dualité Noirs-Blancs, mais englobe toutes les nuances de la «nation arc-en-ciel». Même au Cap, ville posée à l'extrême pointe sud du continent, longtemps considérée comme un «bastion blanc». Reste que, désormais, la mixité s'y impose à (presque) toutes les terrasses de café. Ou encore sur le beach front de Sea Point, quartier balnéaire au charme désuet. Le seul dans cette partie de la ville, qui a gardé son caractère populaire, avec une authentique artère commerciale, alors qu'ailleurs prolifèrent si souvent de gigantesques shoppings malls conçus comme des villages artificiels sécurisés. A l'image du Waterfront, le faux «village» portuaire qui accueille 24 millions de visiteurs par an.
Depuis longtemps Le Cap est l'une des perles du tourisme sud-africain. Il a littéralement explosé ces dernières années, dénaturant quelque peu cette ville de plus de quatre millions d'habitants dont la population a doublé en moins de dix ans. «L'exode rural, surtout issu de la région voisine du Cap oriental, continue à faire croître les bidonvilles, mais dans les beaux quartiers comme Clifton, ce sont surtout les riches touristes étrangers qui s'achètent des maisons de vacances», note Chris, un photographe vétéran de la lutte anti-apartheid assis à la terrasse du Rockpool, l'un des rares cafés longeant la promenade de Sea Point.
Curieusement, l’explosion du tourisme (et de l’immobilier) n’a pas fondamentalement changé la structure de la ville : toujours aussi peu de cafés et restaurants au bord de l’eau, malgré un cadre enchanteur. Et surtout, passé 17 heures, un «couvre-feu» informel s’impose encore aujourd’hui pour les piétons dans tous les quartiers. Le centre-ville se vide et même la promenade du front de mer de Sea Point est désertée. Il existe bien des endroits où se divertir le soir venu, mais on ira en voiture. A condition de savoir où l’on va, car ici comme ailleurs l’inflation touristique favorise l’instinct grégaire vers les mêmes endroits, recommandés par tous les guides. Ils se révèlent parfois décevants. Voici donc quatre conseils pour sortir des sentiers battus.
1 Redécouvrir le centre-ville
Le Cap est l’une des rares villes sud-africaines doté d’un véritable centre-ville où l’on peut marcher pendant la journée : dans le périmètre qui entoure les Gardens et le Parlement sud-africain, installé à 1 500 km du siège du gouvernement à Pretoria. Il y a encore cinq ans, Long Street était le cœur battant de cette vie urbaine. Mais il faut oublier cette rue aux balcons en dentelles forgée, désormais envahie de boutiques dégoulinant d’objets africains, visiblement produits à échelle industrielle. Et c’est la rue parallèle, Bree Street qui a le vent en poupe, parsemée de restaurants, de bars et de galeries. Pour les découvrir, le mieux est encore de se trouver sur place le premier jeudi du mois : le centre-ville, et plus particulièrement Bree Street, est alors ouvert aux piétons jusque tard dans la nuit. La sécurité est présente mais discrète, permettant de déambuler enfin avec insouciance et de rêver à ce que pourrait être cette ville si elle n’était sans cesse gangrenée par la hantise d’une criminalité qui semble irréductible. Comme dans toute l’Afrique du Sud d’ailleurs.
2 S’offrir le grand frisson
On a moins de risques de se faire braquer au Cap qu'à Johannesburg, la capitale économique, qui jouxte Pretoria dans le nord-est du pays. Reste qu'ici aussi la criminalité est une réalité et notamment dans les lointains quartiers des Cape Flats, territoire des gangsters coloured, comme on appelle les métis, devenus race à part entière sous le régime de ségrégation raciale de l'apartheid. C'est en partie à cause de ces gangs que Le Cap est devenu la capitale du polar sud-africain. Ces romans policiers, dont les auteurs connaissent parfois un succès planétaire, à l'instar de Deon Meyer ou de Roger Smith, constituent d'ailleurs d'excellents guides alternatifs pour se familiariser avec la géographie et la toponymie d'une ville constituée en réalité d'une addition de quartiers à l'identité bien marquée.
Mais au Cap, il y a bien d'autres façons de s'offrir des montées d'adrénaline : chaque jour, sur la promenade de Sea Point, des rabatteurs vous proposent de sauter en deltaplane depuis les hauteurs de la colline de Signal Hill. Un point de vue unique pour découvrir le paysage tourmenté et majestueux de cette péninsule entre montagne et mer. L'autre grand frisson vient de l'océan, justement. Dès le printemps austral, à partir de septembre, les baleines longent les côtes et sont visibles à distance rapprochée. Et en toute saison, il ne faudra guère s'étonner d'entendre une sirène retentir sur les plages, côté océan Indien, comme à Muizenberg. Cette sirène, qui incite baigneurs et surfeurs à sortir rapidement de l'eau, signale la présence de requins à proximité. «Ça peut parfois arriver deux ou trois fois dans la même journée», soupire l'employée municipale chargée de changer le drapeau jouxtant les jolies cabines multicolores qui ont fait la renommée de cette plage populaire.
3 Faire un tour au musée
Le Cap a toujours eu l’ambition d’être la capitale intellectuelle et artistique du pays. Et depuis 2017, on y trouve le plus grand musée d’art contemporain africain au monde. Situé dans l’enceinte du Waterfront et installé dans un ancien silo à grains de 57 mètres de haut, ce musée a été conçu grâce à la contribution financière et artistique de Jochen Zeitz, un collectionneur allemand qui est aussi le patron mondial de la marque Puma. Baptisé du nom de son fondateur, le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa offre, sur quatre étages, un panorama éblouissant de la création du continent. Dans le même esprit, mais nettement moins connue, la Norval Foundation, également spécialisée dans l’art contemporain, est installée dans un bunker sur un site un peu isolé, non loin de la plage de Muizenberg et mérite le détour.
Il existe aussi de multiples petits musées atypiques, comme l'Irma Stern Museum, à deux pas de l'université, qui abrite les innombrables peintures de cette fabuleuse artiste du début du XXe siècle, femme libre et grande voyageuse.
4 Fuir la ville
Le Cap est moins une ville qu'une péninsule, à la jonction de deux océans. Quitter l'environnement urbain est à la fois facile et indispensable. Au nord, à près de deux heures de route, le lagon de Langebaan est une réserve protégée où gambadent en liberté antilopes et springboks, et qui abrite une plage protégée où l'on peut enfin se baigner en toute insouciance. Au sud, sur la route de la pointe du Cap, Kommetjie (prononcez «Komaki») et Scarborough sont des banlieues balnéaires où de nombreux citadins se sont installés face à des plages d'une beauté sauvage inoubliable. C'est là, le regard plongé dans les immenses vagues d'un bleu translucide qu'on ressent enfin l'ivresse d'être au bout du monde. Le voyage aurait-il pu avoir une autre raison d'être ?
Vrai café et cadre idyllique
Y aller
De septembre à mai, équivalent du printemps à l’automne austral.
Y dîner
Sea Breeze, excellent restaurant de poissons et de fruits de mer. 213, Bree Street. Rens.: Seabreezecapetown.co.za Love Thy Neighbour, restaurant avec jardin tenu par de charmants Congolais. Prix défiant toute concurrence. 110, Bree Street.
Y boire un verre
Au Mount Nelson Hotel, palace de luxe offrant dans un cadre idyllique thé et cocktails, à des prix tout à fait abordables. Rens.: Belmond.com Au Grand Beach, le vrai café, le seul, les pieds dans l’eau! Musique survoltée et cocktails explosifs en prime. Juste avant l’entrée du Waterfront. Rens.: Grandafrica.com.