Menu
Libération
Loire-Atlantique

Clisson droit dans la botte

Maisons de tuiles et de briques, jardins ombragés, belles demeures et statues antiques, la ville, reconstruite au XIXe siècle après les guerres de Vendée par les frères Cacault, deux amoureux de l’Italie, est une promenade sous influence toscane à deux pas de Nantes.
par Léa Charron et Théophile Trossat
publié le 21 juin 2019 à 17h56

Les champs de vignes défilent des deux côtés de la route, luisant sous un soleil au zénith. Les plaines se cognent contre l’horizon tandis que les bâtisses à loggia et toit de tuiles creuses se succèdent. On approche. Des collines coiffées de pins parasols trempent doucement dans l’eau verte des rivières en contrebas. Au centre, une ville jaune et son château en ruine cerné de hautes pierres. On pense à Volterra et à la campagne de Toscane. Et pourtant, Nantes est à une demi-heure en voiture, ensuite c’est l’Atlantique et ses tempêtes, loin, très loin de la douceur de la Méditerranée.

C’est parce que ce petit coin de Loire leur rappelait tellement l’Italie que les frères Cacault décidèrent d’y poser leurs valises en 1798. Chassés de Rome par les émeutiers antirépublicains, les deux natifs de Nantes de retour au pays - François, diplomate de haut rang, et Pierre, artiste peintre et collectionneur - découvrent une cité anéantie par les guerres de Vendée. Plus du tiers des habitants a disparu. Seules les halles et deux maisons sont encore debout ; le château, théâtre d’atrocités, a brûlé. Les frères Cacault décident alors de faire du passé table rase, et de la petite cité médiévale le décor d’un délire bien rangé, aux parfums d’Italie. Objectif : remettre ce pays debout par les arts, avec un projet de musée-école. Leur ami François-Frédéric Lemot, sculpteur lauréat du grand prix de Rome 1790, invité à Clisson, tombe amoureux du coin. Il fait bâtir la première maison de style italianisant. D’autres suivront et, depuis, la tradition perdure.

Aujourd’hui, le château ne guette plus aucun ennemi, il se visite. Des dizaines de kayaks se croisent sur l’eau aux beaux jours. Les ruelles, drapées dans leur charme latin, intriguent au mois de juin les chevelus du festival voisin quittant les riffs du Hellfest pour ce court farniente aux airs de dolce vita.

1- Des «anomalies» architecturales

Dans ce vignoble où coule, non pas le chianti, mais le muscadet, parcourir Clisson, c'est se heurter à de véritables «anomalies» architecturales. La première étonne, dans les hauteurs du coteau Saint-Gilles : le Temple de l'amitié, inspiré du style grec antique, avec ses quatre colonnes blanches. On y accède en passant par le cimetière, depuis la ville, ou en remontant un sentier tortueux depuis les rives fraîches de la Sèvre nantaise, jalonné de gros blocs de granit recouverts de mousse. A l'ombre des pins et des chênes, coquelicots, fougères et quelques orties envahissent anarchiquement cet espace boisé. Copié sur le temple de la Sibylle, à Tivoli, ce monument célèbre les liens qui unissaient les Cacault et Lemot, devenus amis depuis leur séjour à Rome. «Dans cette vallée de la Sèvre, ils ont retrouvé leur paradis perdu», explique l'historien Alain Delaval. Le visiteur, lui, le temps de reprendre son souffle, se délectera avec plaisir des jeux de lumière sur le coteau d'en face, où Lemot a fait bâtir une villa néoclassique et des jardins paysagers.

2- L’eau partout

De retour en bas, au bord de la rivière, briques rouges et toits enchevêtrés ornent toujours les habitations, moulins et anciennes tanneries. Un chemin longe la rive, débouchant sur une prairie où des familles pique-niquent pendant que des jeunes tentent un petit somme, en musique. La ville laisse la végétation se développer sans contrainte dans ces parcs longilignes. Hérons, martins-pêcheurs, mésanges, grives mauvis et verdiers partagent les lieux. L’eau est partout. En redescendant dans le centre-ville, on passe des ponts de pierre étroits enjambant la Sèvre nantaise, puis la Moine, les deux rivières de Clisson. Un peu plus loin, le moulin de Plessard, ancien moulin à farine datant d’avant la Révolution, abrite depuis cinquante ans le club de canoë-kayak. Il lâche ses embarcations fluo dans la rivière grise, où l’eau bouillonne dans des dédales de rochers appelés les «bains de Diane». La bâtisse, quant à elle, n’a pas échappé à la règle : Barthélemy Lemot, le fils, l’achète en 1821 et la fait agrandir pour lui donner l’apparence d’une fabrique à l’italienne.

Le domaine de la Garenne Lemot. Photo Théophile Trossat

3- Des odes à l’Antiquité

De l'autre côté de la Moine, on arrive au domaine de la Garenne Lemot. «Le sculpteur achète en 1805 cette ancienne réserve de chasse pour y faire pousser l'immense parc que l'on connaît aujourd'hui, dans une vision fantasmagorique des paysages de Toscane»,raconte sur place l'une des guides. On traverse avec elle bois et jardins entretenus ponctués de statues, d'obélisques et de constructions d'ornements. Parmi elles, le temple de Vesta et la grotte d'Héloïse sont des odes silencieuses à l'Antiquité gréco-romaine et sa Renaissance en Italie. Ils ont été aménagés pour inspirer les artistes de passage. On remarque le souci du détail dans la palette végétale, composée de toutes pièces par les artisans du sculpteur. C'est presque la Méditerranée. Près du belvédère, la villa néoclassique, reconvertie en résidence d'artistes, accueille l'été une exposition sur la forêt amazonienne et ses poissons, avec des collections tout droit venues des musées Dobrée, à Nantes, et du Quai Branly, à Paris. A l'entrée du domaine, la maison du jardinier se fait plus humble. C'est une ferme toscane avec des briques roses, une cour, un pigeonnier. C'est aussi la première bâtisse de style italianisant à être sortie de terre à Clisson.

Devant l’église Notre-Dame. Photo Théophile Trossat

4- Des petites places

«Par l'intermédiaire de son régisseur, Lemot a transmis aux populations locales les recettes pour faire des maisons à l'italienne chics et pas chères, avec l'emploi de la petite brique plate, notamment», explique Alain Delaval. Le quartier qui encercle la Garenne s'est ainsi mué en petite Italie. Dans le quartier voisin de la Trinité, le théâtre à l'italienne, bâti par la petite-fille de Lemot en 1905, attend une possible reconversion. Des adeptes cherchent à préserver le bâtiment à l'abandon, menacé de destruction après un incendie : «Il est construit avec les vraies briques chantignolles, qu'on ne fait plus. Le démolir, ce serait ôter une partie de l'âme de Clisson.»

Du côté de la vieille ville, le labyrinthe de venelles dallées s'ouvre sur de petites places, telle celle de Notre-Dame, avec sa fontaine et ses visages de barbus crachant de l'eau, face à l'église du même nom. Italie oblige, on s'arrêterait presque pour déguster un expresso en terrasse, même si, on le sait, «un bon café, ça se boit au comptoir». L'imposant édifice, juste à côté, a toutes les caractéristiques des églises romaines : façade tripartite, basse et trapue, clocher campanile en forme de tour carrée et chevet. Pourtant, il date de la fin du XIXe siècle. C'est que l'architecte s'est inspiré de l'église Saint-Jean-et-Saint-Paul, à Rome. Afin de poursuivre, par tradition, le mouvement initié par Lemot. La dolce vita. Encore et toujours.

Romarin et filature

A voir, à faire

Le domaine de la Garenne-Valentin et son Pavillon des rochers, ancien couvent des bénédictines converti en parc paysager aux essences méditerranéennes. Dans la vieille ville, la place du Minage et les halles qui datent du XIVe siècle. Le Hellfest, festival de musique metal, du 21 au 23 juin. Locations de canoës et kayaks au moulin de Plessard. Rens. : 02 40 54 39 59.

Y manger

Au Dolce caffè sur la petite place médiévale derrière les halles. Salon de thé, tartes, pizzas et spécialités italiennes maison, dont la focaccia, pain à l’huile d’olive et au romarin.

Y dormir

Villa Saint-Antoine en bord de Sèvre, face au château, dans une ancienne filature de lin. Chambres d’hôtes La Dourie (cinq minutes du centre.)