Il arrive qu'à Cherbourg, on grelotte en plein cœur de l'été. Si bien que, lorsque les températures dépassent les 25 degrés, l'autochtone commence à suer à grosses gouttes. Aussi, le fait que, plus d'un demi-siècle après son tournage in situ, la comédie musicale de Jacques Demy, les Parapluies de Cherbourg, demeure, par parcours numéroté et manufacture de pébroques haut de gamme interposés, un produit d'appel du tourisme, confirme que dans le Cotentin les cas d'insolation restent rares. D'un sens, si excentrée que le mode de vie y paraît à divers égards quasi insulaire, la région se mérite. Mais elle sait également rendre au centuple.
Sous-préfecture de la Manche, Cherbourg peut s’envisager sous divers angles. A la fois port de commerce, de pêche et de plaisance, la ville en impose avant tout comme port militaire où, encore aujourd’hui, on fabrique dans l’arsenal les Barracuda, ces sous-marins nucléaires d’attaque dernier cri.
Cependant, on se rend communément en Normandie pour visiter les plages du Débarquement et l'ex-fief de Bernard Cazeneuve ne fait guère recette. Ce que l'illustre général Eisenhower ne manquerait pas de déplorer, lui qui déclara : «Cherbourg représentait un élément capital dans nos principaux plans logistiques. Le débarquement naval et aérien dans le Cotentin avait été expressément conçu pour faciliter sa capture rapide afin que nous puissions utiliser son précieux port [car en eaux profondes, ndlr] comme base accessible par tous les temps, pour débarquer le matériel.»
Façade rose. Commencée le 19 juin 1940, l'occupation allemande capotera officiellement le 26 juin 1944, après de violents combats. «Pourtant, précise Claire Yvon, guide conférencière, hormis le port, la gare maritime et quelques sites industriels, Cherbourg n'a pas eu à souffrir des bombardements qui, du reste, feront très peu de victimes, à l'inverse de villes comme Le Havre ou Saint-Nazaire.» Parmi les vestiges emblématiques figure, dans le prolongement de la plus grande rade artificielle au monde, la spectaculaire digue militaire, dont les trois tronçons (interdits à la visite) courent sur plus de 6 kilomètres, et le fort du Roule et sa batterie souterraine, construits au sommet d'un promontoire qui, bien que ne culminant qu'à 117 mètres, a été baptisé «montagne» faute, imagine-t-on, de concurrence.
Ces jalons identifiés, d’autres traces du passé constellent le secteur. A commencer par la myriade de blockhaus abandonnés par les Allemands qui, à l’époque, avaient une conception du BTP disons très utilitaire. Après la guerre, ces casemates en béton firent l’objet d’un classement par les autorités, certaines pouvant être détruites par les propriétaires des terrains où elles se trouvaient, d’autres pas, selon des critères (localisation, épaisseur des parois, qualité du système de ventilation) susceptibles de justifier une éventuelle reconversion, un jour (de guerre froide) ou l’autre, en abri atomique. Parmi ces grosses carapaces grises, sur lesquelles, de la gare aux jardins, on tombe souvent par inadvertance, se glisse néanmoins un cas peu banal : celle de l’hôpital qui, coincé entre préfabriqués et extension en bois, a su faire de la résistance, puisque, ancien bloc opératoire de l’occupant, elle abrite de nos jours le service d’oncologie.
Autres empreintes de la guerre, cette fois laissées par les bataillons portuaires alliés, une série de graffitis sur la pierre du collège Saint-Paul qui servait alors de logement, non loin des trois bordels qui devaient tourner à plein régime (on y dénombrera jusqu'à 80 000 hommes chargés d'assurer la logistique après le Débarquement), celui des officiers, dans une demeure XIXe, étant aujourd'hui reconnaissable à sa façade rose. La plupart se contentaient de graver leur nom et parfois leur grade («Tom Alexander MO», «Abe Katz Bronx NY»…), Untel poussant tout de même l'inspiration jusqu'à graver un coït très explicite, authentique témoignage historique toujours sous le nez des passants qui, de nos jours, ne bénéficie d'aucun entretien, ni classement particulier… De même qu'un peu plus loin, on découvre une grille ornée d'une croix gammée ouvragée qui, barrant l'accès d'un jardin en friche, pourrait tout autant disparaître du jour au lendemain.
Jeu de piste. Mais aller à Cherbourg sans arpenter la presqu'île environnante serait une hérésie tant, entre caps, falaises, mielles et plages, la beauté térébrante des paysages côtiers garantit l'extase par tout temps. Jacques Prévert, qui a fait don de sa tombe à la végétation, a fini sa vie à Omonville-la-Petite ; le peintre Jean-François Millet a commencé la sienne à Gréville-Hague. Thématique belliciste oblige, notre musarderie, elle, s'enfonce dans les massifs dunaires de Biville où la nature règne sans partage… depuis que l'armée s'en est retirée ! De 1886 à 2013, les 500 hectares d'étendue sablonneuse servaient en effet de terrain d'entraînement militaire où, six mois par an, on testait tout et n'importe quoi.
Les treillis élimés, une quiétude infinie a repris ses droits, dans tous ces trous formés par l'eau, le vent… et les obus. Trois cent cinquante espèces végétales (thym, carotte, chardon, pin, aubépine, rosier pimprenelle, véronique en épis…), un paradis terrestre pour les oiseaux et les amphibiens, et huit engins blindés abandonnés en souvenir à la corrosion : cinq chars, une automitrailleuse et deux camions-chenille (clin d'œil larvaire ?), que le promeneur solitaire pourra longtemps chercher dans un jeu de piste d'autant plus aléatoire que, glisse malicieusement Sébastien Houillier, affable garde du Conservatoire du littoral, «il n'existe aucun plan ni carte permettant de les localiser - ce serait trop facile».
Une bénédiction attend toutefois les plus persévérants : dans la chambre de tir d’un vieux M4 Sherman, niche une bergeronnette. Vingt grammes de plumes chatoyantes, lovés dans une trentaine de tonnes d’acier inerte. Telle une allégorie pacifiste, propice à l’ébahissement narquois.
Y aller En train, trois heures depuis Paris.
Y dormir L'Ambassadeur, bien situé sur le quai de Caligny.
Le Mercure offre une splendide vue sur le port. A 10 kilomètres de Cherbourg, le Landemer, une adresse magique au bout d'une plage de sable fin.
Y manger Plusieurs tables correctes dans le centre, comme le Liberty, Chez Robert, le Comptoir des halles ou la crêperie la Régal'ette.
Y voir Créée dans l'ancienne gare maritime transatlantique, la Cité de la mer est un immense complexe scientifique et culturel. Ne pas rater son aquarium et le Redoutable, ancien sous-marin nucléaire. L'entrée est chère (19 €), mais il y a de quoi y passer plusieurs heures.