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Californie

Mission District, hispano solaire

Grandes destinationsdossier
Avec l’arrivée des jeunes actifs de la Silicon Valley, dont Mark Zuckerberg, ce quartier au cœur de San Francisco, condensé d’Amérique latine, a vu ses loyers grimper en flèche. Une gentrification qui contraint les habitants historiques à quitter les lieux et la communauté latino à se mobiliser pour protéger son héritage.
Depuis Dolores Park, on aperçoit les collines de Twin Peaks, coiffées du brouillard légendaire de San Francisco. (Photo Cayce Clifford)
publié le 15 novembre 2019 à 17h21
(mis à jour le 17 décembre 2019 à 17h16)

Un groupe de mariachis, guitare dans le dos ou trompette à la main, attend pour traverser la rue. Les étals des bodegas débordent de patates douces, de nopal et d'avocats dodus. En arpentant la 24e rue - ou la Calle 24, plutôt -, on entend des airs de cumbia et des bruits d'arrière-cuisines où l'on s'apostrophe en espagnol… Les chariots de sans-abri à l'air absent slaloment entre les échoppes de vendeurs de CD piratés ou de tortillas de maïs. Sur Mission Street alternent palmiers, marquises de cinémas abandonnés et enseignes peintes de taquerías. Un dollar store défraîchi vend des bougies votives et des piñatas à l'effigie de Donald Trump. Mission District, au cœur de San Francisco, est un condensé d'Amérique latine. Un peu de Mexique, de Honduras, de Colombie, de Nicaragua ou de Salvador sur la côte californienne, au milieu des maisons victoriennes colorées et des vieilles voitures américaines.

Berceau de la Beat Generation, foyer de la contre-culture hippie et de l'activisme en tout genre, San Francisco n'a aujourd'hui plus grand-chose de bohème. L'arrivée des techies, ces jeunes actifs aisés de la Silicon Valley, a fait exploser les prix de l'immobilier ces vingt dernières années. A tel point que les loyers y sont désormais les plus élevés des Etats-Unis. Mission District est particulièrement prisé par ces nouveaux venus - Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, y a acheté une maison pour 10 millions de dollars (9 millions d'euros) -, au détriment des habitants historiques, poussés dehors par cette gentrification brutale. Mais si les cafés végans et les espaces de coworking branchés s'y multiplient, l'héritage latino-américain du quartier reste palpable, préservé par des locaux et des associations volontaires.

1- Mission Dolores
Le cœur historique de San Francisco se trouve au croisement de Dolores Street et de la 16e rue. C'est là que des Espagnols s'installèrent en 1776 pour édifier la mission Saint-François-d'Assise (ou mission Dolores). Le patron des missionnaires donnera d'ailleurs son nom à la ville quand celle-ci, entre-temps passée sous souveraineté mexicaine, sera prise par les Américains en 1846. La petite église blanche d'origine, immaculée à en faire mal aux yeux, est toujours là. Plus ancien bâtiment de la ville, elle a survécu aux nombreux tremblements de terre qui ont secoué San Francisco, et est accompagnée depuis le début du XXe siècle par une grosse basilique baroque churrigueresque. Le cimetière de Mission Dolores, qui se visite également, abrite des tombes datant de la ruée vers l'or. Mais plus celle, fictive, de Carlotta Valdes : installée lors du tournage de Vertigo (1958) et laissée par les équipes de Hitchcock, elle était devenue une véritable attraction touristique, avant que la Mission ne juge irrespectueux ce pèlerinage cinéphile.

Les fresques de Balmy Alley, histoires de migrations.

Photo Cayce Clifford

2- L'art mural
Les murs de Mission District, doté de la plus grosse concentration de fresques du pays, révèlent la suite de l'histoire. Tantôt émouvants, politiques, militants ou commémoratifs, peints par des artistes professionnels ou amateurs, ces murals s'inscrivent dans la tradition de Diego Rivera. Fondateur du mouvement muraliste mexicain, il a peint trois fresques à San Francisco (au City College, au San Francisco Art Institute et au Pacific Stock Exchange). Depuis cinquante ans, les murs de Balmy Alley, entre la 24e et la 25e rues, racontent les dangers des routes de migration, les guerres civiles en Amérique centrale, la répression des autorités américaines, le mur de Trump, ou encore la violence de la gentrification du quartier. Les fresques, qui ornent également Clarion Alley et de nombreux bâtiments de «the Mission» -notamment le très beau Women's Building, au nord, un espace communautaire recouvert de symboles et de portraits réalisés par sept muralistas -, offrent une chronique illustrée et colorée de la vie quotidienne et de l'histoire des communautés latino-américaines. Ils rendent hommage à des figures locales, politiques ou artistiques, du prêtre salvadorien Oscar Romero, assassiné en 1980, à la leader syndicale Dolores Huerta, en passant par Frida Kahlo ou Carlos Santana. De nombreuses associations préservent, restaurent, enrichissent et font visiter ce musée d'art et d'histoire à ciel ouvert.

«La Mission a toujours été le quartier d'accueil des nouveaux arrivants, explique Patricia Rose, peintre muraliste passionnée par l'histoire et les communautés de son quartier, dans lequel elle est née. Après les Espagnols, il y a eu les Irlandais, puis les Italiens, puis les Mexicains après la Seconde Guerre mondiale.» Les Centraméricains sont arrivés à partir de la fin des années 70, fuyant les guerres civiles. Patricia Rose se souvient très bien de «l'arrivée des "dotcoms" [les actifs du Web, ndlr] à la fin des années 90», et les expulsions locatives qui se multiplient depuis. Devant elle, une fresque de 2012 intitulée Mission Makeover, qui dénonce, outre la gentrification, le racisme de la police, l'appropriation culturelle et la mainmise des géants de la Silicon Valley sur la ville. «Aquí estamos y no nos vamos !» («Nous sommes ici et ne partirons pas !») proclame un personnage sans visage, au centre.

The Women’s Building, un espace communautaire. 

Photo Cayce Clifford

3- Mission burrito
Le fameux «Mission burrito» est devenu une spécialité des taquerías du quartier depuis les années 70. La version locale de ce summum de la cuisine tex-mex est une galette de farine de blé roulée dans du papier d'aluminium. Un gros cylindre dans lequel s'entassent la traditionnelle carne asada et les haricots noirs, mais aussi du riz, de la crème aigre et du guacamole, parfois du fromage et du pico de gallo (tomates, oignons, piments jalapeños). Chaque Franciscanais vous donnera sans doute une adresse différente en vous assurant qu'il s'agit sans conteste du «meilleur burrito de Mission» . Et il se situera probablement «entre une bodega et un barbier». Sachez en tout cas que vous pourrez aisément sauter le repas suivant. Outre d'excellents tacos et tamales, on trouve également dans le quartier des pupusas, une spécialité du Salvador. Des pains plats à base de farine de riz ou de semoule de maïs, fourrés au fromage, à la poitrine de porc ou à la courge.

Le quartier compte de nombreuses taquerías.

Photo Cayce Clifford

4- Les parcs
Depuis Dolores Park, on aperçoit les collines de Twin Peaks, coiffées du brouillard légendaire de San Francisco. Le quartier de Mission, lui, est un peu plus chaud et ensoleillé que le reste de la ville, qui compte plusieurs microclimats. Chaque communauté locale semble, au moins un jour dans l'année, pouvoir s'approprier le parc et ses pelouses vert émeraude, situés sur le flanc ouest du district. Gay Pride ou danses aztèques, Dolores Park est, depuis les années 60, le point névralgique des rassemblements politiques, militants, religieux, folkloriques et festifs de la ville. Sur les pelouses noires de monde aux beaux jours, il est très facile de trouver des edibles - gâteaux, bonbons ou chocolats au cannabis, dont l'usage récréatif est légal en Californie depuis 2018. C'est également dans ce parc que se tiennent les célébrations de Cinco de Mayo, qui commémore pour les Mexicains la victoire de Puebla contre les troupes françaises en 1862. La parade du Día de los Muertos, la fête des morts mexicaine, le 2 novembre, circule autour de Garfield Park, plus au sud-est du quartier.

Pour une vue spectaculaire sur les lignes de fuite de Mission District, les tours du quartier financier qui se hérissent au loin et la baie tranquille de San Francisco, il faut grimper sur les collines pelées de Bernal Heights. Chiens et maîtres se promènent sur des sentiers escarpés ; des enfants se chamaillent pour savoir qui le premier sera sur la balançoire accrochée à un arbre, les pieds dans le vide. Des panneaux intiment de ne «pas nourrir les coyotes» qui peuplent la zone, pour les laisser à l'état sauvage.

Fresques et "pupusas"

A voir

L’association Precita Eyes propose tous les week-ends des visites guidées de Balmy Alley et de nombreuses fresques du quartier, présentées par des muralistes de Mission District. Env. 2 h 15, 20 dollars. Rens. : Precitaeyes.org

Où dormir

Les hôtels de San Francisco sont hors de prix. Privilégiez un Airbnb, à Mission ou dans le quartier voisin de Castro. Dans une jolie maison de style victorien italianisant rose et blanche, l’hôtel Inn San Francisco est réputé pour son mobilier ancien et son jardin à l’anglaise. Env. 250 dollars la nuit. 943 S, Van Ness Avenue.

Y manger

Aux burritos roboratifs, on préfère les tacos généreux en coriandre, oignons et tomates fraîches de La Taquería (2889 Mission St.), arrosés d'une agua fresca ananas, melon ou fraise. Ou les pupusas de La Palma Mexicatessen. 2884, 24th Street.