Rouge et blanche, avec des lignes galbées et de grandes parois vitrées, elle a l'allure d'une télécabine. Après une phase de test l'an dernier, la navette autonome électrique Beti desservira cet hiver neuf arrêts sur une boucle de trois kilomètres dans la station de Val Thorens en Savoie. A l'image de cette nouveauté, les stations de sports d'hiver poursuivent leur appropriation des technologies numériques. Aujourd'hui, elles peaufinent les fonctionnalités des applications mobiles développées ces dernières années pour leurs visiteurs. Celles-ci permettaient déjà le rechargement du forfait ou suggéraient des itinéraires malins pour éviter la queue aux remontées mécaniques. «Cette année, nous avons affiné la mesure des flux de skieurs grâce à de nouveaux capteurs testés dans la vallée de Belleville en Savoie», explique Patrick Grand'Eury, président de la société Lumiplan, spécialisée dans l'édition d'applications mobiles et outils numériques pour les stations de ski. «Nous pouvons déterminer la piste empruntée par chaque skieur en haut des remontées mécaniques et à partir de là, orienter le public sur les zones les plus confortables du domaine.»
A Serre Chevalier, l'application &joy, à télécharger sur son mobile, fonctionne comme un coupe-file pour onze remontées mécaniques et préfigure probablement le forfait dématérialisé sur smartphone, très attendu. «La tendance des applications est au sur-mesure mais il faut faire attention à ne pas "virtualiser" le ski et rester au service de l'émotion», analyse Patrick Grand'Eury.
Eviter l'effet gadget. Qu'en est-il des équipements connectés ? Là aussi, le développement se poursuit avec un défi, celui de la démocratisation des produits, qui passe par le recours à des technologies abordables. Ainsi, la marque suédoise POC lance cet hiver un casque connecté équipé d'une puce NFC (celle qui permet le paiement sans contact) capable de donner aux sauveteurs toutes les informations médicales sur le skieur en cas d'accident. Un produit vendu 249 euros. Après la course aux produits connectés qui ont vu des masques et casques sortir à plus de 500 euros pour se filmer ou lire ses SMS, une vraie réflexion sur les usages semble être engagée. «Il faut éviter l'effet gadget», explique Damien Hars, directeur du marketing digital du groupe Rossignol, spécialiste du matériel de sports d'hiver. «A mon sens, trois champs d'application sont intéressants : la sécurité, le ludique et l'apprentissage. Par exemple, on peut imaginer un casque connecté qui annoncerait la décélération, comme cela existe déjà pour les casques de moto. Nous travaillons sur la mise au point d'équipements avec cette vision.»
Pour le côté ludique, Rossignol a créé, en 2012, Ski Pursuit, une application de suivi des performances des skieurs. Kilomètres parcourus, vitesse moyenne, dénivelé… Avec 100 000 utilisateurs actifs, elle témoigne de l'appétence pour le «tracking», si prisé aujourd'hui dans notre quotidien. «Nous allons lancer un challenge qui récompensera les meilleurs skieurs selon un critère de dénivelé ou de distance», poursuit Damien Hars, qui mise beaucoup sur ce concept de «gamification». De nombreuses stations proposent aussi aux skieurs, via leurs applications, de suivre leurs performances et de se comparer.
Domaines optimisés. La question de la transition énergétique favorise aussi l'émergence d'une gestion numérisée de la montagne. Dans la centaine de stations françaises dotées de modes de transports téléportés, on assiste ainsi à la généralisation d'applications métiers qui collectent des données en temps réel sur les remontées mécaniques, les dameuses ou les enneigeurs. L'objectif ? Optimiser la gestion des domaines skiables et économiser de l'énergie. «Nous équipons par exemple les dameuses d'un dispositif GPS pour mesurer précisément la hauteur du manteau neigeux et affiner le plan de passage des machines», explique Michaël Fauché, directeur de HTI Digital, société qui a mis au point la plateforme de gestion des domaines skiables Skadii dont se sont dotées l'Alpe d'Huez, les Menuires ou Chamrousse. «De nombreuses stations disposent d'au moins une application métier, pour les remontées mécaniques, les enneigeurs ou les dameuses. Ce qui est récent, c'est de regrouper ces informations et de les mettre en accès partagé dans une plateforme pour inventer à terme des utilisations pertinentes», souligne le patron de cette filiale de Poma, l'entreprise française spécialisée dans le transport par câble.
Aux Orres, Tommy Jung, responsable du service neige de culture, adapte la production des enneigeurs en fonction des données recueillies sur la hauteur du manteau neigeux. «J'ai réduit de 10 % l'utilisation de l'eau pour fabriquer de la neige grâce à ce dispositif», se réjouit-il. Et de mettre en avant des pistes plus confortables et sans cailloux pour le skieur. «Dans l'avenir, des systèmes experts pourront servir d'aide à la décision pour les stations. L'intelligence artificielle permettra par exemple de croiser les données et de commander automatiquement les enneigeurs», conclut le patron de HDI Digital.
«Déconnexion». Enfin, la montagne connectée est aussi synonyme de multiplication des webcams haute définition installées sur des points clés du domaine pour témoigner en temps réel des conditions de ski. «Elles sont devenues incontournables et drainent un tiers de l'audience du site web de Peyragudes», explique Laurent Garcia, directeur de cette station des Hautes-Pyrénées. Les spots photo ou vidéo, avec un cadre soigné, pour immortaliser un moment, le recevoir sur son téléphone et le partager sur les réseaux sociaux, sont aussi chaque année plus nombreux.
Cet hiver, les Saisies se présente comme la station «instagrammable» de la saison, avec trois itinéraires bâtis autour de points de vue remarquables pour se prendre en photo. «Mais cette tendance à la mise en scène de soi pourrait être tempérée par l'émergence d'une génération soucieuse de déconnexion», analyse Armelle Solelhac, co-auteure de Management et marketing des stations de montagne, paru en octobre aux Presses universitaires du sport. «Un mouvement qui pourrait pousser les stations à proposer, à côté des offres de services numériques, des séjours de digital détox», conclut-elle avec un sourire.